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264. (1912) L’art de lire « Chapitre XI. Épilogue »

Mais pour ceux qui sont entre les deux extrêmes, et c’est le cas, je pense, de la plupart d’entre nous, le livre, ce petit meuble de l’intelligence, ce petit instrument à mettre en activité notre entendement, ce moteur de l’esprit qui vient au secours de notre paresse et plus souvent de notre insuffisance, et qui nous donne la délicieuse jouissance de croire que nous pensons, alors que nous ne pensons peut-être pas du tout, le livre est un ami précieux et bien cher. […] Il est plus facile d’être assoté par un sot livre que de le rendre intelligent ou de le faire servir à son intelligence par la façon dont on le lit.

265. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Elle le condamne à ce pessimisme qui peut satisfaire son intelligence et son orgueil. — Et son cœur ? […] A côté d’eux il y a place pour ceux dont l’intelligence a, comme pôle naturel, non pas l’analyse, mais le rêve. […] Aucune intelligence n’est plus nettement caractérisée que la sienne par le goût et le pouvoir des larges conceptions d’ensemble. […] Avec une intelligence de cet ordre et cette sensibilité, comment M.  […] Quoique femme, son intelligence énergique s’est haussée jusqu’à l’analyse abstraite.

266. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

Qu’est-elle devenue cette tradition nouvelle, élargie, féconde, qui, une fois nouée, devait se perpétuer et grandir pour l’honneur de la civilisation et de la libre intelligence ? […] M. de Rémusat encore eût été sans doute des mieux désignés : son intelligence et son talent réfléchi rayonnaient alors dans tous les sens. […] Quoique Ampère eût de mauvais yeux, et qu’évidemment la nature ne l’eût point formé pour le pittoresque, il s’en tire à force d’esprit et d’intelligence. […] En tout, il est ainsi : une prompte intelligence le guide, et chaque trait porte où il faut. […] Celle d’Ampère était très-particulière, des plus actives, aussi complexe que son intelligence elle-même, et elle avait ses exigences qu’il faut au moins indiquer.

267. (1927) Des romantiques à nous

Je tâche de me donner le change à moi-même par des sympathies que je me suggère et par l’intelligence rapide de toute chose. […] L’intelligence, la pensée n’auraient aucune part dans une inspiration poétique vraie, laquelle serait pur frisson instinctif. […] Saint-Saëns est le musicien de l’intelligence. […] Par suite, leurs vues, leur intelligence, sans étendue et sans envol.  […] Il avait le cœur simple et grand, l’intelligence vaste, avide et vigoureuse.

268. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

. — Rapport de l’intelligence avec leur volume et avec l’étendue de cette substance grise. — L’action des lobes cérébraux est la condition suffisante et nécessaire des images ou sensations réviviscentes, et par suite de toutes les opérations mentales qui dépassent la sensation brute. — Expériences de Flourens et Vulpian. — Concordance des observations pathologiques. […] « L’animal perd toute son intelligence. » Quoiqu’il ait, avec ses tubercules quadrijumeaux et sa protubérance, conservé les sensations brutes, il n’a plus les images qui, associées aux sensations brutes, lui donnaient la notion des objets. […] En effet, c’est cette écorce dont les circonvolutions augmentent l’étendue, et l’anatomie comparée montre que dans la série animale l’intelligence augmente avec les circonvolutions. […] D’innombrables courants intellectuels cheminent ainsi dans notre intelligence et dans notre cerveau, sans que nous en ayons conscience ; et ordinairement ils n’apparaissent à la conscience qu’au moment où, devenant moteurs, ils entrent dans un autre lit. […] Dans la première, l’animal (chien, lapin) éthérisé perd son intelligence, sa volonté, ses instincts, toutes ses facultés, moins ses sensations brutes.

269. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Pour lui, l’intelligence trouve à la fois son « éclipse » et sa « preuve » dans le mystère éternel, qu’elle ne peut pénétrer et que cependant elle conçoit. […] Une terre au flanc maigre, âpre, avare, inclément, L’ombre est le mal pour l’intelligence, parce que c’est l’impénétrable et l’insondable. […] Toute bête mauvaise, comme toute intelligence perverse, est sphinx ; sphinx terrible proposant l’énigme terrible, l’énigme du mal. […] Sous les clartés du dehors, ce que le poète veut découvrir, ce sont les clartés de l’intelligence, les vérités, que le monde physique, au moment même où il semble les faire éclater aux yeux, enfouit et dérobe. […] S’il en était ainsi, il faudrait le regretter pour les critiques notables : cela ne ferait pas honneur à leur intelligence.

270. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — I. » pp. 180-197

Bossuet, c’est le génie hébreu, étendu, fécondé par le christianisme, et ouvert à toutes les acquisitions de l’intelligence, mais retenant quelque chose de l’interdiction souveraine, et fermant exactement son vaste horizon là où pour lui finit la lumière. […] Encore, parmi les Juifs, tous les deux partis conspiraient à repousser l’ennemi commun, bien loin de vouloir se fortifier par son secours ou y entretenir quelque intelligence ; le moindre soupçon en était puni de mort sans rémission. […] En résumé général, dans cette physionomie, la grâce du caractère couvrait si complètement la force de l’intelligence, et la suavité y tempérait si harmonieusement la virilité de l’ensemble, qu’on ne s’y apercevait du génie qu’à l’exquise délicatesse des muscles et des nerfs de la pensée, et que l’attrait l’emportait sur l’admiration… Voilà un Bossuet primitif bien adouci et attendri, cela me semble, un Bossuet qu’on tire bien fort à soi du côté de Jocelyn et de Fénelon, afin de pouvoir dire ensuite : « L’âme évidemment dans ce grand homme était d’une trempe, et le génie d’une autre. […] Allez plutôt voir au Louvre son buste par Coysevox : noble tête, beau port, fierté sans jactance, front haut et plein, siège de pensée et de majesté ; la bouche singulièrement agréable en effet, fine, parlante même lorsqu’elle est au repos ; le profil droit et des plus distingués : en tout une expression de feu, d’intelligence et de bonté, la figure la plus digne de l’homme, selon qu’il est fait pour parler à son semblable et pour regarder les cieux.

271. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Cette première partie seule a paru ; et elle-même se compose de trois parties inégales et fort différentes, qu’il importe de bien distinguer pour avoir l’intelligence du monument inachevé et plus grand encore par le dessein que par l’art. […] Il le propose comme le modèle inimitable des abrégés : « Cet écrivain, dit-il, que je ne me lasse point de lire ; que, par pressentiment, j’ai admiré toute ma vie ; qui réunit tous les genres ; qui est historien, quoique abréviateur ; qui, dans le plus petit espace, nous a conservé un grand nombre d’anecdotes qu’on ne trouve point ailleurs ; qui défend son lecteur de l’ennui d’un abrégé par des réflexions courtes, qui sont comme le corollaire de chaque événement ; dont les portraits nécessaires pour l’intelligence des faits sont tous en ornement ; enfin l’écrivain le plus agréable que l’on puisse lire… », cet écrivain sans pareil n’est autre pour lui que Velléius. […] Quand je parle d’art, je sais bien qu’il y a dans cette seconde partie des endroits où certaines idées mystiques, symboliques ou morales, sont trop développées ; il y aura plus d’une fois redondance ; il y aura des moments où Bossuet s’oubliera, s’étendra un peu trop au point de vue de la composition, où il reviendra sur ce qu’il a dit déjà, et sinon l’intelligence, du moins la satisfaction du lecteur en pourra souffrir. […] Je conçois au Moyen-Age de grandes intelligences, de celles qui sont surtout de grands talents, je les conçois comme n’ayant jamais dépassé ni essayé de franchir le cercle rigoureux que la foi traçait autour d’elles : mais je ne comprends plus pareille chose au XVIIe siècle.

272. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

J’aurais grand besoin cette fois qu’un moraliste fin, discret, adroit et prudent, un Addison, me prêtât son pinceau sans mollesse et sans amertume : car c’est d’un mal moral que je voudrais traiter, et d’un mal présent ; j’ai en vue de décrire la maladie d’une partie notable de la société française (de la fleur et non pas du fond de cette société), et, en la décrivant au naturel, de faire sentir à de belles et fines intelligences qu’elles ont tort de loger et d’entretenir si soigneusement en elles un hôte malin qui, à la longue, est de nature à porter atteinte à la santé même de l’esprit. […] C’est cette génération, accoutumée au pouvoir durant dix-huit ans, pleine encore de force, de capacité, d’intelligence, se ramifiant dans les classes élevées et dans les moyennes, qui, frappée à son tour, est malade en ce moment du genre d’irritation que je signale. […] Hommes de la génération de 1830, tombés en 1848, désormais évincés et très ajournés, vous qui vous êtes toujours piqués de tout comprendre dans l’histoire, et qui, par l’étude, par les idées, par une habituelle et libre ouverture de l’intelligence, vous êtes crus et êtes, en effet, si supérieurs aux plus hommes d’esprit de cette race de 1815, n’admettez en vous trop longtemps aucun grain d’aigreur et d’amertume, aucun levain pareil au leur et qui est de nature à se loger si aisément au cœur de l’homme. […] Il commet lui-même la plus grande, et il en est puni dans la droiture et dans l’étendue de son intelligence.

273. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Voici des personnages que les circonstances de leur état, de leur caste, de leur sexe, de leur intelligence naturelle destinent à des manières d’être précises et qui excitent notre rire parce qu’un engouement les détermine à se concevoir autres que ne les a faits la nature et la société, à assumer un rôle où ils trébuchent, où leur inexpérience leur fait commettre mille bévues, où le milieu les dessert constamment. […] À côté de ces cas que chacun imagine et qui relèvent chez l’individu d’une présomption quant à la valeur de son intelligence de son adresse ou de sa force physique on ne va retenir ici, comme exemples de ce Bovarysme tragique, que ces fausses conceptions que, sous l’empire du milieu, mœurs et coutumes, l’individu se forme de sa sensibilité. […] C’est ainsi que bien des vocations enfantines se brisent à l’épreuve des examens, démontrant l’inaptitude de l’intelligence au but qu’elle a poursuivi. […] La franc-maçonnerie du signe remplaçant l’acte complexe de l’intelligence sera donc ici toute-puissante, et ce qu’il faut admirer c’est l’étrange puérilité des simulacres qui, fortifiés par la vertu de l’association, suffisent à pénétrer les snobs de la conscience de leur valeur.

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