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1482. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Fromentin, si j’ose dire, a fait là, à sa manière, la critique des procédés différents du sien ; il a fait de la critique indirecte, comme il n’est donné qu’à l’artiste d’en savoir le secret ; il l’a mise en image et en action. […] Sa voix, toujours caressante et timbrée pour l’expression des mots tendres, avait acquis je ne sais quelle plénitude nouvelle… Elle marchait mieux, d’une façon plus libre… » Par cette manière d’entendre le portrait, comme par la façon dont il traite le paysage, M.  […] Ce Dominique, non plus, ne doit pas être content de lui, et il ne saurait nous être présenté, en définitive, comme une manière de sage qui a triomphé de sa passion.

1483. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Vivre, puisqu’il le faut, de la vie de tous, subir les hasards, les nécessités du grand chemin, y recueillir les enseignements qui s’offrent, y fournir au besoin sa tâche de pionnier ; puis se dédoubler soi-même, et dans une part plus secrète réserver ce qui ne doit pas tarir ; l’employer, l’entretenir, s’il se peut, à l’amour, à la religion, à la poésie ; cultiver surtout sa faculté de concevoir, de sentir et d’admirer : n’est-ce pas là une manière d’aller décemment ici-bas, après même que le but grandiose a disparu, et de supporter la défaite de sa première espérance ? […] plus d’obscurité par moments et de manière. […] Moi, j’aurais mieux aimé Mme Valmore fidèle à sa précédente manière, non pas précisément à celle des Idylles, mais à celle des dernières Élégies, avec l’absence du rhythme, comme un ruisseau qui court sans trop savoir, avec l’insouciance et le hasard des teintes, un sentiment borné à peu d’images, et sous le gris de lin de sa parure.

1484. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

Dans tout ce qu’il a écrit dans l’intervalle et depuis, il n’a su que répéter, affaiblir, délayer la manière ou les idées de ces deux excellents ouvrages, les seuls de lui qui méritent de rester. […] Confiné et, pour tout dire, confit dans les solennités provinciales, dans la coterie littéraire du lieu et dans les admirations bourgeoises, il put encore avoir de bons, d’aimables instants en petit comité, entre le digne évêque M. de la Motte, qui le dirigeait, et MM. de Chauvelin, gens d’esprit, dont l’un était intendant de Picardie ; mais il ne retrouva plus désormais, il ne posséda plus son talent ; il eût été incapable, à sa manière, d’un grand et vivant réveil, comme en eut Racine. […] Des deux parts le sentiment est aussi vrai ; il s’exprime chez Mme de Staël d’une manière plus piquante, et chez Cicéron plus à l’antique.

1485. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Elle se relèvera si elle reconnaît bien le grand courant du monde, et si elle s’y plonge et s’y précipite… L’humanité, comme Dieu même, n’a que des idées fort simples et en petit nombre, qu’elle combine de diverses manières… » Il marquait alors la suite historique de ces combinaisons et il admirait ce long effort « logique » pour affranchir « le fils du père, le client du patron, le serf du seigneur, l’esclave du maître, le sujet du prince, le penseur du prêtre, l’homme de sa crédulité et de ses passions », pour mettre « légalité dans la loi, la liberté dans les institutions, la charité dans la société, et donner au droit la souveraineté du monde ». […] On l’exceptait, pour ainsi parler, du second empire, — sans qu’il sollicitât, en aucune manière, cette exception. Le respect, jamais homme ne le mérita mieux, et de toutes manières, et, avec le respect, l’affection.

1486. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Deux substances identiques par la nature, le nombre, l’arrangement et la distance des atomes agissaient d’une manière essentiellement différente sur la lumière. […] C’étaient des croisés, à leur manière ; ils héritaient, sans le savoir, de dix siècles de vertu ; ils dépensaient, en un jour, le capital accumulé par vingt générations de silencieuse obscurité. […] Les questions qu’elle résout à sa manière, les règles qu’elle prescrit en vertu de son principe, les croyances qu’elle déconseille au nom de notre ignorance de tout absolu, je viens, aux pages qui précèdent, d’en faire un examen que je termine par la parole suprême du début : Pour la dernière fois. » J’ai toujours eu peine, je l’avoue, devant les cercueils illustres, à partager cette héroïque résignation.

1487. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Elle a les cheveux du plus beau châtain qu’on ait jamais vu, le visage rond, le teint vif, la bouche agréable, les lèvres fort incarnates, une petite fosse au menton, qui lui sied fort bien, les yeux noirs brillants, pleins de feu, souriants, et la physionomie fine, enjouée et fort spirituelle… Pour de l’esprit, Clarice en a sans doute beaucoup, et elle en a même d’une certaine manière dont il y a peu de personnes qui soient capables, car elle l’a enjoué, divertissant, et commode pour toutes sortes de gens, principalement pour des gens du monde. […] Saint-Évremond a beau écrire à Ninon : « La nature commencera par vous à faire voir qu’il est possible de ne vieillir pas » ; il a beau lui dire : « Vous êtes de tous les pays, aussi estimée à Londres qu’à Paris ; vous êtes de tous les temps, et quand je vous allègue pour faire honneur au mien, les jeunes gens vous nomment aussitôt pour donner l’avantage au leur : vous voilà maîtresse du présent et du passé… » ; malgré toutes ces belles paroles, Ninon vieillit, elle a ses tristesses, et sa manière même de les écarter peut sembler plus triste que tout : Vous disiez autrefois, écrit-elle à son ami, que je ne mourrais que de réflexions : je tâche à n’en plus faire et à oublier le lendemain le jour que je vis aujourd’hui. […] — Savez-vous bien, me dit un plaisant à qui je viens de faire lire ce même passage en latin, qu’à la manière dont parle votre abbé d’Olivet, je vais conclure qu’au xviie  siècle Mme de La Fayette et Mlle de Lenclos, par leur fonction d’oracles du goût dans le monde, ont été les deux premiers vicaires de Boileau ?

1488. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Cette Notice, lue dans la dernière séance publique de l’Académie des inscriptions, a ramené l’attention sur un homme respectable et excellent, original de mœurs et de caractère, bon de nature, fin pourtant, rude et brusque d’accent et de ton, qui a eu, au début de l’Empire, le plus grand succès tragique d’alors (Les Templiers), qui, depuis, a créé toute une érudition (l’étude du provençal classique et de ce qui en dépend), l’a établie et organisée d’une manière féconde, et s’est véritablement illustré par ce vaste et sagace labeur. […] Cette observation préalable sur le sujet, et sur la manière dont Raynouard l’a envisagé, est très juste et le paraîtra à tous ceux qui reliront la tragédie et les preuves historiques qui y font cortège. Rien n’est moins convaincant que toute cette plaidoirie de l’auteur en faveur des Templiers : il veut tout rejeter sur les accusateurs, sur l’esprit d’un siècle ignorant, et il ne nous peint en rien ni ce siècle même, ni cet ordre orgueilleux et scandaleux, qui devait en tenir par plus d’une grossièreté et d’un abus ; il n’aborde en rien la réalité des accusations, il s’en prend toujours à la manière injuste, illégale et cruelle dont on s’est servi pour arracher aux membres certains aveux.

1489. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Dans cette agréable discussion qu’elle soutint par lettres avec la Grande Mademoiselle sur les conditions d’une vie parfaitement heureuse, elle lui écrivait : « Je n’avais que vingt ans quand la liberté me fut rendue ; elle m’a toujours semblé préférable à tous les autres biens que l’on estime dans le monde, et, de la manière que j’en ai usé, il semble que j’ai été habitante du village de Randan », — un village d’Auvergne où les veuves ne se remariaient pas. […] En parlant ainsi, Mme de Motteville, qui reste essentiellement femme, vengeait doucement son sexe un peu outragé par les manières brusques et fantasques de cette reine bizarre, qui affectait le genre et les qualités d’un homme. […] Parlant du vieux maréchal de Bassompierre que raillaient les jeunes gens, elle dira, après avoir loué sa générosité, sa magnificence et ses galantes manières : « Les restes du maréchal de Bassompierre valaient mieux que la jeunesse de quelques-uns des plus polis de ce temps-là (1646). » Elle aimait, dans les pièces de Corneille, surtout la morale élevée et les nobles sentiments qui avaient épuré le théâtre.

1490. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Est-ce d’une galante manière de venir les appeler tout uniment des ânes et de s’écrier : « Ce qui me fâche le plus, c’est que je vois s’accomplir cette prédiction que me fit autrefois mon père : “Tu ne seras jamais rien”… Tu ne seras jamais rien, c’est-à-dire tu ne seras ni gendarme, ni rat de cave, ni espion, ni duc, ni laquais, ni académicien. » Deux ou trois savants hasardés sont restés marqués au front de ces flétrissures brûlantes de Courier, mais lui-même s’est trouvé marqué aussi et atteint pour avoir cédé si complaisamment à sa colère. […] À la longue pourtant, cette série de petites phrases si prestes fatigue un peu ; elles rentrent dans le même moule, et la plus grande preuve que Courier a une manière, c’est qu’il n’a pas été très difficile de l’imiter et de faire de lui des pastiches qui ont trompé l’œil. […] Il a tracé là l’idéal de sa manière, et en se mettant à côté de Pascal, Franklin, Cicéron, Démosthène, tous faiseurs de pamphlets selon lui, il croyait, en définitive, ne prendre que sa place : elle me semble, ne lui en déplaise, un peu au-dessous.

1491. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Elle veut proposer à Rousseau de l’habiter ; elle la fera arranger d’une manière commode, en se gardant de paraître rien faire exprès pour lui. […] Dans la joie de son cœur, elle en parle à Grimm : J’ai été très étonnée, dit-elle, de le voir désapprouver le service que je rendais à Rousseau, et le désapprouver d’une manière qui m’a paru d’abord très dure. […] On voit de quelle manière il appréciait les deux hommes de lettres les plus célèbres d’alors, et il ne connaissait pas moins bien les autres.

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