Il lui transmit ses propres qualités très marquées, avec je ne sais quoi de fixe et d’opiniâtre : la probité, la fierté, la hauteur du cœur, et des instincts de race forte sous une brève stature. […] Saint-Simon, en entrant dans le monde à l’âge de dix-neuf ans, dénote bien ses instincts et ses goûts. […] Le jeune Saint-Simon est vertueux ; il a des mœurs, de la religion ; il a surtout d’instinct le goût des honnêtes gens.
On voit déjà les instincts se dessiner : naturel, moralité, simplicité, finesse ou bonhomie humaine plutôt qu’idéal poétique et grandeur. […] Il s’agit d’un jeune bossu qui a des instincts chevaleresques, des velléités oratoires, qui a surtout des besoins de tendresse et qui souffre de ne pouvoir se faire aimer. […] (Depuis que nous tracions ce rêve d’idylle, la réalité, comme il arrive trop souvent, a cessé d’y répondre ; toute une partie des rivages de ce beau Léman a été troublée ; notre cher canton de Vaud surtout s’est vu le théâtre d’une révolution sans but (février 1845) qui a fait prévaloir les instincts brutaux et grossiers.
Et cette épuration se fait spontanément en lui, par un instinct, une loi de sa nature : il est la poésie absolue ; ni penseur, ni peintre, ni historien. […] De catholique légitimiste, il est devenu libéral : mais à peine le souffle démocratique de 1830 l’a-t-il effleuré : ses instincts humanitaires restent hésitants, suspendus, épars ; il s’est laissé attacher à la dynastie de Juillet, il a accepté d’être pair de France. […] Il a le don de rapetisser, d’enniaiser tous les grands sujets, quand il y touche : la religion, par son Dieu des bonnes gens, ami de la joie et tendre aux mauvais sujets, par son agaçante conception d’un christianisme de pacotille qui met à l’aise tous les instincts matériels, par ses curés bénisseurs et bons vivants dont la perfection suprême est de ne pas être des gêneurs ; — le patriotisme, par un chauvinisme de méchant aloi, par l’exploitation fastidieuse de la gloire napoléonienne, avilie, vulgarisée, réduite aux puériles légendes de la redingote grise et du petit caporal ; — l’amour, par une sentimentalité frelatée, un mélange de grivoiserie et d’attendrissement qui exclut à la fois l’intensité de la passion sensuelle et la hauteur du sentiment moral ; — la morale, par une étroite et basse conception de la vie, mesquine dans la vertu, mesquine dans la jouissance, bien aménagée en un confortable égoïsme sans excès et sans danger.
XI Une des circonstances qui grandit en moi ce vague sentiment littéraire m’est encore présente à l’esprit ; j’aime à me la retracer quand je me demande à moi-même d’où m’est venu l’instinct et le goût des choses intellectuelles. […] Ils s’étaient rencontrés un jour par hasard dans ce site solitaire, poussés par le même instinct de solitude et de contemplation ; ils y avaient passé des heures d’entretien et de lecture agréables l’un avec l’autre ; le lendemain ils s’y étaient retrouvés sans surprise, et, depuis, sans s’y donner jamais de rendez-vous, ils s’y rencontraient presque tous les jours. […] La littérature n’est pas moins indispensable au récit qu’à l’action des grandes choses ; le peuple lui-même le plus illettré, quand il est rassemblé et élevé au-dessus de son niveau habituel, comme l’Océan dans la tempête par une de ces grandes marées ou par une de ces fortes commotions qui soulèvent ses vagues, prend tout à coup quelque chose de subitement littéraire dans ses instincts ; il veut qu’on lui parle, non dans l’ignoble langage de la taverne ou de la borne, mais dans la langue la plus épurée, la plus imagée et la plus magnanime que les hommes des grands jours puissent trouver sur leurs lèvres.
Astyanax joue avec la mort qu’il ne voit pas ; l’enfant du brahmane la brave et la défie pour sauver son père ; l’instinct n’est plus seulement de l’instinct dans le poème indien, il est déjà de la tendresse, de l’héroïsme et de la sainteté. […] Le fils né de Sacountala croît dans l’ermitage avec tous les instincts et tous les pressentiments d’un héros.
Toute petite société qui se forme au sein de la grande est portée ainsi, par un vague instinct, à inventer un mode de correction et d’assouplissement pour la raideur des habitudes contractées ailleurs et qu’il va falloir modifier. […] Au contraire, un instinct remarquable porte le poète comique, quand il a composé son personnage central, à en faire graviter d’autres tout autour qui présentent les mêmes traits généraux. […] Voilà pourquoi l’observation comique va d’instinct au général.
Il aurait fallu également que Goethe fût dépourvu de cette inconsciente sincérité à laquelle obéit d’instinct un écrivain parlant de soi, et qui le fait se trahir par ses réticences autant que par ses confidences, par ses réserves autant que par sa franchise, oui, par le choix même de ses mots, par la qualité de son style, par l’arrangement de ses phrases. […] J’appris à voir peu à peu, et, grâce à mon instinct compréhensif, je sens encore vivement ce que j’ai appris. […] Au contraire, malgré l’insuffisance des secours historiques dont il disposait, il a, avec cet instinct qui est le propre des grands poètes, restauré en son personnage le vrai Gœtz historique et placé ainsi devant les yeux du peuple allemand un héros national représentatif. […] Grimm — je suis convaincu que je viens de lire un livre très bien fait, œuvre d’un écrivain très habile, maître d’instinct de toutes ses forces, et, jusqu’à un certain point, créateur de sa langue. […] Mais ce n’était point sa véritable nature que manifestaient les deux œuvres qui venaient de lui conquérir la faveur publique : des influences étrangères l’avaient conduit au romantisme, des rêveries de jeune homme au sentiment ; comme il n’était en réalité ni sentimental ni romantique, il se trouva pour ainsi dire embarrassé d’un être artificiel entré en lui-même, dont son instinct et les circonstances de sa vie allaient le délivrer.
Ils suivent en écrivant des instincts sourds, qu’ils exprimeraient peut-être plus mal s’ils se rendaient plus capables de les analyser. […] Je veux dire qu’agissant de son côté comme ces écrivains du leur, il a réduit en méthode générale les instincts plus ou moins nets auxquels chacun d’eux obéissait en son particulier. […] quelle est cette morale qui ne convertit point, qui a besoin d’être prouvée pour qu’on la sente ; qui, même prouvée, nous éloigne parce qu’elle blesse nos instincts moraux ? […] Il n’est pas d’instinct, comme il arrive souvent dans les livres passionnés. […] Bien à plaindre encore, si l’on regarde aux instincts de l’époque et de la société dans laquelle le sort l’a jetée !
Les passions, les habitudes impriment leur cachet sur le visage ; certains traits trahissent les penchants, les instincts. […] Les passions n’ont pas encore laissé de traces ; la timidité de leur âge, la modestie, l’hypocrisie qu’on leur impose empêchent leur visage de dénoncer leurs instincts. […] Je défie qui que ce soit, après la lecture de ce portrait, de dire si cet homme est beau, laid ou médiocre, quels sont ses instincts ou ses passions. […] » Mariette est une grisette pleine d’instincts pervers, de fantaisies inexplicables, se laissant aller à tous ses instincts, à toutes ses fantaisies ; elle porte aussi bien le luxe que la misère ; elle est tour à tour aimante et froide, adore son amant et le trompe sans cesse. […] Il puise dans le fait isolé, la règle de son jugement, et dans un sentiment intérieur, la règle de ses actes ; mais avec un heureux instinct, il sait dégager de l’un et de l’autre tout ce qui est momentané et fortuit.
Quoi d’étonnant si un instinct universel veille d’un soin jaloux sur un vocabulaire et sur une grammaire dont l’altération rendrait imminentes et la confusion des langues et la dispersion, non plus des tribus, mais des forces de la société. […] Il sent son dix-neuvième siècle, compréhensif et sceptique, ardent et fatigué, moins éclairé d’une vive lumière que coloré de mille reflets, chargé de souvenirs et léger d’espérance, sans préjugés, mais sans instincts, autre par la pensée et autre par la vie, incapable, excepté par le christianisme, de toute impression naïve. […] Les institutions et les personnages d’une même époque, selon leur position respective, se servent de miroir les uns aux autres ; miroirs vivants et sensibles dans lesquels l’objet est mieux observé, mieux connu, parce qu’on y apprend quel sens l’instinct des contemporains lui a donné, de quelle manière il a été senti et répercuté. […] Au sein du christianisme français, soit catholique, soit protestant, le même instinct se fait sentir. […] C’était sans calcul, mais ce n’était pas sans instinct.