c’est de montrer, au contraire, la technique de tout ; c’est d’arracher le voile d’or que l’imagination doit jeter sur le squelette des choses comme Dieu a jeté la beauté de la chair sur le squelette humain ! […] C’est la disparition volontaire d’un homme qui marchait au premier rang de l’état-major intellectuel de son siècle, et qui se jette dans le trou de sa décadence, dans ce byzantinisme encore plus honteux que celui de la décrépite Byzance ; car le sien, à Byzance, s’exerçait sur les choses sacrées, sur la théologie, sur la science de Dieu, et le nôtre, à nous, sur quelles chichetés s’exerce-t-il ? […] Il a découvert une maladie des plus rares, qui se termine par ce qu’il appelle une agonie sardonique, et c’est pendant cette agonie de son amant — lord Annandale — que la Faustin, qui a renoncé à la scène et reprise par la rage de l’art, par l’ogre qui dévore la nature et qui mange toujours la femme au profit de la comédienne, étudie, mime et répète devant une glace, avec la passion de l’artiste qui ne voit plus rien, ce rire affreux de son amant qui meurt, quand, dans un de ces retours de connaissance comme il en revient parfois aux mourants, le lord s’aperçoit du rire de sa maîtresse et la fait jeter à la porte par ses valets.
Déjà, dans un séjour qu’il y avait fait en 1662, il avait dû purger les lieux de la présence des anciens religieux, au nombre de six, qui n’en avaient plus que le nom et qui y vivaient en toutes sortes de désordres ; menacé par eux et au risque d’être poignardé ou jeté dans les étangs, il avait tenu bon, refusant même l’assistance que lui offrait M. de Saint-Louis, un colonel de cavalerie du voisinage, digne militaire dont Saint-Simon nous a transmis les traits. […] L’illustre biographe qui vient d’aborder l’homme sous le saint l’a bien senti : il a jeté tout d’abord un coup d’œil de connaissance sur cette haine passionnée de la vie, sur cet amour amer de la mort : le côté fixe et glorieux de l’éternité y a un peu faibli. […] On rougit en pensée des folies que l’on a confiées au papier ; on voudrait pouvoir retirer ses lettres et les jeter au feu.
J’omets toujours Manon et son Paris du temps du Système, son Paris de vice et de boue, où toutes les ordures sont entassées, quoique d’occasion seulement, remarquez-le bien, quoique jetées là sans dessein de les faire ressortir, et d’un bout à l’autre éclairées d’un même reflet sentimental. […] C’est l’inconsolable douleur de cette perte qui lui fait dire avec un accent de conviction naïve bien aussi pénétrant que nos obscurités fastueuses : « Si les pleurs et les soupirs ne peuvent porter le nom de plaisir, il est vrai néanmoins qu’ils ont une douceur infinie pour une personne mortellement affligée97. » Jeté par ce désespoir au sein de la religion, dans l’abbaye de…., où il séjourne trois ans, le marquis en est tiré, à force de violences obligeantes, par M. le duc de…, qui le conjure de servir de guide à son fils dans divers voyages. […] Après le voyage d’Espagne et de Portugal, et durant la traversée pour la Hollande, M. de Renoncour rencontre inopinément dans le vaisseau ses deux neveux, les fils d’Amulem, frère de Sélima ; et cette gracieuse turquerie, jetée au travers de nos gentilshommes français, ne cause qu’autant de surprise qu’il convient.
Rousseau a déclaré qu’il est bon, et le beau monde s’est jeté dans cette croyance avec toutes les exagérations de la mode et toute la sentimentalité des salons. […] De là en lui un fonds persistant de brutalité, de férocité, d’instincts violents et destructeurs, auxquels s’ajoutent, s’il est Français, la gaieté, le rire, et le plus étrange besoin de gambader, de polissonner au milieu des dégâts qu’il fait ; on le verra à l’œuvre. — En second lieu, dès l’origine, sa condition l’a jeté nu et dépourvu sur une terre ingrate où la subsistance est difficile, où, sous peine de mort, il est tenu de faire des provisions et des épargnes. […] De là en lui un excès de sensibilité, des afflux soudains d’émotion, de transports contagieux, des courants de passion irrésistible, des épidémies de crédulité et de soupçon, bref l’enthousiasme et la panique, surtout s’il est Français, c’est-à-dire excitable et communicatif, aisément jeté hors de son assiette et prompt à recevoir les impulsions étrangères, dépourvu du lest naturel que le tempérament flegmatique et la concentration de la pensée solitaire entretiennent chez ses voisins Germains ou Latins ; on verra tout cela à l’œuvre
On dit que ce sont tous des habitants de la campagne qui, n’y pouvant plus tenir par les vexations qu’ils y essuient, viennent se réfugier dans la ville, … préférant la mendicité au labeur. » — Pourtant le peuple des villes n’est guère plus heureux que celui des campagnes. « Un officier dont la troupe est en garnison à Mézières m’a dit que le peuple est si misérable dans cette ville, que, dès qu’on avait servi le dîner des officiers dans les auberges, le peuple se jetait dessus et le pillait. » — « Il y a plus de douze mille ouvriers mendiants à Rouen, tout autant à Tours, etc. […] En Bourgogne, près de Châtillon-sur-Seine, « les impôts, les droits seigneuriaux et dîmes, les frais de culture partagent par tiers les productions de la terre et ne laissent rien aux malheureux cultivateurs, qui auraient abandonné leurs champs, si deux entrepreneurs suisses, fabricants de toiles peintes, n’étaient venus jeter par an quarante mille francs d’argent comptant dans le pays624 ». […] Dans les contrées les plus fertiles, en Limagne par exemple, chaumières et visages, tout annonce644 « la misère et la peine » « La plupart des paysans sont faibles, exténués, de petite stature. » Presque tous récoltent dans leurs héritages du blé et du vin, mais sont forcés de les vendre pour payer leurs rentes et leurs impositions ; ils ne mangent qu’un pain noir fait de seigle et d’orge, et n’ont pour boisson que de l’eau jetée sur le restant des marcs. « Un Anglais645 qui n’a pas quitté son pays ne peut se figurer l’apparence de la majeure partie des paysannes en France. » Arthur Young, qui cause avec l’une d’entre elles en Champagne, dit que, « même d’assez près, on lui eût donné de soixante à soixante-dix ans, tant elle était courbée, tant sa figure était ridée et durcie par le travail ; elle me dit n’en avoir que vingt-huit ».
Je me jetai aussitôt et en pleurant vers le fond du lit, et là, pour ainsi dire, je lâchai la bride à ma douleur et à mes larmes. […] Alors il nous jeta quelques paroles toujours remplies, selon sa coutume, d’urbanité, d’affection et d’amitié ; il plaisantait même avec nous, et, en nous regardant tous deux : « J’aurais bien voulu, nous dit-il, que la mort eût différé son arrivée jusqu’au jour où j’aurais entièrement complété votre bibliothèque ; il ne s’en fallait pas de beaucoup. » À peine Pic s’était éloigné, que Jérôme de Ferrare, homme remarquable et par son savoir et par sa sainteté, prédicateur distingué de la science céleste, entra dans la chambre à coucher et l’exhorta à bien garder sa foi : « Oui, et inébranlable, répondit-il avec assurance » ; de prendre la résolution de vivre le plus irréprochablement possible : « Sans aucun doute, répondit-il encore avec fermeté » ; qu’enfin, s’il le fallait, il supportât la mort avec calme : « Rien ne m’est plus agréable que de mourir, si Dieu le veut. » Après cela, Jérôme se retirait, lorsque Laurent : « Hé ! […] Son art et ses ordonnances lui ayant fait défaut, il en fut désespéré, se jeta dans un puits, et médecin, si vous regardez au mot, il rendit sa part d’honneurs au chef de la famille des Médicis.
La part des clercs et de l’esprit clérical dans la littérature française devient de plus en plus grande, à mesure que la bourgeoisie prend de l’importance, réfléchit, s’éclaire, à mesure aussi que les écoles, et l’Université de Paris surtout, définitivement organisée au commencement du xiiie siècle, jettent dans le monde et comme sur le pavé une foule de clercs qui ne sont plus ou sont à peine d’Église : ces clercs sans mission ni fonction répandront hors des écoles et des couvents, hors de la langue latine aussi, les idées, les connaissances, les habitudes intellectuelles, les procédés logiques du monde qui les a formés. […] Et c’est pareillement un coin d’idylle qui fleurit en pleine aridité de la métaphysique amoureuse, quand le poète fait dire à son amant : Je ressemble le paysan Qui jette en terre sa semence, Et il a joie à regarder Comme elle est belle et drue en herbe : Mais avant qu’il en cueille gerbe, Par malheur l’empire et la grève Une male nue, qui crève Quand les épis doivent fleurir : Et fait le grain dedans mourir, Et ravit l’espoir du vilain. […] Rien ne lui a échappé : et il a jeté tout cela, abondamment, confusément dans son poème, laïcisant, c’est-à-dire vulgarisant la science des écoles, initiant les seigneurs et les bourgeois aux plus graves problèmes, aux plus hardies solutions, aux plus téméraires inquiétudes, sollicitant le vulgaire à savoir, à penser, par conséquent à s’affranchir, et faisant ainsi une œuvre qu’on a pu comparer à celle de Voltaire.
On me dira qu’il faut bien que tout le monde vive ; cependant, Alfred Jarry est mort de misère à la Charité, Léon Deubel s’est dû jeter à la Seine (etc…) ; et Gérard de Nerval, et Louis Bertrand (etc…) ? […] Mais la presse jette des poignées de noms pêle-mêle et passe : il reste à faire l’indispensable sélection, c’est-à-dire le principal. […] Fortunat Strowski (Tableau de la littérature française au xixe siècle) a précisément cité ce curieux passage de Sainte-Beuve : « Loin de nous de penser que le devoir et l’office de la critique consistent uniquement à venir après les grands artistes, à suivre leurs traces lumineuses, à recueillir, à ranger, à inventorier leur héritage, à orner leur monument de tout ce qui peut le faire valoir et l’éclairer… ; il en est une autre plus alerte, plus mêlée au bruit du jour et à la question vivante, elle doit nommer ses héros, ses poètes ; elle doit s’attacher à eux de préférence, les entourer de son amour et de ses conseils, leur jeter hardiment les mots de gloire et de génie dont les assistants se scandalisent, faire honte à la médiocrité qui les coudoie, crier place autour d’eux, etc… »
D’abord, ils s’ennuieront de la scolastique ; la scolastique jetée de côté, on changera la forme des idées, et puis on reconnaîtra l’impossibilité de l’explication orthodoxe de la Bible, etc. […] » Si vous n’étiez pas ce que vous êtes, je me jetterais à vos genoux, devant vous, pour vous demander, au nom de notre amitié, si vous vous sentez capable de jurer de vous-même que vous ne changerez d’avis à aucune époque de votre existence. […] Je ne puis pourtant m’empêcher de jeter à la hâte sur le papier les principaux points sur lesquels il est important que, à l’heure même, nous nous entendions.
Il se jette sur les cavaliers, les disperse et alors seulement sa femme daigne le reconnaître et le laisser entrer dans la ville avec tous les honneurs qui lui sont dus. […] Une fois la guerre civile apaisée, elles se jettent tête baissée dans les querelles religieuses ; ces belles guerrières se font théologiennes ; elles sont jansénistes ou orthodoxes avec la même frénésie et la même légèreté qu’elles ont été frondeuses ou mazarines. […] N’est-ce pas elle qui anime, excite, soutient son pâle amant, qui le force à tenir ses promesses, quand il est près de renoncer au complot où elle l’a jeté ?