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429. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

Comment cela peut-il s’exécuter sur une scène étroite, au milieu d’une foule de jeunes gens qui laissent à peine dix pieds de place aux acteurs  ? […] Un incident est-il d’une importance majeure : faites-le pressentir, mais sans le laisser deviner. Est-il moins intéressant : contentez-vous d’en laisser entrevoir le genre. […] Cela fait, on divise son sujet par actes et les actes par scènes, de manière que chaque acte, quelque grandes situations qu’il amène, en fasse attendre encore de plus grandes, et laisse toujours le spectateur dans l’inquiétude de ce qui doit arriver jusqu’à l’entier dénouement. […] La fin de ces sortes de fables n’a rien de touchant ; mais elles ne laissent pas de donner lieu, dans le cours du spectacle, au plus grand pathétique et aux plus fortes émotions de l’âme, par les combats que doit éprouver celui qui a médité le crime.

430. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

J’en serais pourtant fâché, et je ne voudrais pas, avec ce faux air de cosmopolite, perdre la sympathie des amis de mon village et de mon voisinage, auxquels je pense sans cesse et que je reviendrai voir à temps, j’espère, avant les glaces de l’âge infirme et solitaire ; mais laissez-moi courir ma dernière course. » Cette course dernière ne venait jamais. […] Dutrey, m’écrivait : « … Ce n’est pas sans une vive émotion que j’ai retrouvé, dans ce que vous dites de lui, l’expression si fidèle des souvenirs que m’a laissés notre longue amitié. […] Je reviendrai donc vers mes amis, c’est mon désir, avant d’y être forcé par un excès de malaise et de fatigue… Il ne faut pas, j’en conviens, s’exposer trop à laisser ses os en terre étrangère. […] « Voyez-vous, mon cher ami, comme je me laisse aller à bavarder, parce que le succès de votre panégyrique d’hier me met en bonne humeur de penser à votre sujet ! […] en me laissant l’idée (arrive jusqu’ici, je puis dire la certitude) qu’il n’entendrait guère me répondre, ce dont en effet tout son esprit le laisse peu capable.

431. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Laissons dire le romancier dans une page heureuse : « Après dîner, Simiane essaya de faire causer son ami, et il lui adressa quelques questions littéraires. […] Aussi, le soir, quand il prit congé de ses hôtes, il leur laissa l’idée qu’il était né pour être heureux, et qu’il mourrait ignoré et content au bord du lac, seul témoin destiné à recevoir l’entière confidence de ses pensées. » Rousseau ne donne plus de ses nouvelles, et ses amis croient qu’il les a oubliés. […] S’il y a quelque anachronisme ici, il n’est pas choquant, et on l’accepte, parce qu’il laisse jour aux accents les plus généreux échappés à l’âme de l’auteur. […] Beaucoup d’à peu près, çà et là des répétitions négligentes (délicieuse deux fois dans la même phrase, page 228), parfois de ces inadvertances triviales qu’il faut laisser à nos romanciers sans délicatesse (ainsi cette phrase, page 155, comme le plus grand imbécile qui eût jamais battu le pavé de Paris) ; — tout cela ne saurait être entièrement racheté, dans un roman sans action, par des pages élevées et éloquentes, fussent-elles nombreuses. […] Mais ce ne sont là que des traits accessoires auxquels le lecteur prend garde à peine, tant l’ensemble va, marche, se presse, tant le drame ne vous laisse pas ; tout est bien jusqu’au moment où Steven se trouve face à face avec Charles XII.

432. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

On a bien abusé de ce mot chez nous, et les plus fortes têtes sont précisément celles qui se sont le plus laissé griser par les grandes découvertes des chimistes, des physiciens et des naturalistes. […] Toutes les vérités que nous leur devons, les grandes vues fécondes et suggestives qu’il nous ont laissées, ne valent peut-être pas la leçon qu’ils nous ont donnée par l’erreur et par l’échec de leur prétention scientifique. […] Laissons-lui ses cadres et ses formules. […] Mais alors, si notre objet nous impose l’emploi de l’impression subjective, et si le premier commandement de la méthode scientifique est la soumission de l’esprit à l’objet, pour organiser les moyens de connaître d’après la nature de la chose à connaître, ne sera-t-il pas plus scientifique de reconnaître et de régler le rôle de l’impressionnisme dans l’étude des œuvres littéraires que de le nier, et, comme on ne supprime pas une réalité en la niant, de laisser cet élément personnel rentrer sournoisement et agir sans règle dans nos travaux ? […] Mais il faut n’avoir guère suivi le mouvement des études littéraires dans ces dernières années, pour ne pas remarquer que le champ des disputes se resserre, que le domaine de la science faite, de la connaissance incontestée, va s’étendant et laisse ainsi moins de liberté, à moins qu’ils ne s’échappent par l’ignorance, aux jeux des dilettantes et aux partis-pris des fanatiques, si bien qu’on peut sans chimère prévoir un jour où, s’entendant sur les définitions, le contenu, le sens des œuvres, on ne disputera plus que de leur bonté et de leur malice, c’est-à-dire des qualificatifs sentimentaux.

433. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Il était clair que, si je voulais avoir quelque audience des gens cultivés, il fallait laisser beaucoup de mon bagage à la porte. […] J’ai laissé les notes en tas à la fin du volume. […] Je ne voyais pas assez nettement à cette époque les arrachements que l’homme a laissés dans le règne animal ; je ne me faisais pas une idée suffisamment claire de l’inégalité des races ; mais j’avais un sentiment juste de ce que j’appelais les origines de la vie. […] La liberté, d’ailleurs, dans le doute général où nous sommes, a sa valeur en tout cas ; puisqu’elle est une manière de laisser agir le ressort secret qui meut l’humanité et qui, bon gré mal gré, l’emporte toujours. […] J’ai laissé tous les passages où je présentais la culture allemande comme synonyme d’aspiration à l’idéal.

434. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Et c’est pour cela qu’on doit tant en vouloir à ceux qui ne négligent rien pour rendre Paris inhabitable et sauvage : laissez-les un instant à l’œuvre ; ce sont gens à faire baisser tout le niveau de la civilisation humaine en quelques jours, en quelques heures. […] C’est ce théâtre qu’il s’agit surtout aujourd’hui de ne pas abandonner, de ne pas laisser diriger non plus par plusieurs et en famille (mauvaise direction, selon moi, en ce qu’elle est trop intime, trop commode, et, comme on dit aujourd’hui, trop fraternelle), mais de faire régir bien effectivement par quelqu’un de responsable et d’intéressé à une active et courageuse gestion. […] Une des grandes erreurs du dernier régime a été de croire qu’on ne dirige pas l’opinion, l’esprit littéraire, et de laisser tout courir au hasard de ce côté. […] Gouvernement, maintenez-le de plus en plus à l’état d’institution ; de ce que vous êtes républicain vous-même, n’en concluez pas qu’il faille le laisser se régir à l’état de république. […] Ma seule conclusion serait que, sous une forme politique ou sous une autre, l’État en France a les mêmes intérêts et les mêmes devoirs ; qu’il se tromperait en abdiquant toute direction de l’esprit public, en n’usant pas des organes légitimes d’action qui lui sont laissés ; que c’est faire de la bonne politique que de travailler d’une manière ou d’une autre à contenir la grossièreté croissante, la grossièreté immense qui, de loin, ressemble à une mer qui monte ; d’y opposer ce qui reste encore de digues non détruites, et de prêter la main, en un mot, à tout ce qui s’est appelé jusqu’ici goût, politesse, culture, civilisation.

435. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Après 1848, il partit pour la Californie, sans dessein arrêté que d’agir encore, et c’est là qu’une idée qui pouvait valoir un empire s’empara de lui et lui fit jouer sur le dé pipé qu’on appelle le sort des armes une vie qu’il y a laissée ! […] Ce plan hardi de s’emparer de la Sonora, d’insurger le pays outré, presque révolté, n’en pouvant plus, et d’y établir un gouvernement quelconque, n’apparut, ne se forma et ne se clarifia dans son esprit que quand il eut vu le pays dont il était question et dont il nous a laissé, dans des pages magnifiquement rapides et caractérisées, une vue qui simplifie et justifie tous les projets. […] Or je ne suis pas de ceux qui plient sous une insulte… » Enfin, quand, pour la dernière fois, il courut aux armes, il vint partager le péril de ses compagnons encore plus que le leur prescrire, et il laissa le commandement qu’on lui décernait à ceux qui l’avaient, imprudence de générosité et de délicatesse qui fut peut-être sa seule faute, car le chef auquel il laissa le commandement se fit battre, et Raousset fut pris. […] Laissons ces bagatelles.

436. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — V » pp. 123-131

» À l’Académie française, où il allait quelquefois, et le plus souvent qu’il le pouvait, il a laissé d’assez bons souvenirs : « Il paraissait, a dit d’Alembert, s’intéresser à nos exercices, opinait avec autant de goût que de dignité sur les questions qui s’agitaient en sa présence, et finissait toujours par témoigner à la compagnie les regrets les plus obligeants de ce que la multitude de ses autres devoirs ne lui permettait pas de s’acquitter, comme il l’aurait voulu, de celui d’académicien. » Un jour, dans un de ces moments d’effusion comme il en avait volontiers, il demanda à ses chers confrères la permission, ne pouvant être aussi souvent qu’il l’aurait voulu parmi eux, de leur être présent au moins en peinture et de leur envoyer son portrait. Je laisse à juger si la proposition fut reçue avec acclamation et reconnaissance. […] Bien que Villars semblât suffisamment connu, j’ai pensé qu’il y avait lieu de se servir, en sa faveur, des pièces positives et authentiques imprimées depuis quelques années, pour rétablir et maintenir les grandes lignes de son mérite réel, dans lequel laissaient comme une brèche ouverte les jugements de Saint-Simon et de Fénelon20. […] [NdA] On lit dans une lettre de M. de La Rivière à l’abbé Papillon, du 5 avril 1736 : « Feu M. le maréchal de Villars, que j’avais fort connu avant sa grande fortune, qui m’avait conservé de l’amitié, et qui me faisait l’honneur de venir quelquefois me voir, avait toujours Horace dans sa poche et s’en servait agréablement : il avait beaucoup de goût et autant d’esprit que de valeur. » (Lettres choisies de M. de La Rivière, gendre du comte de Bussi-Rabutin, 1751 ; tome ii.) — Cet Horace dans la poche de Villars est une particularité curieuse ; mais n’était-il pas homme à le prendre tout exprès et à le laisser voir à propos, quand il allait rendre visite à M. de La Rivière ?

437. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Laissez-le grandir et sortir de là, le Périclès rêveur ; il est volage, il est bruyant et glorieux, il est capable de mille entreprises enviables, il remplira le monde de son nom.  […] Une existence agitée est un suicide, si elle fait perdre le souvenir du monde meilleur ; et, quand on a conscience de sa dignité, il me semble que c’est une profanation d’employer son énergie et de ne pas lui laisser toute la sublimité des possibles… J’aime à vivre retiré, à faire les mêmes choses, à passer par les mêmes chemins : il me semble qu’ainsi je me mêle moins à la terre, et que je conserve toute ma pureté. […] Sautelet aussi vivait alors dans ces idées : inquiet, mélancolique et fervent, il hésitait entre l’action et la contemplation ; je lis dans une lettre de lui que j’ai sous les yeux : « On ne peut guère faire une vie double, agir et contempler ; je sens, comme je te le disais cet été, que l’homme est placé sur la terre pour l’action, et je ne puis cependant laisser l’autre. […] Je te laisse juger. » Combien d’épisodes semblables à celui que nous venons d’esquisser, combien de poëmes obscurs, inconnus, mêlés d’une fatalité étrange, s’accomplissent à tout instant, autour de nous, dans de nobles existences !

438. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Mais comme elle les lui a envoyés sans rien dire à son mari, et que, craignant d’être grondée, elle a recommandé le secret à son fils, il se tait par obéissance filiale, et se laisse mettre en prison, quoiqu’il ait beaucoup de confusion et de peur. […] L’enfant ne voit pas que la crainte de chagriner légèrement sa mère ne doit pas l’amener à se laisser déshonorer : comment le verrait-il, s’il ne détache pas par l’abstraction les fragments des deux images qui peuvent se comparer et se mesurer ? […] Une autre fois, voulant réfuter l’objection que les astres ne changent pas, parce que de mémoire d’homme on ne les a vus changer, Fontenelle proposait l’analogie que voici : Si les roses qui ne durent qu’un jour faisaient des histoires et se laissaient des mémoires les unes aux autres, les premières auraient fait le portrait de leur jardinier d’une certaine façon, et de plus de quinze mille âges de roses, les autres qui l’auraient encore laissé à celles qui les devaient suivre, n’y auraient rien changé.

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