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544. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

Il y a une danseuse, tournant sur ses pointes dans un clair de lune, de laquelle pourrait s’éprendre un personnage d’Hoffmann, et encore un clown qui se couche, cherche sa position sur un lit, et s’endort avec des poses et des gestes d’une humanité de chair et d’os. […] * * * — Toute la valeur du romantisme, ça été d’avoir infusé du sang, de la couleur dans la langue française, en train de mourir d’anémie, — quant à l’humanité qu’elle a créée, c’est une humanité de dessus de pendule.

545. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

Ce qu’il a eu dessein de faire, ce qu’il voudrait que la postérité vît dans son œuvre, si jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents et à venir ; c’est le grand point de droit de l’humanité allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la grande cour de cassation ; c’est cette suprême fin de non-recevoir, abhorrescere a sanguine , construite à tout jamais en avant de tous les procès criminels ; c’est la sombre et fatale question qui palpite obscurément au fond de toutes les causes capitales sous les triples épaisseurs de pathos dont l’enveloppe la rhétorique sanglante des gens du roi ; c’est la question de vie et de mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour, et posée où il faut qu’on la voie, où il faut qu’elle soit, où elle est réellement, dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au tribunal, mais à l’échafaud, non chez le juge, mais chez le bourreau. […] Ces divers arrangements une fois faits, toute peur s’évanouit dans l’esprit des hommes d’état dirigeants, et, avec la peur, l’humanité s’en alla. […] Le jour où il avait entendu les faiseurs de lois parler humanité, philanthropie, progrès, il s’était cru perdu.

546. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Né en 1658 au château de Saint-Pierre en Basse-Normandie, cadet d’une noble maison, Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre (Irénée, c’est-à-dire pacifique, il y a de ces heureux hasards de noms) ne dut faire ses premières études dites classiques, ses humanités, que faiblement et sans zèle ; pas la plus petite fleur, pas le plus léger parfum de l’Antiquité ne passa en lui. […] « Il y a plus : c’est que, faute d’un certain sens spirituel nécessaire pour discerner par nous-mêmes la vérité, nous étions réduits à nous citer les uns les autres, et à citer même des anciens de deux mille ans, nous qui, aidés de leurs lumières et des lumières de soixantes générations, devions avoir incomparablement plus de lumières et de connaissances que ces anciens qui vivaient dans l’enfance de la raison humaine… » Nous touchons ici à une idée essentielle de l’abbé de Saint-Pierre, c’est que le monde intellectuel ne date que d’hier, que les hommes sont dans l’enfance de l’esprit et de la raison, que l’humanité n’a guère que sept ans et demi, l’âge à peine de la raison commençante45.

547. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Frochot est zélé, dévoué, tout entier à son œuvre d’exécution et d’obéissance intelligente, animé d’un sentiment personnel d’humanité dans les réformes qui tiennent à l’assistance publique, au régime des prisons, paternel et plein de sollicitude pour les établissements d’instruction publique avant la création de l’Université, bienveillant pour les personnes, attentif aux talents naissants ; en un mot, doué de vertus, mais, on l’entrevoit, un peu faible : le nerf, on le pressent, le jour où il en aura besoin, est ce qui lui manquera. […] Ne lui demandez plus de la politique, c’était de l’humanité qu’il faisait, et il en remplissait encore les devoirs en brave et honnête homme.

548. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Les peines attachées à cette passion sont d’une autre nature que celles de l’amour de la gloire ; son horizon étant plus resserré, et son but positif, toutes les douleurs qui naissent de cet agrandissement de l’âme, en disproportion avec le sort de l’humanité, ne sont pas éprouvées par les ambitieux. […] On ne brave pas impunément ses propres qualités ; et celui que son ambition entraîne à soutenir à la tribune une opinion que sa fierté repousse, que son humanité condamne, que la justesse de son esprit rejette, celui-là éprouve alors un sentiment pénible, indépendant encore de la réflexion qui peut l’absoudre ou le blâmer.

549. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Tout ce qui est utile à l’humanité est bien ; tout qui est nuisible à l’humanité est mal ; ce qui ne fait ni bien ni mal à personne est indifférent ; que je mente, que je me grise, ou pis, qu’importe, si ces actes sont sans effets, sans prolongements funestes au dehors ?

550. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

L’essentiel lui est, en présence d’un livre, devant un écrivain, d’indiquer « l’humanité » dont celui-ci témoigne, la vision, qu’il veut donner et celle qu’il a réussi à communiquer ; de préciser la nouveauté du thème choisi, le mérite de la composition, l’originalité du style ; en un mot, de limiter, à sa jauge, la valeur de l’œuvre qu’il pèse : le critique doit aimer, pour la bien mener, cette besogne d’appréciateur, d’expert, de « gourmet », il doit avoir le goût du jugement. […] Ses lectures l’auront à point dégoûté de la badauderie des intrigues : il est bon de s’être diverti jeune à Ponson du Terrail pour se blaser par la suite aux complications feuilletonnées ; non que l’aventure et le romanesque n’aient leur prix, mais à condition qu’ils soient aventure et romanesque de personnages doués de caractère, d’histoires pourvues d’humanité, — et c’est la différence de Balzac à Gaboriau.

551. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VIII. Jésus à Capharnahum. »

Cinq petites villes, dont l’humanité parlera éternellement autant que de Rome et d’Athènes, étaient, du temps de Jésus, disséminées dans l’espace qui s’étend du village de Medjdel à Tell-Hum. […] Il est douteux qu’on arrive jamais, sur ce sol profondément dévasté, à fixer les places où l’humanité voudrait venir baiser l’empreinte de ses pieds.

552. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre IV. Critique »

Tout cela expire et rampe, n’ayant pas même la force d’aimer ; et, à leur insu peut-être, tandis qu’ils se courbent et se résignent, de toutes ces inconsciences où le droit réside, du sourd murmure de toutes ces malheureuses haleines mêlées, sort on ne sait quelle voix confuse, mystérieux brouillard du verbe, arrivant syllabe à syllabe dans l’obscurité à des prononciations de mots extraordinaires : Avenir, Humanité, Liberté, Égalité, Progrès. […] Et il ressemble à un grand vase plein d’humanité que la main qui est dans la nuée secouerait, et d’où tomberaient sur la terre de larges gouttes, brûlure pour les oppresseurs, rosée pour les opprimés.

553. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Ce qu’il faut c’est rapprocher les uns des autres et réunir dans une même intuition, en quelque sorte, les états successifs de l’humanité de manière à apercevoir « l’accroissement continu de chaque disposition physique, intellectuelle, morale et politique82 ». […] Malgré ses lacunes, l’histoire de l’humanité est autrement claire et complète que celle des espèces animales.

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