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298. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Les vieux commissaires des guerres disaient que c’était parce que je sortais du collège, et que j’avais lu que les Romains donnaient ainsi le blé à leurs légions. […] Depuis cela, on suit cette invention, et, dans la dernière guerre, on a pratiqué la même chose, tant que les troupes n’ont pas été campées et en marche en front de bandière devant l’ennemi. […] Chauvelin lui-même et d’obtenir un des portefeuilles qui faisaient partie de sa dépouille, le portefeuille des Affaires étrangères : « Je ne postulai point, mais on postula pour moi… Je vaux peu, mais je brûle d’amour pour le bonheur de mes citoyens, et, si cela était bien connu, certainement on me voudrait en place. » Aux environs de ce temps-là, dans les mois et les années qui suivent, on le voit successivement en passe ou en idée de devenir ou premier président du Parlement, ou secrétaire d’État à la guerre ; — chancelier de France (si M. le Chancelier, qui a soixante-neuf ans, venait à manquer) ; — contrôleur général, ou même surintendant et duc à brevet ; — premier ministre enfin ; car il a toutes ces visées, et il les indique ou les expose au fur et à mesure des occasions. […] Chauvelin, en juillet 1734, ce ministre lui explique comment on a été contraint de faire la guerre par l’opinion que les ennemis avaient conçue au désavantage du présent gouvernement. […] Les Français se livrent volontiers aux étrangers, et même plus volontiers qu’à leurs compatriotes ; ils font à l’étourdie les honneurs d’eux-mêmes, « de sorte que ce goût frondeur, qui domine principalement dans la bonne compagnie, ayant porté nos Français à dire mille maux de la faiblesse de la nation, de la nonchalance insurmontable du ministère pour se porter à la guerre, de l’état prétendu désespéré de nos finances, de la mollesse de nos jeunes gens », en un mot de l’abaissement de la France, il n’était pas extraordinaire que les étrangers eussent rapporté dans leur pays ces impressions puisées dans la meilleure compagnie de Paris, et eussent répandu l’idée qu’on pouvait nous braver impunément, ne plus compter avec nous.

299. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

On est à l’aise dans son cabinet pour juger des faits de guerre, des faits de révolution et de terreur. […] Le premier, à la tribune, il donne l’éveil sur les rassemblements armés qui se font à la frontière ; le premier, il demande, puisqu’on est en guerre, la confiscation, non plus la séquestration, des biens des émigrés ; il va plus loin et trop loin dans ses motions ; j’en omets, et des pires : il devance et il excède toujours. […] Son rôle principal à la Convention fut d’être envoyé aux armées ; son bonheur fut, en échappant aux cruelles mesures du dedans et aux luttes fratricides qui se réglaient à coups d’échafaud, d’être, pendant ce temps-là, à combattre l’ennemi du dehors, sur le Rhin, à Mayence, ou le royalisme en Vendée, et de montrer partout, avec un courage intrépide, le tact, le coup d’œil et les talents d’un homme de guerre improvisé. […] Ce premier brillant épisode de nos guerres de la Révolution, cette défense de Mayence où le nom de Kléber commence à s’illustrer, et où l’honneur de sa promotion est dû à Merlin, est marqué par des circonstances chevaleresques singulières. […] Mais en même temps, et malgré ses instincts militaires prononcés, il n’eut jamais l’idée de franchir le degré qui eût fait de lui un homme de guerre régulier, un officier général comme le devinrent ses trois frères.

300. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Mais, au lendemain des guerres de la Révolution et de l’Empire, il fait invasion et presque irruption par toutes les frontières. […] Une guerre qui heurte deux peuples l’un contre l’autre les rapproche dans ce corps à corps ; elle leur apprend à se mieux connaître ; les prisonniers deviennent entre eux un lien vivant ; le séjour des armées sur territoire ennemi amène des contacts journaliers et prolongés ; les négociations entamées en vue de la paix donnent lieu à des congrès où l’on discute autrement qu’à coups de canon. Aussi la part que les reîtres allemands et les mercenaires suisses prirent à nos guerres de religion entre catholiques et réformés est-elle encore sensible dans un certain nombre de termes germaniques qui se sont introduits chez nous en ce temps-là et maintenus depuis lors. Les guerres d’Italie, un peu plus tôt, aidèrent fort la Renaissance à traverser les Alpes. — Une alliance a des résultats non moins graves. […] Au lendemain d’une guerre on remarque aisément chez un peuple vaincu cette double propension naturelle soit à calquer les usages ou les idées du peuple vainqueur soit à en prendre le contrepied.

301. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IX, les mythes de Prométhée »

Des sillons ondoyants d’épis, des navires glissant sur les flots, un tourbillon de guerres déchaînées, des trophées de lances et d’épées, de faux et de mors, des armures et des statues vaguement modelées, des vases de toute forme et de toute matière. — Il aurait pu y voir encore des familles entrelacées autour du foyer, des cités sortant de terre, avec leurs remparts et leurs tours, des cortèges de prêtres enveloppés du nuage d’encens des sanctuaires. — Et tout en haut, des groupes de dieux, de plus en plus vrais, de plus en plus justes, montant et se succédant dans l’éther. […] La guerre de dix ans que les Titans soutiennent sur le champ de bataille de la Thessalie, entre l’Olympe et l’Othryx, contre Zeus tonnant dans le ciel, n’est au fond qu’une époque géologique en action. […] L’Olympe d’Homère est stable et durable, il a ses hiérarchies et son couronnement, son ordonnance est fixée : celui d’Hésiode est déchiré par des guerres et des rébellions intestines. […] Cependant, après l’avoir ainsi parée et armée en guerre, les dieux envoyèrent Pandore à Épiméthée, le frère du Titan supplicié. […] Pandore souleva le couvercle du vase, et tous les Maux que les dieux y avaient enfermés, misères et maladies, guerres et crimes, violences et soucis, s’en échappèrent sur la terre. — « Seule, l’Espérance resta dans le vase, arrêtée sur les bords, et elle ne s’envola point ; car Pandore avait refermé le couvercle par l’ordre de Zeus qui amasse les nuées. » — Belle et touchante légende !

302. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

— « Mieux vaut soutenir une guerre que de livrer des Suppliants », dit Euripide dans les Héraclides. […] Cinquante ans après, dans la première guerre du Péloponèse, les Éginètes furent chassés et déportés en masse de leur île, moins par l’épée d’Athènes que par ces mains décharnées, toujours scellées aux portes du temple comme des reliques de malédiction. […] Mais cette hospitalité peut l’exposer à une guerre périlleuse, il a charge de la cité qu’il commande, et il avoue naïvement ses perplexités. […] Un instant, il essaye d’effrayer le roi, en le menaçant de la guerre ; cette fière réponse le renvoie, tête basse, vers sa barque. — « La Cité a décidé, par son suffrage unanime, que ces jeunes filles ne seraient ni livrées contre leur gré, ni enlevées par la violence. […] Avant de se retirer, le Héraut s’écrie : — « Alors tu sauras que c’est la guerre ; la force et la victoire resteront aux hommes. » — C’est avec le sourire bachique d’un initié aux Mystères joyeux de la vigne que Pélasgos répond à ce buveur de cervoise : — « Vous trouverez des hommes dans Argos, et qui ne boivent pas de vin d’orge. » Ainsi sauvées pour la seconde fois, les Danaïdes s’acheminent vers la ville hospitalière, en chantant une ode de bénédiction.

303. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud était né journaliste : aux aguets chaque matin, il excellait à faire cette guerre à l’œil, à suivre en souriant les moindres mouvements de l’ennemi, à tomber sur lui par surprise ; quand on sait si bien le point juste où il faut viser pour blesser, il est difficile, même aux moins méchants, un jour ou l’autre, de ne pas être cruels. […] Fiévée et d’autres amis à la rédaction de La Quotidienne, et dès lors sa vie se partage entre cette guerre de journaux et la composition de sa grave Histoire. […] Le journaliste du temps du Directoire avait gardé des guerres de plume de la Révolution et de sa persécution de Fructidor un certain goût pour la liberté de la presse ; il l’aimait comme un Vendéen qui aurait continué d’aimer la guerre des haies et des buissons. […] Plus tard, quand il se décida à ouvrir le feu contre M. de Villèle, en qui il n’appréciait pas assez le côté d’homme d’affaires, et qui le choquait par son manque d’attention et de soins pour l’esprit, il disait en souriant à quelques-uns de ses nouveaux alliés : « Nous autres, nous tirons par les fenêtres de la sacristie. » — Je ne donne pas cette guerre de Fronde pour de la haute et très prudente politique ; mais je la montre telle qu’elle était.

304. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Guerre au fouet au nom des sceptres ! guerre à la verge au nom des boutiques ! […] Il reste autour de nous une quantité suffisante d’esclavage, de sophisme, de guerre et de mort pour que l’esprit de civilisation ne se dessaisisse d’aucune de ses forces. […] Mais quand c’est un poëte qui parle, un poëte en pleine liberté, riche, heureux, prospère jusqu’à être inviolable, on s’attend à un enseignement net, franc, salubre ; on ne peut croire qu’il puisse venir d’un tel homme quoi que ce soit qui ressemble à une désertion de la conscience ; et c’est avec la rougeur au front qu’on lit ceci : « Ici-bas, en temps de paix, que chacun balaye devant sa porte. « En guerre, si l’on est vaincu, que l’on s’accommode avec la troupe. » — … — « Que l’on mette en croix chaque enthousiaste à sa trentième année. […] C’est dans le sens de cette haine du mal que Jésus disait : Je suis venu apporter la guerre.

305. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

S’il n’y a pas de chansons à boire, ce qui ne prouverait pas, d’ailleurs, qu’on fût sobre en ce temps-là, il y a beaucoup de chansons d’amour et de guerre. […] Dans la religion, dans la guerre, dans l’amour, le merveilleux se mêle à la réalité, ou s’y substitue entièrement. […] Regardez-y de près : c’est toujours la guerre entre l’esprit de liberté et l’esprit de discipline, dont la réconciliation, à certaines époques, produit les chefs-d’œuvre. […] Le basochien, espiègle, tapageur, libertin, larron, hauteur de mauvais lieux, détroussant les petits marchands, poursuivi par les soldats du guet, heureux des troubles publics, enchanté de la guerre parce que la police y est plus relâchée : tel est Villon. […] De nouveaux larcins, dont il s’excuse sur la faim qui « fit une si rude guerre à son corps », le firent tomber de nouveau dans les mains de la justice.

306. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Dans le délibératif il s’agit d’exhorter ceux qui déliberent, à prendre un parti sur la guerre & sur la paix, sur l’administration publique, &c. […] La plûpart des termes de guerre étoient francs ou allemands ; marche, maréchal, halte, bivouac, reitre, lansquenet. […] Il verra qu’Henri IV. n’entreprenoit sa grande guerre, qui devoit changer le système de l’Europe, qu’après s’être assez assuré du nerf de la guerre, pour la pouvoir soutenir plusieurs années sans aucun secours de finances. […] La guerre de 1741 a été écrite en Angleterre. […] Qu’importe un passage de Sanconiaton qui vivoit avant la guerre de Troie ?

307. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Ce ne fut qu’après mainte zizanie survenue et des manquements de parole qu’il était d’ailleurs trop aisé de prévoir, que la guerre sur un autre pied recommença et qu’il fut décidé qu’on pouvait en toute conscience déposséder des traîtres. […] Ce n’est pas tant d’avoir pillé, il est vrai, que Villehardouin les blâme (le pillage était le droit de la guerre), que de n’avoir pas obéi en apportant chacun son butin à la masse commune. […] Incapables de tenir les engagements contractés, ils y manquent sans franchise et engagent la guerre avec fourberie. […] Ils n’estiment rien que la vaillance, dit toujours Nicétas des Français d’alors et de ceux qu’il appelle Barbares, mais c’est la vaillance séparée des autres vertus ; ils la revendiquent pour eux comme infuse par nature et corroborée par un long usage, et ne souffrent qu’aucune autre nation puisse se comparer à eux en ces choses de guerre ; d’ailleurs étrangers aux Muses et n’ayant aucun commerce avec les Grâces, ils sont d’un naturel farouche, et ont la colère plus prompte que la parole.

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