On les lit cependant : car, bien qu’ils ne fassent rien sentir et rien juger, incapables qu’ils sont eux-mêmes de sentir et de juger, ils font connaître. […] « L’âge même de Galba était un texte de dérision et d’impopularité pour ceux qui étaient accoutumés à la jeunesse de Néron, et qui, suivant le préjugé du vulgaire, ne jugeaient de leur maître qu’à la beauté et à la grâce du corps.
Je n’ai qu’à regarder si tout le monde a du plaisir, pour contrôler mon sentiment, et savoir si j’ai bien jugé. […] Et comme ces régents en robes noires et à bonnets carrés avaient du moins sur lui l’avantage de savoir le grec et le latin, il s’évertuait à démontrer que pour bien juger d’un écrivain, il faut le prendre dans une traduction. […] Jugez-en par Racine, un des deux ou trois écrivains du siècle à l’âme desquels la Grèce a vraiment parlé : qui s’attendrait que Racine voulût retrancher du Banquet de Platon, comme inutile et scandaleux, tout le discours d’Alcibiade, ce portrait de Socrate, ce pur chef-d’œuvre où l’enthousiasme et la moquerie se mêlent avec une grâce subtile ?
Il alla jusqu’à dire aux douze imbéciles que le hasard appelait à juger : « Vous êtes le cœur et la raison de Paris. » Sauf sur un point d’histoire, son cœur et sa raison à lui étaient d’accord avec le cœur et la raison des douze. […] Aujourd’hui, elle lui apparaît tout à fait condamnable parce que sa laideur éternelle s’est extériorisée : « Elle sent la gamelle et la buffleterie des bas officiers, l’amour ancillaire d’une populace de Gothons en extase devant le caporal ignominieux. » Il y a, paraît-il, un parti politique « où les professeurs d’élégance oublient de saluer sur le terrain un adversaire qu’ils jugent pourtant digne de croiser le fer avec eux » ; et Tailhade s’irrite contre ces vilains « à qui mesdames leurs mères, trop occupées de leurs confitures et du point de sel à mettre dans le pot, n’eurent guère le temps d’apprendre le bel air des choses ». […] Bergeret, il sait « juger les personnes » et mépriser celles qui sont méprisables.
Daunou avait mérité le prix à Lyon dans le concours où, si la distribution s’était faite, Bonaparte n’aurait eu vraisemblablement que le second rang, et jusqu’à la fin il continua de juger, au point de vue littéraire, ce singulier concurrent comme un homme qui a eu le prix juge celui qui n’a eu que l’accessit. […] Telle qu’on la peut lire, elle constitue un mémorable morceau d’histoire, où le gouvernement de Robespierre est jugé d’un point de vue supérieur. […] L’Égypte, si belle qu’il l’eût jugée d’abord, ne pouvait être pour Napoléon qu’un moyen et non un but.
S’agit-il de juger ses compagnons et ses amis les poètes, Ronsard et les autres ? […] M. le chancelier s’en contriste : tous les autres y prennent plaisir (1561). » Il gémit de ce vertige presque universel ; il sent que le peuple et la classe moyenne n’ont rien à gagner à ces querelles d’ambitieux qui se servent des passions et des croyances de tous pour arriver à leurs propres fins et se supplanter l’un l’autre : « S’il m’étoit permis de juger des coups, écrit-il, je vous dirois que c’est le commencement d’une tragédie qui se jouera au milieu de nous, à nos dépens ; et Dieu veuille qu’il n’y aille que de nos bourses ! » Il parle des principaux chefs et auteurs de ces maux avec mesure pourtant, et en parfaite connaissance de cause : jamais les Guise et Coligny n’ont été mieux jugés et mis en balance, vices et vertus, avec une plus impartiale équité.
Boullée ; voyons s’il n’y a pas à ajouter, à retrancher peut-être quelque chose à ce qu’il dit du d’Aguesseau littéraire, et à faire entrer aussi dans l’idée générale de l’homme quelques traits essentiels que le biographe a jugés incompatibles avec l’ensemble du caractère, et qui, selon moi, ne le sont pas. […] Le cardinal de Fleury, dans ses dépêches, n’a pas jugé d’Aguesseau autrement lorsqu’il a écrit : « M. le chancelier est certainement très habile, et a de grandes lumières ; mais, à force d’en avoir, il trouve des difficultés à tout. » Pourquoi un grand magistrat n’est-il pas nécessairement un bon politique ? […] On peut juger que la philosophie du temps ne trouvait guère son compte avec lui, et qu’elle frémissait souvent d’impatience et de colère de se sentir ainsi contenue.
Doué d’une grande facilité à produire et d’une grande aptitude à juger, d’une ardeur d’amour-propre qui paraît inhérente au tempérament littéraire, et d’une excessive irritabilité dans les matières de goût, La Harpe, en entrant dans le monde, se fit des ennemis dont il accrut le nombre durant le cours de ses variations si peu ménagées, et leur animosité a tout fait pour empoisonner sa vie et pour en noircir ou en travestir bien des circonstances. […] Ce La Harpe du Lycée, dans les années 1786-87-88, et les services sans mélange qu’il rendit alors à la raison littéraire et à la culture publique, doivent être toujours présents à ceux qui le jugent, et arrêter les plaisanteries qu’il est trop aisé de répéter quand il s’agit de lui. […] Dès qu’on veut entrer à son tour dans ce genre de littérature un peu convenu et circonscrit du xviiie siècle pour en juger en détail et avec proportion, on ne saurait mieux faire que d’entendre La Harpe ; j’en ai mille fois profité.
* * * La postérité, qu’il faut toujours invoquer lorsqu’il s’agit de juger un grand mort, ne sera pas impressionnée comme nous le sommes par l’étroitesse du champ où volontairement, sans doute, Émile Augier a contenu son fier et honnête génie. […] » Et lorsque l’on construisit l’église de Croissy, qui coûta deux cent mille francs, Augier tint à apporter son obole et m’envoya cinq cents francs… Il n’allait pas à la messe, il est vrai ; mais que de fois, il a donné le pain bénit… Un jour même, je m’en souviens, il blâma Victor Hugo de n’avoir pas voulu recevoir de prêtre à son lit de mort… » Aussi je suis persuadé que, s’il eût gardé sa connaissance, il eût été heureux de recevoir mes encouragements et mes exhortations au moment où il était rappelé vers un monde meilleur… » Les funérailles aux frais de l’État Les paroles si conciliantes et si prudentes du vénérable curé de Croissy, le souci que montra naguère l’illustre mort de s’opposer à la reprise du Fils de Giboyer, pour ne pas paraître s’allier au gouvernement républicain dans sa lutte contre le sentiment chrétien, cette vie de travail, de gloire et de probité, doivent, dans un journal catholique, épargner un blâme, si discret soit-il, à l’homme de génie qui meurt sans que les siens lui aient permis, dans un but que nous n’avons pas à juger, de mettre son âme en règle vis-à-vis de Celui dont émane tout génie. […] Augier jugé par les maîtres Dès que nous avons appris la mort d’Augier, nous nous sommes adressé à ses confrères de l’Académie, à des écrivains, à des interprètes de ses œuvres, pour avoir leur opinion sur l’illustre maître.
par lequel Aubryet tranche nettement sur les critiques contemporains, qui jugent au détail comme les petits marchands y vendent. […] Quelques-uns d’entre eux, les plus vivants et les mieux doués, se sont rappelés le mot anti-critique de Diderot, cet homme d’à-côté, cette cruche de verve bouillonnante renversée : « qu’une œuvre à juger n’était jamais qu’un prétexte pour produire », et ils ont fait ce que j’appelle de la poésie en critique, créant, à leur manière, au lieu de juger, et jouant sur la sensation et sur la langue, comme Paganini sur son violon, des motifs parfois merveilleux.
Seulement, quoi qu’il arrive d’ailleurs, elles nous donneront du moins une occasion, pour lui cruelle, de le juger. VI Car il n’a jamais été jugé. […] Mais jugé, non !