Pour la littérature ancienne et latine particulièrement, une traduction en vers, faite avec soin et élégance, était jugée une conquête définitive, une œuvre considérable et de toute une vie, qui, menée à bonne fin et imprimée, conduisait tout droit son homme à l’Académie française. […] Qu’on veuille donc penser à ce que c’était que Térence, ce premier Romain qui, à côté de Scipion et de Lélius, sut être l’urbanité même dans la langue latine. […] Venu plus tard, Térence eût sans doute pensé différemment, et il aurait tenté au théâtre ce que Virgile accomplit pour l’épopée ; il aurait essayé de combiner les éléments étrangers et l’inspiration latine en des productions toutes neuves, et de rester Romain en imitant. […] On parle toujours du vis comica ; l’expression est tirée de cette épigramme latine de César.
En passant des mains des apôtres juifs en celles de Grecs et de Latins, possédant une plus profonde culture et soumis à de meilleures habitudes de discipline intellectuelle, le christianisme perdit pour un temps cette tendance qu’il tenait de ses origines orientales. […] Du même esprit participent encore les ouvrages pédagogiques du xviie siècle qui s’intitulent par exemple le Thésaurus ou Gradus ad Parnassum, avec lequel plusieurs générations ont composé des vers latins ; ou bien c’est le Jardin des Racines Grecques, que cultivaient ces Messieurs de Port-Royal. […] Dans cette série de romans qu’il intitule la Décadence latine, éthopée, le Sâr Péladan eut aussi de ces trouvailles rares. […] Germain Bapst pour le maréchal Canrobert — il ne donnera plus aujourd’hui pour titre à son recueil la désinence latine pédantesque usitée aux xvie et xviie siècles : les Bolœana, Menagiana, Saint-Evremontiana même.
2º Avec l’école de Malherbe et de ses successeurs classiques, la littérature française se rapprocha davantage du caractère latin, quelque chose de clair, de précis, de concis, une langue d’affaires, de politique, de prose ; Corneille, Malherbe, Boileau n’avaient que très peu ou pas du tout le sentiment grec. Corneille adorait Lucain et ce genre latin, Boileau s’attache à Juvénal.
Seroit-on bien reçu à dire que personne n’étoit plus capable de remplacer l’Abbé Desfontaines ; que, né avec autant d’esprit que son prédécesseur, il l’a emporté sur lui du côté du talent de la Poésie, & qu’on peut en juger par son Ode sur la Journée de Fontenoy, & par d’autres Pieces connues ; que les Auteurs Grecs & Latins lui étoient aussi familiers que ceux du siecle de Louis XIV ; qu’il a réuni la connoissance de plusieurs Langues étrangeres au mérite de bien écrire dans la sienne ; qu’il s’est montré supérieur dans l’art de faire l’analyse d’un Ouvrage, & sur-tout d’une Piece de Théatre, quand il a voulu s’en donner la peine ? […] d’Alembert, Traducteur de plusieurs morceaux de Tacite, n’entend pas le Latin, & que ses Mélanges de Littérature, si estimés de tous ses amis, sont écrits avec sécheresse & avec froideur ; que de tous les Ouvrages de M.
La littérature des Latins se répand, se divulgue ; des entreprises utiles en rendent les accès de plus en plus faciles et patents ; la difficulté n’est pas là ; elle est encore où elle s’est presque toujours rencontrée en France, dans l’étude, la connaissance, le goût senti de la littérature grecque que tout le monde s’accorde si bien à louer et que si peu savent aborder comme il faut. […] Les Latins, et je parle des meilleurs, n’atteignirent jamais à de certains accents de cette muse première, même lorsqu’elle fut sur le déclin : nous l’avons vu une fois de Virgile par rapport à Apollonius ; nous l’entrevoyons ici d’Horace à l’égard de Moschus bien moindre. […] La poésie des Latins, au contraire, était née tard et d’une étude savante ; elle n’avait pas eu d’enfance. […] » Et quelle fraîcheur matinale et pure dans le couplet suivant, que tant de poëtes latins modernes ont travaillé à imiter sans l’atteindre : « Déjà la blanche violette fleurit, et fleurit le narcisse ami des pluies, et les lis fleurissent sur les montagnes ; mais la plus aimable de toutes, la fleur la plus éclose entre les fleurs, Zénophila, est comme la rose qui exhale le charme. […] Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir lu Méléagre, on comprend mieux Ovide, et tant de jeux d’esprit, dès longtemps en circulation chez les Grecs, où le charmant élégiaque latin n’a pas toujours mêlé la même flamme.
Et l’autre sœur, qui, plus brave et aventurière, émancipée de bonne heure, s’est ruée dans les hasards du monde, dans le tourbillon et la fange des capitales, qui n’a eu peur ni des goujats des camps, ni des théâtres obscènes, ni des rues dépavées, et qui, le front débarrassé de vergogne et la grosse parole à la bouche, s’est faite honnête homme cynique, n’espérant plus redevenir une vierge accomplie, ne la prenez pas trop au mot non plus, je vous conseille ; ne croyez pas trop qu’elle se plaise à cette corruption dont elle nous fait honte, à cette nausée éructante qu’elle nous jette à la face pour provoquer la pareille en nous, à cette lie de vin bleu dont elle barbouille exprès son vers pour qu’il nous tienne lieu de l’ilote ivre et qu’il nous épouvante ; osez regarder derrière l’hyperbole étalée et échevelée par laquelle, égalant la luxure latine, elle divulgue sans relâche et le plus effrontément la plaie secrète de ce siècle menteur, tout plein en effet de prostitutions et d’adultères ; osez percer au delà de cette monstrueuse orgie qu’elle déchaîne en mille postures devant nous, — et vous sentirez dans l’âme de cette muse une intention scrupuleuse, un effort austère, un excès de dégoût né d’une pudeur trompée, une délicatesse dédaigneuse qui, violée une fois, s’est tournée en satirique invective, une nature de finesse et d’élégance, que l’idéal ravirait aisément et qui ne ferait volontiers qu’un pas de la Curée au monde des anges. […] En lisant ce petit livre tout virginal et filial, le decor, le venustus, le simplex munditiis des Latins, reviennent à la pensée pour exprimer le sentiment qu’il inspire dans sa décence continue. […] A propos de Juvénal effrayant la vertu dans ses invectives contre le vice, on a dit dans un vers latin moderne qui rappelle heureusement celui de Boileau : Dum furit in vitium, pavet ipsa innoxia virtus.
Il s’endormait, et puisqu’il aimait le latin, on le servait en latin : dormitat bonus Janinus. […] Janin sût le latin maintenant aussi bien que lui !
Il paraît que, pour l’étude, il s’était surtout formé par lui-même, et qu’il avait profité de deux années de mauvaise santé, où il avait été retenu dans sa chambre, pour lire les anciens poètes grecs et latins. […] Mais les imiter en latin, comme la plupart le faisaient de son temps, — comme Salmon Macrin, de Loudun, le faisait avec succès, — c’était retomber dans l’ornière et mériter le reproche qu’Horace s’adresse à lui-même ou se fait adresser en songe par Romulus, d’avoir voulu commencer par faire des vers grecs ; c’était porter, comme on dit, l’eau à la rivière et le bois à la forêt. […] On dit, en effet, que Du Bellay a sinon inventé, du moins propagé ce mot dans la langue, et l’un de ses adversaires, Charles Fontaine, le lui a reproché, comme si patrie n’était qu’une écorcherie du latin : il estime que pays était suffisant. […] pécherois-je pas (comme dit le Pindare latin) contre le bien public, si par longues paroles j’empêchois le temps que tu donnes au service de ton Prince, au profit de la Patrie et à l’accroissement de ton immortelle renommée ? […] ils n’en savaient rien… Ils se passionnèrent pour l’Antiquité grecque et latine avec la plus ardente et la plus injuste de toutes les frénésies.
Epouvantée par psycho-physiologie, par splanchnologie 115, par conchyliologie, elle n’aurait d’objections ni contre gaffe, ni contre écoper, mots très français, très purs, le premier l’une des rares épaves du celtique (gaf, croc), le second, anciennement escope, venu sans doute d’une forme scoppa, doublet latin de scopa 116 . […] Si beaucoup de mots latins n’ont pas gardé en français leur sens originaire, bien des mots du vieux français n’ont plus exactement en français moderne leur signification ancienne.
Il les justifie encore sur leur familiarité avec les auteurs Latins, dont ils prennent insensiblement le ton, les manières & le stile injurieux ; sur l’indépendance attachée à la profession d’homme de lettres ; sur le goût du public pour la satyre ; plaisantes raisons pour dispenser un sçavant de la première science dont tout homme doit se piquer, celle de sçavoir vivre. […] L’objet du marquis d’Argens, partout ailleurs assez superficiel, est d’afficher, dans cet ouvrage, l’érudition la plus profonde, & de prodiguer fastueusement les citations Grecques & Latines, le tout pour prouver, ce qui n’a pas besoin de preuves, que les grands hommes sont hommes comme les autres.