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48. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Le mal est ici beaucoup plus facile à constater qu’il ne l’était dans l’intimité d’une psychologie individuelle, car il s’exprime par une division entre les différents individus du groupe, les uns demeurant fidèles à l’imitation de la coutume héréditaire, les autres s’appliquant à imiter le modèle étranger. […] C’est ce que fut cette appellation de citoyen dont on fit un terme égalitaire : une conception politique qui devait aboutir à substituer, plus fortement que ne l’avait fait le pouvoir royal, l’état à la cité, était mal venue à relever ce titre de citoyen, d’origine si particulariste, inventé naguère pour consacrer une distinction et un privilège. […] Pour avoir mal observé les institutions de la cité ancienne, on a imaginé de les faire revivre chez nous. […] Il semble que grâce à la découverte d’un trésor accumulé par l’effort des meilleurs hommes de l’Humanité, la tâche des hommes du moyen âge, en mal d’enfanter eux-mêmes Une civilisation, ait été soudainement allégée. […] Les écrivains du xviie  siècle réformèrent, la fausse conception que l’on s’était faite de nos nécessités verbales sous l’empire d’un enthousiasme aveugle ; les mots mal venus et qui n’étaient point en harmonie avec nos formes sonores furent en partie chassés du langage.

49. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 552-553

Un peu plus de versification que Pradon, & après cela une intrigue mal conduite, des caracteres mal dessinés, le costume mal observé, ne sauroient justifier l’indulgence du Spectateur, qui a laissé parvenir cette Piece jusqu’à la quatorzieme représentation.

50. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Il ne lui manquait que ce personnage ironique, la pire forme du diable, riant du bien et jouissant du mal, Méphistophélès. […] Méphistophélès, c’est la propagande perverse du mal par le génie du mal pour corrompre et ruiner l’œuvre de Dieu, l’homme et la femme. […] Il faut laisser cette scène aux enfants et au peuple infatués de la sorcellerie du moyen âge, et ne voir dans le barbet changé en homme, et en homme cachant un esprit démoniaque sous ses formes humaines, que l’inspiration manichéenne du mal conseillant le mal à tout ce qui respire. […] « Mon enfant, s’écria-t-elle, bien mal acquis pèse sur l’âme et brûle le sang. […] J’espère qu’il ne lui en peut résulter aucun mal ?

51. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Son esprit mal employé ne servit qu’à l’engager plus avant dans de fausses voies. […] Ne dites pas : C’est beau de langage, mais c’est faux de pensée : ce sont là de vaines paroles ; les grands écrivains se trouveraient fort peu dédommagés du reproche d’avoir mal pensé par la louange d’avoir bien dit. […] Tenez pour vraie toute chose qui prend ainsi possession de vous, qui fait corps avec vous ; tenez pour mal écrit tout ce que vous oubliez. […] Vainement la grammaire approuve-t-elle la langue de ces choses-là ; elles ne sont pas seulement mal écrites, elles ne sont pas écrites du tout. […] Ce sont des flambeaux menaçants qui éclairent tout à coup les ténèbres de toutes ces dispositions équivoques où s’embarrasse notre conscience, et qui nous y montrent le mal si près du bien, et le bien si mélangé de mal, qu’ils nous font peur même de notre honnêteté.

52. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

Chamfort, comme le xviiie  siècle, qui se fit bâtard autant qu’un siècle peut se faire tel, en rompant avec les traditions de son histoire, n’a point, au fond, de notion première : la notion du bien et du mal. […] Mais il ne fut point duc, et tout son mal vient de là, même intellectuellement. […] si toutes les lettres que nous avons reçues avaient été dans ce sentiment et ce style, elles auraient évidemment confirmé la justesse de nos réflexions sur ce mal indéniable de la bâtardise, et nous aurions été heureux de la voir ainsi confirmée ! […] Pouvions-nous donc nous étonner de la retrouver jusque dans les efforts furieux tentés un jour pour s’en défendre, tant il est vrai que, quoi qu’entreprenne le bâtard contre ce qu’il appelle le préjugé, il en sent toujours le contrecoup inévitable, et que l’excès de la jactance ne prouve que le mal dont il souffre ? […] Diront-ils que leur plaie est une noble blessure et que leur mal vaut la santé ?

53. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 437-438

Palaprat a beau assurer qu’elle n’est pas mal versifiée, qu’elle est assez noblement écrite, cela n’empêche point qu’elle ne soit mal imaginée, mal conduite, & c’en est assez pour justifier l’anathême.

54. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Rien n’est plus faux. » Lisez pendant une semaine le Standard, la Tribuna et le Berliner Tagblatt, vous trouverez plus d’une fois la preuve de ce que je dis là… Sur le point des relations avec l’étranger, ne croyez donc point les décourageurs. » C’est donc à l’intérieur uniquement que réside le mal. « Le péril est chez nous. […] Le mal dont nous souffrons est léger puisque, quelques jours suffiraient pour en parachever la guérison. […] François Coppée s’empresse de constater que « la France, pourtant, ne se porte pas trop mal, grâce au ciel ! […] Connaître son mal sans tromperie et sans faiblesse, c’est presque y remédier déjà ; être conscient, c’est vouloir persévérer dans son être. Les malades qui se croient sains n’ont aucune chance de survivre à un mal qu’ils ignorent ; ceux qui connaissent le mal dont ils sont atteints, font appel au médecin et guérissent, si la maladie n’est pas incurable.‌

55. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Mais les injures violentes, les noms de débauché nocturne, de ventru, de pied-bot, qu’il jeta plus tard au sage Pittacus, furent sans puissance, comme ses armes : « Répète un chant romain, nous dit Horace, ô lyre modulée d’abord par le citoyen de Lesbos, qui, forcené pour la guerre, savait pourtant, soit au milieu des armes, soit quand son navire battu des flots reprenait le rivage, chanter Bacchus et les Muses, Vénus et l’enfant qui la suit toujours62. » Puis ailleurs, lorsque, échappé à un danger de mort, Horace, qui a cru voir de près l’Élysée, y place le belliqueux Alcée, comme Virgile osait y mettre Caton : « De combien peu, dit-il, nous avons failli voir l’empire de la sombre Proserpine, et le tribunal d’Éaque, et les demeures réservées des âmes pieuses, et Sapho sur la lyre éolienne se plaignant des jeunes filles ses compatriotes, et toi aussi, Alcée, redisant plus haut sur ton luth d’or les maux de la tempête, les maux de l’exil, les maux de la guerre ! […] Il ne suffit pas pour cela de la sévérité de son dialogue avec Alcée, tel que le cite Aristote69 : « Je veux », disait le hardi poëte, « te dire quelque chose ; mais la pudeur m’empêche. » Et Sapho de répondre : « Si tu avais le désir de choses nobles et belles, ni ta langue ne serait liée de peur de dire le mal, ni la pudeur ne retiendrait tes regards ; mais tu parlerais librement de ce qui est légitime. » Rien de mieux raisonné, sans doute ; mais tant d’autres témoignages nous la montrent différente ! […] Que de maux seront soufferts, que de ruines entassées, que de monuments et d’idées s’écrouleront dans le monde, pour que ces souvenirs soient expiés aux mêmes lieux qui les consacrent, que la pénitence épure cette terre de volupté, qu’une église de martyrs s’élève à la place d’un bocage sacré, et que la prière d’une humble vierge au pied de la croix ou le dévouement de quelque religieux dans un lazaret remplace, aux mêmes lieux, les hymnes chantés à Vénus ! […] L’usage se maintint et s’adoucit ; et les pénitents de l’amour, ceux que cette passion conduisait à Leucade, avaient fini par tenter cette épreuve célèbre, avec des secours qui préservaient la vie et ramenaient au rivage la victime guérie de son mal ou de son désespoir. […] Bien vite ils arrivaient ; et toi, déesse, souriant de bouche divine, tu demandais quel mal j’ai souffert, pourquoi je t’appelle et ce que je veux qui soit fait pour ma folle ardeur, quelle persuasion, quels filets à captiver l’amour je veux avoir. — Qui donc, ô Sapho !

56. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Ils n’évitent ni l’œil de Dieu ni les regards des Anges, car ils n’ont point la pensée du mal. […] Satan, caché sous la forme d’une de ces bêtes, contemple les deux époux, et se sent presque attendri par leur beauté, leur innocence, et par la pensée des maux qu’il va faire succéder à tant de bonheur : trait admirable. […] Pénélope et Ulysse rappellent un malheur passé ; Ève et Adam annoncent des maux près d’éclore. […] Si vous remontez de la douleur au plaisir, comme dans la scène d’Homère, vous serez plus touchant, plus mélancolique, parce que l’âme ne fait que rêver au passé et se repose dans le présent ; si vous descendez au contraire de la prospérité aux larmes, comme dans la peinture de Milton, vous serez plus triste, plus poignant, parce que le cœur s’arrête à peine dans le présent, et anticipe les maux qui le menacent. Il faut donc toujours, dans nos tableaux, unir le bonheur à l’infortune, et faire la somme des maux un peu plus forte que celle des biens, comme dans la nature.

57. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Les honnêtes gens du Journal des Débats » pp. 91-101

Il n’est jamais de mal en bonne compagnie, a dit Voltaire, dans un conte peu honnête, avec cette fascinante légèreté qui fait passer pour spirituels les plus grands sophismes et les plus grandes bêtises de cet esprit pervers et dépravant ; car ce vers, si joli et si souvent cité, a le double caractère de l’erreur complète : il est à la fois bête et faux. […] Nous n’ignorons pas que la critique n’a pas les six bâtonniers que demandait Pascal, mais elle a sa plume, et si elle ne rudoyait pas ceux qui font le mal, en toutes choses, elle ne serait plus une femme honnête, ô honnêtes gens ! […] Personne n’avait dit qu’être évasif dans les questions du bien et du mal littéraire, du bien et du mal moral, — car tout livre pose le double problème, — était le devoir, la fonction et la gloire de la critique ! […] Jamais, nous qui sommes les insulteurs de la pauvre Critique, comme dit Janin, avec un geignement douloureux, nous n’avons dit plus de mal d’elle que Rigault n’en a dit, lui-même, dans le Journal des Débats.

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