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1376. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre premier. Table chronologique, ou préparation des matières. que doit mettre en œuvre la science nouvelle » pp. 5-23

L’intelligence humaine, étant infinie de sa nature, exagère les choses qu’elle ignore, bien au-delà de la réalité.

1377. (1898) La cité antique

Nous avons en effet une partie de notre être qui se modifie de siècle en siècle ; c’est notre intelligence. […] Alors s’est déroulée la série des révolutions, et les transformations sociales ont suivi régulièrement les transformations de l’intelligence. […] Mais il ne devait pas se contenter longtemps de ces dieux si fort au-dessous de ce que son intelligence peut atteindre. […] Elle naquit dans les différentes intelligences par un effet de leur force naturelle. […] Il semblait qu’on ne se préoccupât ni de son caractère ni de son intelligence.

1378. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

La douceur de notre tempérament nous porte plus aux passions tendres qu’aux passions violentes, et l’équilibre de notre intelligence nous retient dans les idées moyennes. […] Mais quel grand esprit de ce temps-là n’eût pu dire les périls contre lesquels vous risqueriez de vous heurter, une fois sorties de l’intelligence des sages pour tomber dans la mêlée du monde ? […] Grâce à ce mélange de modestie et de noble confiance, qui forme comme le tempérament des intelligences à la fois supérieures et droites, M.  […] Mais ici, elle suppose encore une âme et une intelligence qui, en se soumettant à elle raisonnent du moins d’après elle. […] Petite misère de l’intelligence qui produit, à l’occasion, des effets risibles, rien de plus.

1379. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Et si j’avoue ce besoin impatient de discuter la pièce avant même de l’avoir racontée, c’est que cela montre assez quelle prise elle a sur l’imagination, sur l’intelligence et sur toute l’âme. […] Ohnet sont toujours bien jouées, sans doute, parce que l’intelligence de l’auteur et celle des comédiens sont toujours de plain-pied. […] » Ces jeunes gens feraient bien de choisir des scènes moins terribles, où ils auraient n’exprimer « les sentiments plus tempérés et nuancés ; ils pourraient nous y faire apprécier plus sûrement leur intelligence et leurs qualités de diction. […] Le candidat aurait quatre ou cinq heures pour l’apprendre et l’étudier ; et l’on pourrait beaucoup mieux juger de son intelligence. […] Puis on leur a cuisiné des programmes si complexes, si démesurés et qui dépassaient si évidemment la mesure de leur intelligence, ou de leur mémoire, ou de leur effort, — que ces programmes les mettaient en réalité fort à l’aise.

1380. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Leclerc appartient à cette École des sciences politiques dont le programme, tracé par de fermes esprits, est appliqué, depuis vingt ans, par une souple et robuste intelligence, doucement rebelle aux résistances et prompte à rayonner sur les hommes et sur les choses qui l’entourent. […] On connaît le diagnostic par lequel l’illustre auteur du traité de l’Intelligence nous expliqua la névrose particulière à qui nous devons Hamlet, le Roi Lear, Comme il vous plaira et Beaucoup de bruit pour rien. […] Il s’entend mieux à ébranler notre intelligence qu’à toucher notre cœur. […] Leurs templa serena sont des retraites mortelles, où l’air, trop subtil, exalte l’intelligence et paralyse la volonté. […] Leur intelligence a fonctionné comme un mécanisme d’acier, broyant tout dans ses délicats et implacables engrenages.

1381. (1933) De mon temps…

Paul Adam avait été séduit par l’intelligence de ce camarade qui se mêlait déjà d’écrire et se déclarait l’auteur de contes qui excitèrent une vive admiration chez le futur romancier de Chair molle. […] Il fréquentait volontiers les mardis de Stéphane Mallarmé, et Mallarmé appréciait fort l’intelligence de ce Slave subtil, subtilement au fait de l’œuvre mallarméenne sur laquelle il avait écrit un ingénieux commentaire où il proposait des explications plausibles à certains des plus difficiles et des plus obscurs poèmes qui faisaient comparer l’auteur de l’Après-midi d’un Faune tantôt à l’hermétique et mystérieux Lycophron, tantôt à l’énigmatique et allusif Gongora. […] Quand il avait ainsi bien pris position et assené à l’un ou à l’autre quelque vérité plus ou moins désobligeante, il devenait un causeur de haut intérêt et révélait sa vaste intelligence, son savoir presque universel, son érudition infinie. […] Amené chez elle par le peintre Maxime Dethomas, Toulet semblait sensible aux preuves d’amicale sollicitude dont il était l’objet de la part de cette femme qui, par sa large intelligence et sa remarquable compréhension, exerçait une grande influence sur tous ceux qui l’approchaient, il était difficile de résister à l’attrait puissant de cette forte personnalité, et Toulet, malgré tout ce qu’il y avait en lui de rétif et de susceptible, s’y soumettait, non sans parfois des dérobades soudaines et des résistances têtues, mais Mme Bulteau était trop ferme dans sa volonté d’être utile à ses amis pour se laisser décourager dans ce qu’elle entreprenait pour eux.

1382. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Mais, au contraire, puisque, aussi longtemps que durera la langue française, on continuera de lire et d’étudier l’œuvre de Victor Hugo, il ne nous faut dès à présent retenir de sa vie que ce qui importe à l’intelligence de son œuvre, et n’y rien chercher de plus que les raisons de ce qui nous choque ou de ce que nous admirons dans son œuvre. […] Tout ce qui passe par les yeux, par les oreilles et par l’intelligence de leurs filles se purifie instantanément. […] Leconte de Lisle s’en indignait, lui qui croyait « que l’art et la science, longtemps séparés par suite des efforts de l’intelligence, devaient tendre à s’unir étroitement, sinon à se confondre ». […] Renan, l’idée du progrès à l’infini de l’intelligence et de la raison, n’enfermerait-il pas aussi celle de la réalisation de la justice ? […] Si quelques historiens, ou plutôt quelques poètes, comme un Carlyle et comme un Michelet, en ne proposant d’autre objet à l’histoire que « la résurrection du passé », l’ont sans doute plus d’une fois refaite au gré de leur imagination visionnaire, de quelles vives lueurs aussi n’ont-ils pas éclairé plus d’une fois les profondeurs de la tradition, et l’intelligence du passé n’est-elle pas d’abord au prix de cette résurrection ?

1383. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Et c’était très bien, si l’on voulait punir. — Voyez-vous bien là la preuve qu’on ne se fiait pas à un juge intelligent, précisément à cause de son intelligence, pour punir un homme et que par un détour et une fiction, on le forçait à ne pas juger lui-même. […] Il en est ainsi et il faut avoir l’intelligence de le comprendre et le courage de le dire. […] Il est très rare qu’une nature supérieure conserve assez de raison [de souplesse de bon sens et d’intelligence compréhensive] pour comprendre et pour traiter les hommes ordinaires en tant qu’hommes ordinaires. […] L’art n’est d’abord, ce semble, qu’un exercice de l’intelligence, et ce n’est que peu à peu qu’il en devient un de la sensibilité, puis, peut-être, de la sensibilité unie à l’intelligence, et enfin de l’être tout entier. […]   Ne quittons pas Nietzsche, après l’avoir tant combattu, sans reconnaître que c’est une très haute intelligence servie par une admirable imagination.

1384. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Quand j’en avais un d’intelligence moyenne, il ne passait pas un mois à mon service, avant de se croire le droit d’imiter mes façons et d’être tenté d’offrir au public des petits cafés du Bruant authentique. […] Il demande un effort trop grand à l’intelligence moyenne de notre temps. […] L’intelligence qui bâtit les systèmes et l’expérience qui les éprouve sont du domaine de la science. […] Il publia ses premières nouvelles, un recueil de scènes champêtres réunies sous le titre Crime de village et, quoique pour nous il se retrouve tout entier dans l’un ou l’autre de ces récits, son intelligence lui disait, — et l’intelligence chez Renard est le porte-parole de son instinct littéraire, — qu’il risquait de tomber dans un genre où le chic pourrait remplacer le véritable talent. […] Il a une grande admiration pour le sang-froid et les vertus mâles des autres et se soumettra volontairement, quoique ce soit avec l’arrière-pensée de dominer à son tour son dominateur, grâce à son intelligence plus vive.

1385. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Toutes deux, excessives, avaient dégénéré par l’emportement de leur propre force : l’une avait exalté l’indépendance jusqu’à la révolte, l’autre avait égaré la piété jusqu’à l’enthousiasme ; la première rendait l’homme impropre à la vie civile, la seconde retirait l’homme de la vie naturelle ; l’une, instituant le désordre, dissolvait la société ; l’autre, intronisant la déraison, pervertissait l’intelligence. […] Cette conception, infiniment compliquée et subtile, œuvre suprême du mysticisme oriental et de la métaphysique grecque, si disproportionnée à leur jeune intelligence, ils vont s’user à la reproduire, et, par surcroît, accabler leurs mains novices sous le poids d’un instrument logique qu’Aristote avait construit pour la théorie, non pour la pratique, et qui devait rester dans le cabinet des curiosités philosophiques sans jamais être porté dans le champ de l’action. « Si220 la divine essence a engendré le Fils ou a été engendrée par le Père. —  Pourquoi les trois personnes ensemble ne sont pas plus grandes qu’une seule ?  […] Il y en a qui vont, comme Raymond Lulle, jusqu’à inventer une machine à raisonnement pour tenir lieu de l’intelligence.

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