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770. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Guizot, en 1835, du Comité historique de la langue, de la littérature et des arts près le ministère de l’Instruction publique, donna un point d’appui et de ralliement aux travaux ultérieurs. […] Le Comité historique de la langue et des arts était plutôt une chose de luxe et de surcroît, une réunion où l’agrément avait sa bonne part. […] J’eus également l’honneur, comme secrétaire du Comité en ces commencements, de dresser la première Circulaire, signée du ministre et insérée au Moniteur (18 mai 1835), l’Instruction concernant la langue et la littérature. — (Au lieu de sottises, lisez-y sotties.)

771. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

., ce poëme auquel on ne peut refuser élévation et imagination, réunit en lui toutes les difficultés conjurées de l’idée, de la langue et du rhythme, tous les mélanges de l’individuel et du social, du réel, du mythique et du prophétique ; c’est comme une cuve ardente où bouillonnent, coupés par morceaux, tous les membres d’Éson. […] Que l’on essaye de se figurer, dans la langue prophétique du vie  livre de l’Énèide, tous les intérêts du monde antique rassemblés sur la limite de l’antiquité et des temps modernes, tant de peuples encore primitifs se groupant, avec leurs cultes et leur génie, autour de la louve romaine, dans l’attente du christianisme ; les Gaulois, les Bretons, les Germains nouvellement découverts ; en Orient, les Parthes, les Numides, les vieux et nouveaux empires ; et au faîte de tout cela, César, à l’œil de faucon, portant dans son génie réfléchi tout le génie des temps modernes ; et que l’on dise si l’épopée ne s’est pas trouvée là. […] La Bohémienne est une véritable ballade, comme nous en avons très-peu en notre langue, comme il n’en faudrait pas faire beaucoup, mais franche, naturelle, fortement composée de dessin, et sachant être noble, touchante et grandiose, sur le ton de la complainte.

772. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Jamais Ronsard ne fut mieux inspiré, plus simplement grand, éloquent, passionné, tour à tour superbement lyrique ou âprement satirique que dans ses Discours : jamais sa langue n’a été plus solidement et nettement française, son alexandrin plus ample et mieux sonnant ; jamais il n’a donné de meilleure expression de ses théories poétiques, auxquelles il ne songeait plus guère alors. […] Et puis, permis à Gœthe, un Allemand, de n’y point faire attention : mais enfin celui dont Ronsard expia les péchés, celui qui méconnut le génie de la langue, qui l’enfla d’inventions fantastiques jusqu’à « la faire crever », celui qui alla à l’encontre de tous les préceptes et de l’esprit du maître, ce fut Du Bartas ; on sait l’abus qu’il fit des composés : « guide-navire, échelle-ciel, brise-guérets, aime-lyre », et une infinité d’autres. […] Sa langue est celle d’un provincial qui veut montrer aux Parisiens qu’on n’est pas arriéré chez lui : il exagère leurs modes ou leur jargon, et arrive à n’être que leur caricature.

773. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Il a passé sa vie à forger de belles phrases, comme on n’en avait jamais fait en notre langue. […] Son rôle a donc été fort analogue à celui de Malherbe : en face de la strophe oratoire préparée par celui-ci, il a construit la période éloquente, et Boileau avait le droit d’écrire : « On peut dire que personne n’a jamais mieux su sa langue que lui, et n’a mieux entendu la propriété des mots et la juste mesure des périodes. » Et vraiment, quand on lit certaines pages de Balzac, dans le Socrate chrétien par exemple, on sent que la forme de Bossuet est trouvée. […] Cependant le même Chapelain avait eu l’idée du Dictionnaire de l’Académie, ce monument de la langue classique : et il avait de toutes ses forces travaillé à réduire la tragédie aux imités, c’est-à-dire au type idéal du drame classique.

774. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Pour n’avoir fait que traverser la Russie en calèche, elle a pourtant démêlé très finement les traits originaux du peuple russe, elle a saisi la complexité de l’esprit des classes supérieures, le fond national jeune, vierge, riche sous le vernis d’une civilisation raffinée : par un flair plus singulier encore chez une femme qui ne savait pas la langue, elle a deviné le moujik, au moins quelques parties essentielles de sa nature. […] « Les uns déclarent que la langue a été fixée tel jour de tel mois, et que depuis ce moment l’introduction d’un mot nouveau serait une barbarie. […] Il y a quelque chose de très singulier dans la différence d’un peuple à un autre ; le climat, l’aspect de la nature, la langue, le gouvernement, enfin surtout les événements de l’histoire, puissance plus extraordinaire encore que toutes les autres, contribuent à ces diversités ; et nul homme, quelque supérieur qu’il soit, ne peut deviner ce qui se développe naturellement dans l’esprit de celui qui vit sur un autre sol et respire un autre air : on se trouve donc bien en tout pays d’accueillir les pensées étrangères ; car dans ce genre, l’hospitalité fait la fortune de celui qui la reçoit643. » Le conseil était bon et pratique : nous nous en sommes aperçus plus d’une fois en ce siècle, nous autres Français.

775. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

* *   * Wilde fit son entrée, à l’heure dite, accompagné du Stuart Merrill, négociateur de l’affaire, et d’un ami personnel, un compatriote, ignorant notre langue, qu’il négligea de nous présenter. […] Wilde parlait imparfaitement notre langue. […] Son nom l’indique, qui n’a d’équivalent dans aucune autre langue.

776. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Ici, dans la description des divers exercices, manège, chasse, lutte, natation, Rabelais s’amuse : ces tours de force de maître Gymnaste deviennent, sous sa plume, des tours de force de la langue. […] Jamais la langue, jusque-là, ne s’était trouvée à pareille fête. […] Son français sans doute, malgré les moqueries qu’il fait des latinisants et des grécisants d’alors, est encore bien rempli et comme farci des langues anciennes ; mais il l’est par une sorte de nourriture intérieure, sans que cela lui semble étranger, et tout, dans sa bouche, prend l’aisance du naturel, de la familiarité et du génie.

777. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Il définit auteurs classiques ceux « qui sont devenus modèles dans une langue quelconque » ; et, dans tous les articles qui suivent, ces expressions de modèles, de règles établies pour la composition et le style, de règles strictes de l’art auxquelles on doit se conformer, reviennent continuellement. […] Sur la même colline que Virgile, et un peu plus bas, on verrait Xénophon, d’un air simple qui ne sent en rien le capitaine, et qui le fait ressembler plutôt à un prêtre des muses, réunir autour de lui les attiques de toute langue et de tout pays, les Addison, les Pellisson, les Vauvenargues, tous ceux qui sentent le prix d’une persuasion aisée, d’une simplicité exquise et d’une douce négligence mêlée d’ornement. […] Ayons la sincérité et le naturel de nos propres pensées, de nos sentiments, cela se peut toujours ; joignons-y, ce qui est plus difficile, l’élévation, la direction, s’il se peut, vers quelque but haut placé ; et tout en parlant notre langue, en subissant les conditions des âges où nous sommes jetés et où nous puisons notre force comme nos défauts, demandons-nous de temps en temps, le front levé vers les collines et les yeux attachés aux groupes des mortels révérés : Que diraient-ils de nous ?

778. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

« Vous avez passé à travers le siècle sans qu’il déposât sur vous aucune de ses taches », lui écrivait Thomas : cela n’était vrai qu’au moral ; car, pour la langue et le style, le siècle avait donné à Ducis toute sa teinte. […] N’ayant pas eu la force et l’art de se créer une langue poétique à son usage, il n’y a qu’en prose, et dans ce qui saute du cœur sur le papier, que le poète s’est montré tout à fait lui-même. […] Les lettres qu’on a de lui mériteraient d’être recueillies à part dans un volume ; elles disposent à être moins sévère pour ses tragédies, elles y révèlent la trace de talent qui s’y noie trop dans le mauvais goût du siècle, et on en vient à reconnaître qu’avec tous ses défauts, et en usant d’une moins bonne langue, Ducis, dans la série de nos tragiques, va tendre la main à Rotrou par-delà Corneille.

779. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

La langue, comme le Romantisme l’a faite ou l’a refaite, — d’après les maîtres du seizième siècle, — bien étudiée et bien comprise, n’est-ce pas là pour l’écrivain un outil aussi solide et aussi merveilleux que la langue de Voltaire ? Et cet outil, êtes-vous autorisé à le jeter par la fenêtre parce que des maladroits se seront blessés — eux et la langue — en voulant y toucher ?

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