Nous n’avons pour cela qu’à déterminer avec précision la nature des « visions fantasmatiques » dans le cas où un observateur intérieur à un système S′, ayant eu la perception réelle d’une longueur invariable l, se représenterait l’invariabilité de cette longueur en se plaçant par la pensée hors du système et en supposant alors le système animé de toutes les vitesses possibles. […] Généralisons la question, et demandons-nous d’abord comment s’exprime, par rapport à des axes rectangulaires situés à l’intérieur d’un système matériel S′, la distance entre deux points du système. […] Entre la perception de la ligne droite A′ B′ à l’intérieur du système S′, et la conception de la ligne brisée A′ C′ B′ quand on se suppose à l’intérieur du système S, il n’y aurait pas une différence de nature. […] Mais nous avons envisagé un cas particulier, celui où les événements en A′ et B′ sont aperçus, à l’intérieur du système S′, comme simultanés. […] Mais nous nous demanderons cette fois comment l’observateur intérieur à S′, constatant dans ce système et la constance de la longueur d’Espace équation et celle de la longueur de Temps équation pour toutes les vitesses dont on pourrait supposer le système animé, se représenterait cette constance en se plaçant par la pensée dans un système immobile S.
Là où l’on est plus sûr de les retrouver et où leur signature apparaît authentique, c’est dans ces peintures ordinaires d’intérieurs de fermes, de repas de famille, de brebis qu’on fait boire à l’abreuvoir, etc. ; toutes scènes domestiques ou champêtres, peu variées, ou qui ne semblent guère que des variantes d’un même fond de tableau, mais toutes d’un ton juste, d’une couleur un peu grise ou crayeuse, mais saine, où rien ne dépasse d’une ligne la stricte réalité, et où elle nous est livrée encore plus que rendue dans son jour habituel, dans son uniformité même et sa rusticité. […] Comme il n’y a rien de tel en littérature que de lire, et en art que de regarder et d’observer, je décrirai encore deux de leurs tableaux d’intérieur dont j’ai vu les originaux chez l’auteur du présent livre, et je les rendrai sous l’impression exacte qu’ils m’ont laissée. […] Autre tableau d’intérieur : — le fond est un grand manteau de cheminée ; ce fond d’ailleurs est très-sombre ; le feu s’éteint. […] Au xviiie siècle, l’excellent peintre de genre, Chardin, semble avoir voulu renouer à eux pour les scènes d’intérieur et la représentation des objets naturels : « C’est là, c’est chez lui, disait Diderot, l’un de ses grands admirateurs, qu’on voit qu’il n’y a guère d’objets ingrats dans la nature, et que le point est de les rendre. » Chardin, qui était, en outre, un homme de beaucoup d’esprit, répandait sur ses reproductions naturelles une qualité que les Le Nain avaient trop négligée ou ignorée, l’agrément : ceux-ci lui restaient supérieurs peut-être par un trait moral plus prononcé, par une bonhomie plus antique. […] je laisse maintenant ces trouvailles à d’autres ; mais ce qui ne sera jamais démenti, c’est qu’ils étaient pleins de compassion pour les pauvres, qu’ils aimaient mieux les peindre que les puissants, qu’ils avaient pour les champs et les campagnards les aspirations de La Bruyère, qu’ils croyaient en leur art, qu’ils l’ont pratiqué avec conviction, qu’ils n’ont pas craint la bassesse du sujet, qu’ils ont trouvé l’homme en guenilles plus intéressant que les gens de cour avec leurs broderies, qu’ils ont obéi au sentiment intérieur qui les poussait, qu’ils ont fui l’enseignement académique pour mieux faire passer sur la toile leurs sensations : enfin, parce qu’ils ont été simples et naturels, après deux siècles ils sont restés et seront toujours trois grands peintres, les frères Le Nain. » J’honore le critique qui trouve de tels accents, et quand il aurait excédé un peu, comme c’est ici le cas, dans ses conjectures ou dans son admiration pour les trois frères indistinctement, il n’aurait fait que réparer envers ces bons et dignes peintres un long arriéré d’oubli et d’injustice, leur rendre avec usure ce que près de deux siècles leur avaient ôté ; il n’aurait pas fait d’eux un portrait faux, car il reconnaît et relève en toute rencontre leurs inégalités et leurs défectuosités originaires, il n’aurait donné en définitive qu’un portrait un peu idéal, ou du moins un portrait un peu plus grand que nature, un peu plus accusé et accentué de physionomie, mais toujours dans les lignes de la ressemblance et de l’individualité.
La nature semble avoir voulu dérober de tout temps l’intérieur même de ce continent torride aux recherches et aux atteintes des Européens et des hommes du Nord, en séparant la côte nord et la lisière cultivable qui borde la Méditerranée des régions du centre par un vaste désert et une mer de sable, ce qu’on appelle le Sahara. […] Le Sahara se compose, en effet, d’un double élément et offre deux formes caractéristiques : « d’un côté, d’immenses plateaux dénudés, où la roche, continuellement balayée par les vents, n’est recouverte de terre végétale que dans les parties abritées ; d’un autre côté, d’immenses bas-fonds, envahis par les sables, de manière à faire disparaître le sol primitif, et dans lesquels s’amoncellent, en véritables montagnes, des dunes de cent mètres et plus de hauteur. » Ce sont ces dunes, et les bas-fonds ramifiés dans les intervalles, qu’a d’abord à traverser le voyageur dans toute la zone qui sépare la chaîne atlantique des massifs de l’intérieur : première difficulté. […] La géographie physique des lieux parcourus, la géologie, la météorologie, les productions minérales, la flore, si l’on ose parler ainsi, la faune, sont la matière d’autant de chapitres et de tableaux ; puis l’on passe au moral des peuples qui se meuvent dans ce cadre inflexible et sous ce climat impérieux : les centres commerciaux, les centres religieux, puis les mœurs des Touareg en particulier, leurs origines probables, leur histoire (si histoire il y a), leur constitution, leur vie politique et intérieure, tout vient par ordre et en son lieu. […] Les habitants, au nombre de sept mille environ, sans compter la population flottante, sont de race berbère, c’est-à-dire autochtone, et non arabe ; ils sont ainsi parents des Touareg, mais civilisés, assis et d’humeur citadine, tandis que les autres sont restés obstinément nomades : « Comme les nomades Touâreg, les Ghadamésiens sont souvent sur les routes pour leurs affaires ; mais rencontre-t-on une ville, ces derniers saisissent, en vrais citadins, l’occasion qui leur est offerte d’aller chercher un abri sous un toit protecteur, tandis que les Touâreg semblent tenir à honneur de ne jamais accepter l’hospitalité dans l’enceinte d’une ville, dans l’intérieur d’une maison. […] Dans ces limites il n’avait à redouter aucun danger ; mais l’intérieur lui fut interdit.
Mais, si nous en jugeons par les monuments écrasants de masse et imposants de solidité, par les montagnes des Troglodytes trouées comme des alvéoles de ruches humaines, par les temples de granit d’un seul bloc, par les pyramides, ces Alpes du désert élancées au ciel d’un seul jet, par les canaux creusés à main d’homme comme des lits au plus débordant des fleuves, par ces bassins intérieurs que tout le sable de l’Éthiopie ne suffirait pas à boire et que le percement de l’isthme de Suez s’efforce aujourd’hui de surpasser pour déverser trois mers en une et pour placer trois continents sous la main de l’Europe ; si nous en jugeons, dis-je, par ces gigantesques alphabets de pierre qui couvrent le sol de l’Égypte, sa littérature dut être aussi puissante que son architecture, car tous les arts prennent en général leur niveau dans une civilisation. […] C’est une seconde création que Dieu a permis à l’homme de feindre en reflétant l’autre dans sa pensée et dans sa parole ; un verbe inférieur, mais un verbe véritable, qui crée, bien qu’il ne crée qu’avec les éléments, avec les images et avec les souvenirs des choses que la nature a créées avant lui : jeu d’enfant, mais jeu divin de notre âme avec les impressions qu’elle reçoit de la nature ; jeu par lequel nous reconstruisons sans cesse cette figure passagère du monde extérieur et du monde intérieur, qui se peint, qui s’efface et qui se renouvelle sans cesse devant nous. […] Il faut plus encore, il faut que les notes de cette gamme humaine soient très sonores et très vibrantes en lui, pour communiquer leur vibration aux autres ; il faut que cette vibration intérieure enfante sur ses lèvres des expressions fortes, pittoresques, frappantes, qui se gravent dans l’esprit par l’énergie même de leur accent. […] Enfin, le sixième élément nécessaire à cette création intérieure et extérieure qu’on appelle poésie, c’est le sentiment musical dans l’oreille des grands poètes, parce que la poésie chante au lieu de parler, et que tout chant a besoin de musique pour le noter, et pour le rendre plus retentissant et plus voluptueux à nos sens et à notre âme. […] La nature, cruelle et consolatrice, semblait avoir voulu le recueillir tout entier dans ces spectacles intérieurs, en jetant ce voile sur sa vue.
Dès qu’elle était dans un intérieur, elle y était initiée comme pas une, et, par une sorte de vocation et de talent, elle y présidait bientôt insensiblement, et sans titre officiel, à tout ce qui s’y faisait d’habituel et de journalier, soit dans le ménage, soit dans le salon. […] Quand, plus tard, elle sera devenue la personne indispensable de l’intérieur de Versailles, la compagne du roi, la ressource des princes, celle dont nul dans la famille royale ne pouvait se passer un seul instant, elle se montrera capable de miracles en fait de sujétion et d’ennui. […] Quand les dames de Saint-Cyr la pressaient dans sa retraite dernière d’écrire sa vie, elle s’en défendait, en disant que ce serait une histoire uniquement remplie de traits merveilleux tout intérieurs : « Il n’y a que les saints qui pourraient y prendre plaisir. » Et elle croyait parler humblement en s’exprimant ainsi. […] Elle fut la personne essentielle, conseillante et consolante, raisonnable et tout à la fois agréable de cet intérieur royal au milieu de toutes les affaires et les afflictions. […] L’esprit de Mme de Maintenon, très juste également, ne l’était aussi que dans un cercle restreint, pour les choses de famille et de société, pour ce qui se passait dans l’intérieur d’une chambre : elle ne voyait pas et ne prévoyait pas au-delà de la muraille.
Le cercle est une courbe fermée, dont tous les points sont également distants d’un point intérieur appelé centre. — Mais qu’y a-t-il dans cette phrase ? […] Nous observons alors que cette idée ne ressemble en rien à cette image, sauf par son emploi ; comme l’image, elle rend présente une chose absente, voilà tout ; mais elle n’a pas d’autres propriétés ; elle n’est pas, comme l’image, un écho, l’écho d’un son, d’une odeur, d’une couleur, d’une impression musculaire, bref, la résurrection intérieure d’une sensation quelconque ; elle n’a rien de sensible, et nous ne la définissons qu’en niant d’elle toutes les qualités sensibles ; elle nous semble donc une pure action dénuée de toute qualité, sauf celle de rendre le myriagone présent en nous. […] Mais que pouvons-nous dire alors de cette action intérieure ? […] Ce que nous avons en nous-mêmes lorsque nous pensons les qualités et caractères généraux des choses, ce sont des signes, et rien que des signes, je veux dire certaines images ou résurrections de sensations visuelles ou acoustiques, tout à fait semblables aux autres images, sauf en ceci qu’elles sont correspondantes aux caractères et qualités générales des choses et qu’elles remplacent la perception absente ou impossible de ces caractères et qualités. — Ainsi lorsque, négligeant les sensations présentes, nous remarquons le peuple intérieur qui roule incessamment en nous, nous n’y trouvons que des images, les unes saillantes et sur lesquelles l’attention s’étale, les autres effacées et en apparence réduites à l’état d’ombres, parce que l’attention s’est détournée d’elles pour s’appliquer à leur emploi.
On trouverait, en rétablissant les anneaux intermédiaires de la chaîne, qu’à Pascal se rattachent les doctrines modernes qui font passer en première ligne la connaissance immédiate, l’intuition, la vie intérieure, comme à Descartes (malgré les velléités d’intuition qu’on rencontre dans le cartésianisme lui-même) se rattachent, plus particulièrement les philosophies de la raison pure. […] Ce n’est pas à dire qu’il n’y eût ou déjà, particulièrement en France, en Angleterre et en Écosse, des psychologues pénétrants ; mais l’observation intérieure, laissée à elle même et réduite à l’étude des phénomènes normaux, avait difficilement accès à certaines régions de l’esprit, notamment au « subconscient ». À la méthode habituelle d’observation intérieure le XIXe siècle en a adjoint deux autres : d’un côté, l’ensemble des procédés de mensuration dont on fait usage dans les laboratoires, et, d’autre part, la méthode qu’on pourrait appeler clinique, celle qui consiste à recueillir des observations de malades et même à provoquer des phénomènes morbides (intoxication, hypnotisme, etc.). […] Bref, il a conçu l’idée d’une métaphysique qui s’élèverait de plus en plus haut, vers l’esprit en général, à mesure que la conscience descendrait plus bas, dans les profondeurs de la vie intérieure.
Ce n’est pas tout ; d’après la définition du vrai et du certain que nous avons donnée plus haut, les hommes furent longtemps incapables de connaître le vrai et la raison, source de la justice intérieure 39, qui peut seule suffire aux intelligences. […] Cette justice intérieure, fut pratiquée par les Hébreux que le vrai Dieu éclairait de sa lumière, et auxquels sa loi défendait jusqu’aux pensées injustes, chose dont les législateurs mortels ne s’étaient jamais embarrassés. […] La justice intérieure ne fut connue chez eux que par les raisonnements des philosophes, lesquels ne parurent que deux mille ans après la formation des nations qui les produisirent.
Il a fallu la vue intérieure des caractères, la précision, l’énergie, la tristesse anglaise, la fougue, l’imagination, le paganisme de la Renaissance pour produire un Shakspeare. […] Mais, si on l’ouvre pour examiner l’arrangement intérieur de ses organes on y trouve un ordre aussi compliqué que dans les vastes chênes qui la couvrent de leur ombre ; on la décompose plus aisément ; on la met mieux en expérience ; et l’on peut découvrir en elles les lois générales, selon lesquelles toute plante végète et se soutient.
Déterminés dans le choix de leurs premières demeures par le besoin de trouver de l’eau et des aliments, ils ne peuvent se fixer d’abord sur le rivage de la mer, et les premières sociétés s’établissent dans l’intérieur des terres. […] C’est alors, plus de mille ans après le déluge, que Tyr, capitale de la Phénicie, descend de l’intérieur des terres sur le rivage, pour passer ensuite dans une île voisine.