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268. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre II. Causes générales qui ont empêché les écrivains modernes de réussir dans l’histoire. — Première cause : beautés des sujets antiques. »

Aussi tout est ténèbres dans leur origine : vous y voyez à la fois de grands vices et de grandes vertus, une grossière ignorance et des coups de lumière, des notions vagues de justice et de gouvernement, un mélange confus de mœurs et de langage : ces peuples n’ont passé ni par cet état où les bonnes mœurs font les lois, ni par cet autre où les bonnes lois font les mœurs. […] Or, en répandant sur les peuples cette uniformité et, pour ainsi dire, cette monotonie de mœurs que les lois donnaient à l’Égypte, et donnent encore aujourd’hui aux Indes et à la Chine, le christianisme a rendu nécessairement les couleurs de l’histoire moins vives.

269. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre V, la Perse et la Grèce »

. — « J’irai donc chez le Roi » — dit à Mardochée Esther, la reine favorite, la « Perle », comme il l’avait surnommée, — « J’irai chez le Roi, ce qui est contre la loi. […] Les lois s’abattaient devant son caprice ; il trônait au-dessus de tout droit et de tout devoir, — Cambyse devint amoureux de sa sœur, et il voulut l’épouser. […] Les juges répondirent qu’ils ne savaient aucune loi qui autorisât le mariage entre frère et sœur, mais qu’ils en connaissaient une permettant au roi de Perse de faire tout ce qu’il voudrait. — Tout ordre sorti de sa bouche était fatal et irrévocable. […] Les satrapes le dénoncent au roi, qui veut le sauver ; mais ils lui disent : « — Sache, ô roi, que la loi des Perses est qu’aucun arrêt rendu par le roi ne puisse être ni révoqué, ni changé. » Darius, qui aimait Daniel, se désole : il n’en fait pas moins jeter aux lions le prophète, et il scelle de son anneau la dalle de la fosse. […] Athènes, à demi rustique, dégrossie par les lois de Solon, à peine délivrée de la tyrannie des Pisistratides, s’exerçait obscurément, sous le patronage de Clisthènes, à l’apprentissage de la liberté.

270. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « A. Dumas. La Question du Divorce » pp. 377-390

En termes absolus, ce n’est d’aucune manière une question que la question du divorce, et qui la pose n’est plus qu’un outlaw du catholicisme, de l’histoire et de la politique, et discuter avec les outlaws, c’est se mettre hors de la loi comme eux. […] On ne pouvait ni rationnellement, ni décemment, maintenir, dans une loi qui depuis plus de soixante ans se vante d’être athée, l’indissolubilité du mariage que Bonald avait replacée dans une législation redevenue momentanément chrétienne. […] La loi fait toujours une restriction. Le mot le dit, d’ailleurs : c’est une loi, c’est-à-dire une chose qui lie. […] » Je dis à la Révolution qui met le divorce dans sa loi ; « Tue-moi, mais ne me fais pas souffrir en me forçant à lire le livre de M. 

271. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

On sait qu’il était né dans cette ville où la plus étonnante des institutions avait créé une nature nouvelle ; où l’on était citoyen avant que d’être homme ; où le sexe le plus faible était grand ; où la loi n’avait laissé de besoins que ceux de la nature ; de passions que celle du bien public ; où les femmes n’étaient épouses et mères que pour l’État ; où il y avait des terres et point d’inégalité ; des monnaies et point de richesse ; où le peuple était souverain quoiqu’il y eût deux rois ; où les rois absolus dans les armées, étaient ailleurs soumis à une magistrature terrible ; où un sénat de vieillards servait de contrepoids au peuple et de conseil au prince ; où enfin tous les pouvoirs étaient balancés, et toutes vertus extrêmes. […] On trouve dans tous les deux la même douceur de style, les mêmes grâces, des vues de politique profondes, l’amour des lois et des hommes, un goût de vertu sans effort, et ce naturel touchant qui gagne la confiance du lecteur et le persuade sans le fatiguer. […] Naissance, éducation, mœurs ; principes ou qui tiennent au caractère ou qui le combattent ; concours de plusieurs grands hommes qui se développent en se choquant ; grands hommes isolés et qui semblent jetés hors des routes de la nature dans des temps de faiblesse et de langueur ; lutte d’un grand caractère contre les mœurs avilies d’un peuple qui tombe ; développement rapide d’un peuple naissant à qui un homme de génie imprime sa force ; mouvement donné à des nations par les lois, par les conquêtes, par l’éloquence ; grandes vertus toujours plus rares que les talents, les unes impétueuses et fortes, les autres calmes et raisonnées ; desseins, tantôt conçus profondément et mûris par les années, tantôt inspirés, conçus, exécutés presque à la fois, et avec cette vigueur qui renverse tout, parce qu’elle ne donne le temps de rien prévoir ; enfin des vies éclatantes, dès morts illustres et presque toujours violentes ; car, par une loi inévitable, l’action de ces hommes qui remuent tout, produit une résistance égale dans ce qui les entoure ; ils pèsent sur l’univers, et l’univers sur eux ; et derrière la gloire est presque toujours caché l’exil, le fer ou le poison : tel est à peu près le tableau que nous offre Plutarque. […] si je dois vivre, si les jours de Démosthène doivent être conservés, que mes conservateurs soient mon pays, les flottes que j’ai armées à mes dépens, les fortifications que j’ai élevées, l’or que j’ai fourni à mes concitoyens, leur liberté que j’ai défendue, leurs lois que j’ai rétablies, le génie sacré de nos législateurs, les vertus de nos ancêtres, l’amour de mes concitoyens qui m’ont couronné plus d’une fois, la Grèce entière que j’ai vengée jusqu’à mon dernier soupir ; voilà quels doivent être mes défenseurs ; et si, dans ma vieillesse, je suis condamné à traîner une vie importune aux dépens des autres, que ce soit aux dépens des prisonniers que j’ai rachetés, des pères à qui j’ai payé la dot de leurs filles, des citoyens indigents dont j’ai acquitté les dettes ; ce n’est qu’à ceux-là que Démosthène veut devoir : s’ils ne peuvent rien pour moi, je choisis la mort ; cesse donc de me séduire, etc. » J’aime ensuite à voir la pitié de dédain avec laquelle il regarde le courtisan qui le croyait sans défense, parce qu’il n’avait autour de lui ni armes, ni soldats, ni remparts, comme si le courage n’était pas la défense la plus sûre pour un grand homme.

272. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Gens sans aveu, réfractaires de tout genre, gibier de justice ou de police, besaciers, porte-bâtons, rogneux, teigneux, hâves et farouches, ils sont engendrés par les abus du système, et, sur chaque plaie sociale, ils pullulent comme une vermine  Quatre cents lieues de capitaineries gardées et la sécurité du gibier innombrable qui broute les récoltes sous les yeux du propriétaire, provoquent au braconnage des milliers d’hommes d’autant plus dangereux qu’ils bravent des lois terribles et sont armés. […] Plus l’impôt est excessif, plus la prime offerte aux violateurs de la loi devient haute, et, sur tous les confins par lesquels la Bretagne touche à la Normandie, au Maine et à l’Anjou, quatre sous pour livre ajoutés à la gabelle multiplient au-delà de toute croyance le nombre déjà énorme des faux sauniers. « Des bandes nombreuses754 d’hommes, armés de frettes ou longs bâtons ferrés et quelquefois de pistolets ou de fusils, tentent par force de s’ouvrir un passage. […] On rappelle les exploits de Mandrin en 1754756, sa troupe de cent cinquante hommes qui apporte des ballots de contrebande et ne rançonne que les commis, ses quatre expéditions qui durent sept mois à travers la Franche-Comté, le Lyonnais, le Bourbonnais, l’Auvergne et la Bourgogne, les vingt-sept villes où il entre sans résistance, délivre les détenus et vend ses marchandises ; il fallut, pour le vaincre, former un camp devant Valence et envoyer 2 000 hommes ; on ne le prit que par trahison, et encore aujourd’hui des familles du pays s’honorent de sa parenté, disant qu’il fut un libérateur  Nul symptôme plus grave : quand le peuple préfère les ennemis de la loi aux défenseurs de la loi, la société se décompose et les vers s’y mettent  Ajoutez à ceux-ci les vrais brigands, assassins et voleurs. « En 1782, la justice prévôtale de Montargis instruit le procès de Hulin et de plus de 200 de ses complices qui, depuis dix ans, par des entreprises combinées, désolaient une partie du royaume757. » — Mercier compte en France « une armée de plus de 10 000 brigands et vagabonds », contre lesquels la maréchaussée, composée de 3 756 hommes, est toujours en marche. « Tous les jours on se plaint, dit l’assemblée provinciale de la Haute-Guyenne, qu’il n’y ait aucune police dans la campagne. » Le seigneur absent n’y veille pas ; ses juges et officiers de justice se gardent bien d’instrumenter gratuitement contre un criminel insolvable, et « ses terres deviennent l’asile de tous les scélérats du canton758 »  Ainsi chaque abus enfante un danger, la négligence mal placée comme la rigueur excessive, la féodalité relâchée comme la monarchie trop tendue. […] En vertu de cette loi, 50 000 mendiants, dit-on, furent arrêtés tout d’un coup, et, comme les hôpitaux et prisons ordinaires ne suffisaient pas à les contenir, il fallut construire des maisons de force. […] Et cependant, avec toutes ses rigueurs, la loi n’atteint pas son objet. « Nos villes, dit le parlement de Bretagne763, sont tellement peuplées de mendiants, qu’il semble que tous les projets formés pour bannir la mendicité n’ont fait que l’accroître. » — « Les grands chemins, écrit l’intendant, sont infestés de vagabonds dangereux, de gens sans aveu et de véritables mendiants que la maréchaussée n’arrête pas, soit par négligence, soit parce que son ministère n’est point provoqué par des sollicitations particulières. » Qu’en ferait-on, si elle les arrêtait ?

273. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Pour lui, il croit que, depuis plusieurs siècles, c’est l’erreur qui se propage et il veut rappeler les lois fondamentales et la vérité. […] Rien n’est curieux comme cette sorte de charte, ou plutôt de loi spartiate et hébraïque, que M. de Bonald méditait d’imposer aux écrivains, et cela pendant les plus grandes saturnales de la presse, en plein Directoire. […] Vous avez fait de la France la grande nation par ses exploits, faites-en la bonne nation par ses mœurs et par ses lois. […] De cette ressemblance et de cette similitude de l’homme avec Dieu, il résulte qu’il y a société, au pied de la lettre, entre Dieu et l’homme, et que celui-ci a reçu de Dieu la loi, la pensée et la parole, sans laquelle la pensée humaine n’est pas. […] L’Esprit des lois de Montesquieu ne lui semble écrit bien souvent qu’avec la même légèreté qui a dicté les Lettres persanes.

274. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

Je crois fermement que l’équilibre et la grandeur de la cité dérivent de ce rythme d’expansion et de concentration qui est la loi centrale de l’individu. […] C’est la loi commune et bienfaisante que les caducs disparaissent devant les forts. […] Aucune loi ni aucune volonté, répond l’histoire. […] La science a découvert la loi de la lutte pour la vie. Il existe parallèlement une entente pour la vie, dont il reste à déchiffrer les lois.

275. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Il dénonçait les attentats contre la loi, les violations de la liberté promise à tous les cultes et refusée à un seul. […] Où sont les lois qui les condamnent ? […] Il s’appuya directement, dès le principe, sur l’article de la Constitution qui déclarait que nul ne pouvait être empêché, en se conformant aux lois, de professer le culte qu’il avait choisi. […] « La loi n’a pas connu le prêtre pour l’honorer, elle ne doit pas le connaître pour le soupçonner. » Il expliquait comment quantité d’honnêtes ecclésiastiques, tout prêts d’ailleurs à obéir aux lois, s’étaient refusés par scrupule à prêter ce serment qu’on exigeait d’eux et qui leur semblait recéler des pièges pour leur conscience. […] C’est du sein de la misère et de l’insuffisance des lois que naissent ces crimes, et non d’un système d’assassinat.

276. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Tantôt hardie comme le génie, impérieuse comme la loi, elle s’élevait d’un bond au type normal de chaque genre, et en traçait d’une main ferme les règles inviolables. […] On comprit qu’en littérature, comme en physique, il faut aller du fait à la loi, et l’on se mit à étudier les productions de l’intelligence. […] La raison disait : La règle écrite n’est pas la loi ; elle n’en est que la traduction plus ou moins exacte. […] Le feuilletoniste de nos jours n’est plus un juge enchaîné par un texte de loi ; c’est un juré qui ne relève que de sa conscience et de l’opinion publique. […] Esprit des Lois, I, i.

277. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Par exemple, la loi renouvelée laissera valoir, en matière religieuse, la compétence de « comices » qu’elle ne reconnaît plus en matière politique. Ailleurs, des distinctions effacées par la loi restent inscrites dans les mœurs, Il arrive que le souvenir des hiérarchies légalement bouleversées survit pendant des siècles. […] Mais en fait, « s’il fallait poursuivre et dissoudre toutes les associations qui fonctionnent sans autorisation, la moitié de la France serait condamnée160 » Les mœurs font la loi aux lois. […] On sait enfin que des lois nouvelles facilitent la constitution des associations professionnelles. […] On y voit les justiciables invoquer alternativement le régime des lois dites personnelles et le régime des lois dites territoriales173 ; lorsqu’ils sont dans la main du seigneur, ils en appellent au roi ; dans la main du roi, au seigneur.

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