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363. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Toutes les facultés, toutes les forces du génie, et, si je puis parler ainsi, la matière d’un grand siècle littéraire, existaient en France avant Boileau ; de même, avant Louis XIV, dans la France victorieuse de l’Espagne et de la féodalité, il y avait la matière d’une grande nation. […] Mais pour que l’art d’écrire en vers, dont Boileau a donné les règles et les exemples, vaille les efforts qu’il exige, il faut qu’il ne surpasse pas la matière. Or, n’est-ce point pour n’avoir pas gardé, dans le Lutrin, cette juste proportion entre la matière et l’art, que ce poème, si riche en détails charmants, est pourtant un ouvrage froid ? […] Mais ces beaux côtés du Lutrin ne m’en dérobent pas le principal défaut, qui est la disproportion entre la richesse de l’art et la pauvreté de la matière. […] On trouve plus d’un diamant de ce genre dans Boileau, et quelquefois, la matière n’y vaut pas le travail.

364. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Ses lettres au marquis d’Aubeterre, ambassadeur de France avant lui, lettres qu’on a en partie publiées et qui donnent le bulletin et la chronique du conclave, montrent un revers de tapisserie qui, en toute matière et particulièrement en matière sacrée, ne saurait se divulguer sans exciter quelque surprise et sans avoir des inconvénients. […] Guérard, attaché aux Affaires étrangères, et par ordre des chefs de ce département : elle était destinée à servir d’élément et de matière à l’éloge académique de Bernis que devait prononcer alors le comte François de Neufchâteau.

365. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

À cette nouvelle séance, il demanda, par une lettre motivée qu’il lut à haute voix, trois nouveaux amendements à la doctrine du professeur : 1º sur le sens moral dont il réclamait la reconnaissance nette et distincte et le rétablissement formel dans une bonne description de la nature humaine ; 2º sur la nécessité d’une première parole accordée ou révélée à l’homme dès la naissance du monde, et sur la vérité de ce mot de Rousseau que la parole a été une condition indispensable pour l’établissement même de la parole  ; 3º sur la matière non pensante, et qu’il fallait remettre à sa place bien loin de ce sublime attribut : Je fus mal reçu par l’auditoire, dit-il, qui est dévoué en grande partie à Garat à cause des jolies couleurs de son éloquence et de son système des sensations. […] Garat avait l’air de souhaiter que je me fisse connaître davantage et que j’entrasse plus amplement en matière, mais je ne m’y sentis nullement poussé, et je me contentai d’avoir lancé mon trait… Ce n’était qu’une première escarmouche. […] Laissons le prophète, et ne voyons que le philosophe d’une belle âme et d’infiniment d’esprit dans ces matières morales déliées.

366. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

» Mais ce qu’il préférait à tout, c’étaient les livres de politique, de considérations sur le bien public et sur les matières sociales, « les choses d’un sens suivi et de génie », c’est-à-dire où l’auteur produisait avec vigueur ses propres pensées. […] Chacun peut dire de soi : Mais ce n’est pas là l’âme de ce corps-là, — surtout quand on est à jeun et qu’on s’est modéré aux repas (d’Argenson mêle toujours la matière et les sens à ses considérations). […] La matière est riche, la mine est profonde ; je n’ai fait que la sonder en quelques points et la reconnaître.

367. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Il prétendait que, dans ces matières de poésie et de belles-lettres, le monde fût affranchi des jugements d’autorité et même de tradition, exactement comme il l’était en matière de philosophie depuis Descartes. […] Nous savons que ce morceau, par son air d’évidence et par un grain d’enjouement qui en corrigeait la métaphysique, réussit beaucoup auprès des dames, « à qui ces matières avaient été jusqu’alors interdites » ; elles le lurent avec plaisir, et se flattèrent désormais de comprendre la question épique ; elles avaient déjà, par Fontenelle, été mises au fait de la question physique : elles en ont depuis compris bien d’autres. […] Dans cette même Dissertation, l’abbé de Pons soulevait vers la fin une autre matière à procès : il plaidait pour la prose contre les vers, il niait les vers et leur charme : « Les vers ne plaisent point par eux-mêmes ; il nous a fallu un long commerce avec eux pour n’être guère choqués de leur démarche affectée, de leur air contraint. » Il n’y voyait donc que de la singularité et de la gêne imposées par une convention arbitraire, et nuisibles à l’excellence de la diction, à son naturel, à sa vérité.

368. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Andrieux, ce goût qui, avec la meilleure volonté du monde, reste le plus opposé aux habitudes, aux lenteurs et à la bonne foi germaniques, et comme il savait spirituellement le définir, quand il disait : « Les Français sont dans une situation singulière avec la littérature allemande ; ils sont tout à fait dans la position de l’adroit renard qui ne peut rien tirer du vase à la longue encolure : avec la meilleure volonté, ils ne savent que faire de nos livres ; ce que nous avons travaillé avec art n’est pour eux qu’une matière brute qu’ils doivent remanier. […] Il est sans doute, à quelque degré, de la famille des Brossette et des Boswell, de ceux qui se font volontiers les greffiers et les rapporteurs des hommes célèbres ; mais il choisit bien son objet, il l’a adopté par choix et par goût, non par banalité ni par badauderie aucune ; il n’a rien du gobe-mouche, et ses procès-verbaux portent en général sur les matières les plus élevées et les plus intéressantes, dont il se pénètre tout le premier et qu’il nous transmet en auditeur intelligent. […] Je lui ai conseillé de faire des chansons d’ouvrier, et surtout des chansons de tisserand ; et je suis persuadé qu’il réussira, car il a vécu depuis sa jeunesse parmi des tisserands ; il connaît à fond son sujet, et il sera maître de sa matière.

369. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. (suite et fin) »

Royer-Collard ; un homme d’État ne refuse jamais d’être ministre quand l’occasion convenable s’en présente : c’était un grand critique en toute matière, et en politique également. […] Royer-Collard, plus expert que lui en telle matière, lut dans la discussion finale qui précéda de quelques jours à peine le terme de la session, et à l’occasion de la loi sur la dotation du Clergé. […] J’avais supprime d’abord comme faisant longueur, mais j’ajoute ici en manière de post-scriptum mon jugement sur l’historien et sur son livre : « Ces volumes de M. de Viel-Castel, on le voit, m’ont fourni une matière qui n’est pas près de s’épuiser, et sur laquelle j’aurai assez l’occasion de revenir à propos des volumes suivants.

370. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

La Jeunesse du Cid, de Guillem de Castro, pièce en trois journées, était sa matière première : quel fut au juste le profit qu’il en tira ? […] Ce qui est certain et qu’on peut affirmer sans crainte, c’est que Corneille n’a pas copié et qu’il n’a imité qu’en transformant ; il a ramassé, réduit, construit ; et avec ce qui n’était que matière éparse, — une riche matière, — il a fait œuvre d’art, et d’art français.

371. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Il est donc arrivé qu’au sortir de nos habitudes généreuses ou spécieuses de la Restauration, et avec notre fonds de préjugés un peu délicats en cette matière, aujourd’hui que la littérature purement industrielle s’affiche crûment, la chose nous semble beaucoup plus nouvelle qu’elle ne l’est en effet : il est vrai que le manifeste des prétentions et la menace d’envahissement n’ont jamais été plus au comble. […] Je crois pourtant qu’eux-mêmes les premiers ont fait beau jeu à la contrefaçon belge, qui se fonde avant tout sur le débit de volumes gros de matière et à bon marché134. […] Dans les compagnonnages des divers métiers, on ne reçoit que des ouvriers faits et sur preuves ; mais, en matière littéraire, qui décidera ?

372. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

Trop peu compétent pour mon compte en matière si éparse et si mobile, je ne ferai que courir, relevant quelques points à peine et en hâte d’arriver à son dernier succès, mais heureux au moins si j’ai montré que le propre de la critique est de n’être point prude, qu’elle aime et va querir partout les choses de l’esprit, qu’elle tient à honneur de s’en informer et d’en jouir. […] Là donc où d’autres ne verraient que matière à un bon mot assez piquant, lui il placera tout le pivot d’une pièce ; il fait tout pirouetter, à force de combinaisons ingénieuses, autour d’un paradoxe extrême qu’on ne croyait pas de force à tant supporter. […] Les petites causes seules n’enfantent pas sans doute les grands événements, elles n’en amassent pas la matière ; mais elles servent souvent à y mettre le feu, comme la lumière au canon : faute de quoi le gros canon pourrait rester éternellement chargé, sans partir.

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