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961. (1868) Curiosités esthétiques « VIII. Quelques caricaturistes étrangers » pp. 421-436

J’imagine devant les Caprices un homme, un curieux, un amateur, n’ayant aucune notion des faits historiques auxquels plusieurs de ces planches font allusion , un simple esprit d’artiste qui ne sache ce que c’est ni que Godoï, ni le roi Charles, ni la reine ; il éprouvera toutefois au fond de son cerveau une commotion vive, à cause de la manière originale, de la plénitude et de la certitude des moyens de l’artiste, et aussi de cette atmosphère fantastique qui baigne tous ses sujets.

962. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Imaginez quelque chose comme une représentation dramatique gratuite à l’Hippodrome, un jour de fête nationale. […] Et voici la preuve que Lebonnard a imaginée et préparée. […] Vous vous rappelez, j’imagine, la situation. […] Sardou de n’avoir montré, comme on dit, qu’un côté de la Révolution, le côté sinistre et hideux ; mais j’imagine qu’un auteur dramatique est libre de choisir son sujet, et que M.  […] Il veut écrire ; il s’imagine avoir du génie et croit dur comme fer que c’est la faute de sa mère et de sa sœur si ce génie ne peut se manifester.

963. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Il me fait songer à ce sombre Tertullien, qui disait que la sainte Vierge n’avait jamais été belle, sans quoi on l’eût désirée, ce qui ne peut s’imaginer. […] Jean Moréas lui-même, n’ont pas imaginé, que je sache, de plus rares vocables. […] Comme je m’imaginais comprendre la vie et l’amour ! […] Le désespoir de madame Lu passa tout ce qu’on peut imaginer. […] Elle porte sur elle ce reflet de vitrail que les apparitions des saintes avaient laissé — du moins nous l’imaginons — sur la belle illuminée de Domrémy.

964. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Barrès l’ornement et le nerf d’une âme lucidement passionnée, qu’un sens aiguisé des analogies lui fait imaginer comme espagnols, et qui se ramènent à « ce qui est le propre de l’Espagne, la tendance à l’exaltation des sentiments ». […] Au printemps de 1892 il lui plaisait d’imaginer, comme un de ses possibles, une Bérénice de Tolède, plus savoureuse et plus âpre que la Bérénice d’Aigues-Mortes. […] Une Pentecôte, des langues de feu discontinues, foyer d’une parole et d’une musique qui sont plutôt qu’elles ne s’épanchent, n’est-ce pas ainsi que, d’après les dernières pages des Amitiés Françaises, d’après le Cheval ailé sur l’Acrocorinthe, vous imaginez son dernier livre, son testament ? […] Pelletan ; j’imagine que M.  […] Le caractère ambigu des Martyrs ne vient-il pas en partie de ce que les types classiques d’Eudore et de Cymodocée y passent comme des ombres superficielles, et de ce que le caractère de Velléda nous fait imaginer ce qu’aurait pu être le livre si un personnage romantique de femme en avait fait le centre ?

965. (1902) La poésie nouvelle

Il la faut sans cesse renouveler ; il faut sans cesse imaginer une autre poésie. […] L’allégorie est un ingénieux artifice littéraire qui consiste à traduire sous une forme imaginée des idées abstraites dont on pourrait reconstituer la teneur précise ; une allégorie se déchiffre comme un rébus. […] Aux paysages qu’il peint, aux fictions qu’il imagine, aux sentiments même qu’il éprouve, se mêlent, plus ou moins réalisées, les conceptions des penseurs. […] Le monde est, pour lui, l’agrégat de nos sensations, et il ne s’interroge pas sur le rapport de cette représentation avec la réalité, parce qu’il n’imagine pas d’autre réalité que celle de nos sensations. […] Au point où s’arrêtait sa dialectique, Platon plaçait des mythes, fables très simples que parfois il imaginait lui-même, que d’autres fois il empruntait à la légende, à la religion, aux traditions populaires.

966. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Nous ne pouvons imaginer un espace enclos par deux lignes droites ; sitôt que nous imaginons l’espace comme enclos, les deux lignes cessent d’être droites ; sitôt que nous imaginons les deux lignes comme droites, l’espace cesse d’être enclos. […] Il y a donc des éléments indécomposables, desquels dérivent les lois les plus générales, et de celles-ci les lois particulières et de ces lois les faits que nous observons, ainsi qu’il y a en géométrie deux ou trois notions primitives, desquelles dérivent les propriétés des lignes, et de celles-ci les propriétés des surfaces, des solides, et des formes innombrables que la nature peut effectuer ou l’esprit imaginer.

967. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Si forte qu’il en gardera trace dans la Notice qu’il donne, en avril 1927, aux Cahiers de la Quinzaine pour présenter ses Quatre lettres au sujet de Nietzsche : « Je crois qu’il est arrivé à peu de personnes de retrouver un peu partout, et de relire çà et là des lettres qu’on avait écrites pour un seul, et sans songer à la durée, sans imaginer qu’elles seraient un jour des objets de curiosité et de commerce, qu’elles circuleraient sous la protection des lois dont on sait à quel point elles répugnent à défendre tout ce qui n’est point matériel »b. […] Telle rature nous en dit long. » J’ajoute que sans croire à une harmonie universelle préétablie, il me paraît difficile d’imaginer que les intérêts véritables des marchands d’autographes et ceux des écrivains puissent être en profonde opposition. […] L’esprit mercantile s’est tellement généralisé aujourd’hui que beaucoup de gens n’imaginent pas que l’on puisse envisager une question d’un point de vue différent. […] S’il avait vécu et s’il était devenu, par suite de circonstances possibles, l’exécuteur testamentaire ou naturel de ces grands écrivains, on imagine combien son attitude aurait été difficile.

968. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Nous ne pouvons imaginer un espace enclos par deux lignes droites ; sitôt que nous imaginons l’espace comme enclos, les deux lignes cessent d’être droites ; sitôt que nous imaginons les deux lignes comme droites, l’espace cesse d’être enclos. […] Il y a donc des éléments indécomposables, desquels dérivent les lois les plus générales, et de celles-ci les lois particulières, et de ces lois les faits que nous observons, ainsi qu’il y a en géométrie deux ou trois notions primitives, desquelles dérivent les propriétés des lignes, et de celles-ci les propriétés des surfaces, des solides et des formes innombrables que la nature peut effectuer ou l’esprit imaginer.

969. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Imaginez ce que seraient les poésies d’André Chénier disséminées dans l’Almanach des Muses. […] Il imagine de désarmer les légions de Galba en allant à leur rencontre et en pleurant devant elles. […] Ne va donc pas t’imaginer qu’il y ait rien là d’étranger à l’Être que tu révères. […] Ils s’imaginent nuire par leurs blâmes, servir par leurs louanges. […] On imagine la rage de cette superbe douairière, qui avait des États en Espagne et un royaume au Mexique.

970. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Mais, dans le moment, nous prenions la chose au sérieux, nous nous imaginions être les Treize eux-mêmes, en personne, et nous étions surpris de ne point passer à travers les murs ; mais le monde est si mal machiné ! […] Voilà ce que j’avais imaginé. […] Balzac est plein de ces exagérations utiles, de ces traits noirs qui nourrissent et soutiennent le contour ; il imagine en copiant, à la façon des maîtres, et imprime sa touche à chaque chose. […] Les hommes s’imaginent qu’il a été soldat de Napoléon, et ils ont pour eux les apparences ; ‘mais, comme vous le savez, rien n’est plus trompeur que les apparences. […] Quelquefois on trouve une belle source, grosse à l’endroit d’où elle sort comme votre Durolle ; alors à ses alentours se déploie la plus riche végétation qu’on puisse imaginer.

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