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22. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « GRESSET (Essai biographique sur sa Vie et ses Ouvrages, par M. de Cayrol.) » pp. 79-103

M. de Cayrol, en mêlant ces sorties sans motif à la célébration de son innocent et gracieux poëte, pourrait compromettre la cause de celui-ci et lui attirer par contrecoup des désagréments, si on ne faisait la part d’une grosseur de termes qui tient à une plume rarement taillée, et si on ne rabattait d’un emportement qui n’est guère qu’une faute de goût. […] La première veine de jeunesse dissipée, la matinée à peine finie et midi sonnant, Gresset n’eut plus rien à dire, et ne put que se replier dans Amiens : car je suis fort de l’avis de Diderot, qui remarque quelque part que, lorsqu’un poëte peut prendre si aisément sur lui de se taire, c’est qu’il n’a plus guère à parler. […] Gresset, à même de choisir, préféra ainsi le bonheur sûr à l’éclat hasardeux ; mais le bonheur trouve son prix en lui-même, et il n’est guère intéressant à raconter. […] Duméril, et qui s’est égaré on ne sait comment, se rouvrirait aujourd’hui tout entier ; quand on en verrait sortir cette suite du Vert-Vert dont M. de Cayrol porte encore le deuil et dont il a tenté de nous donner en vers la complète restitution, on n’aurait guère à changer d’avis ; on y serait de plus en plus confirmé, je le crains. […] Il ne me reste rien à dire de Gresset, sinon qu’il mourut de mort subite en juin 1777, universellement regretté malgré sa longue éclipse, et pardonné aisément d’un siècle qui avait deux fois reçu de lui un régal excellent. — Pour moi, en tout ceci, à l’occasion du livre de M. de Cayrol, je n’ai guère fait que commenter et développer, en l’adoucissant convenablement, l’opinion qu’avait exprimée Voltaire avec un bon sens malin et intéressé, je l’avoue, mais d’autant mieux aiguisé.

23. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

* * * Les contes enregistrés dans ce recueil émanent de sources assez diverses pour justifier plus qu’à demi le sous-titre, guère trop général, qui leur a été donné. […] A l’exception, en effet, des noirs qui ont longuement vécu en contact avec nous et qui ont acquis à ce contact un certain scepticisme, il n’est guère de narrateur qui raconte volontiers ses légendes à la lumière du soleil. […] Les auditeurs ne les tiennent guère, non plus, pour scientifiques et leur demandent un amusement bien plutôt qu’un enseignement. […] Les contes d’Amadou Diop ne sont guère que cela. […] On sait d’ailleurs qu’en France même, la pudibonderie… verbale ne remonte guère qu’à deux siècles et demi tout au plus.

24. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Il y a cinquante ans, Paris n’avait guère qu’une dizaine de journaux, que se partageaient la politique et la littérature. […] Les gens du métier ne les lisent guère. […] Rochefort (La Gloire à Paris) : 1° « L’action très grande de Rochefort est dans cette belle gaieté qui est le fond de son tempérament vraiment français »   2° « Rochefort est un des rares Parisiens de l’ancien temps qui ait conservé dans l’âge mûr cette belle insouciance et cette bonne humeur qui furent autrefois les qualités maîtresses de la race française. » (Je pense qu’il faut entendre : « Rochefort est un Parisien le l’ancien temps, un des rares Parisiens qui aient conservé », etc. )   3° « Chacun dans sa sphère plisse le front… Je ne vois plus guère que Rochefort qui ait conservé la gaieté de la vieille race française »   4° « Après avoir exaspéré beaucoup de ses contemporains par la violence excessive de ses écrits, il les ramène aussitôt à lui par les éclats de sa gaieté si française. » Pour Offenbach, le refrain est : « Quel artiste !  […] Blavet se contente de rapporter des faits, et il les choisit bien, et il les rend divertissants, même quand ils ne le sont guère, et cela tous les jours ; M. 

25. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

Mais sur ces idées mêmes, j’ai tant à dire et, comme vous l’avez pensé, le sujet intéresse si fort quiconque n’est pas indifférent à la littérature, que je ne crois point excéder mes droits en vous demandant congé, Monsieur, de faire à votre réponse publique  puisque aussi bien elle se refuse à conclure et reste hérissée de points d’interrogation  une réponse publique aussi  D’ailleurs je me défends d’avance de toute ridicule prétention à rien vous enseigner ; vous parlez au nom de l’expérience et avec l’autorité que des livres excellents vous donnent : je ne vous opposerai guère que des intuitions, et no puis compter que sur l’incertain avenir pour légitimer par des œuvres les théories. […] Comme ils ne font, à proprement parler, aucun héritage spirituel et ne subissent guère du temps d’autre atteinte que la dépravation d’une complication superficielle qui toutefois et déjà no leur permet plus de se complaire aux simplicités des premiers Ages, les peuples n’assument pas les graves soucis des générations antécédentes, et ces intelligences restées puériles voudraient toujours des refrains de berceau. […] Le public et les poètes ne suivent guère le même chemin. Die lui à nous, l’écart s’accentue sans cesse : et veuillez le remarquer, notre langue même, si nous la gardons pure, l’éloigne de nous, car il a peu à peu perverti l’instrument merveilleux et ne sait plus guère se repaître que de termes impropres et de métaphores mal faites, des choses sans nom.

26. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

Machiavel et Montesquieu ne sont guères que des écrivains. […] La Démocratie en Amérique, qui a fait si aisément sa fortune et qui le coula, sans effort et sans résistance, à la tête des écrivains politiques du règne de Louis-Philippe, n’est pas un livre de conclusion, et n’annonçait guères que le logicien pût se développer jamais dans un esprit qui recevait, les deux mains ouvertes, les faits les plus contradictoires, et toujours avec le même sourire de bon accueil. […] Du reste, cette simplification, ou, pour mieux parler, ce rapetissement de l’histoire n’est guères essayé qu’en tremblant ! […] Son style, de tournure pédantesque où le je, haï de Pascal, tient une place énorme ; son style, nombreux et fade, n’a guères que la clarté de ses embarras et la gravité de son vide.

27. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre IV. Personnages des fables. »

Et pourtant ces associations ne lui réussissent guère ! […] Je ne vois guère que la girafe, le chacal ou le canard dont il ne soit pas parlé dans ceux que je reproduis ici. […] De même, ils sont trop vaniteux pour goûter la leçon de la fable « Le renard et le corbeau » et, si vraiment les griots sont pour quelque chose dans la conception des contes et des fables, on comprendra qu’ils ne soient guère disposés à prêcher une morale si contraire à leurs intérêts.

28. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Préface de la première édition du quatrième volume »

Rousseau en particulier, je sens que l’apaisement qui s’est fait en moi n’a guère modifié mes sentiments, et j’ai eu fort peu à changer, quant au fond, au chapitre qui lui est consacré, le plus anciennement écrit de ce volume. […] La déclamation ne m’est guère moins antipathique que l’esprit de chimère dont elle est la sœur.

29. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Introduction »

En effet, les grands sociologues dont nous venons de rappeler les noms ne sont guère sortis des généralités sur la nature des sociétés, sur les rapports du règne social et du règne biologique, sur la marche générale du progrès ; même la volumineuse sociologie de M. Spencer n’a guère d’autre objet que de montrer comment la loi de l’évolution universelle s’applique aux sociétés.

30. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Au premier examen d’un de ses livres, un lecteur un peu exercé reconnaîtra sans peine qu’il a devant lui un auteur pour lequel le monde extérieur n’existe guère en soi, qui ne tâche d’en reproduire ni les événements usuels, ni l’aspect pittoresque, ni les agrégats sociaux, ni les êtres vivants, tels que ces ensembles et ces individus se présentent à la connaissance normale. […] Et comme l’auteur a soin d’ajouter à cette précise caractérisation conversationnelle quelque mention sans cesse répétée d’une particularité physique ou morale facile à retenir, comme il ne néglige guère, quand son émotion déborde, de prendre la parole lui-même pour dire ce qu’il faut penser des gens qu’il produit, leur aspect moral se trouve excellemment défini et se grave forcément dans la mémoire. […] Il marchait dans la vie, droit devant lui, avec alacrité et décision, ne réfléchissant jamais longtemps, prêt à tout entreprendre, ne ménageant guère ses forces, n’usant ni de prudence, ni de patience, ni de longs calculs. […] Micawber, sa mère la femme geignarde, bavarde et sans tête qu’est Mme Nickleby, Charles Dickens fut élevé avec des frères et sœurs qui ne le valaient guère, d’abord à Chatam, au bord de la mer, puis dans une de ces désolantes petites maisons basses qui forment les faubourgs de Londres. Le ménage était pauvre et dissipé ; l’enfant n’allait guère à l’école, mais parmi les dernières choses que l’on n’avait ni vendues ni mises en gage, était une petite bibliothèque de romans qu’il lisait avidement, le Tom Jones de Fielding, les œuvres de Smollett, Le Vicaire de Wakefield, Robinson Crusoé, Don Quichotte.

31. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Il s’y avoue mélancolique « jusqu’à ne pas rire trois ou quatre fois en trois ou quatre ans ; le visage sombre, qui le fait paraître encore plus réservé qu’il n’est ; avec un esprit que gâte cette mélancolie, et une si forte application à son chagrin que souvent il exprime assez mal ce qu’il veut dire. » Voilà qui ne convient guère à un homme d’action. […] On s’étonne de ne trouver ni dans le portrait qu’il a tracé de lui, ni dans ses Mémoires, aucun aveu sur cette fatalité qui le condamna pendant près de vingt ans à s’imposer toutes les fatigues de l’ambition et de l’intrigue, au profit de volontés qui se perdaient dans leurs propres vues, et ne s’inquiétaient guère des siennes ; à n’agir qu’à la suite ; à ne se déterminer qu’au moment même où, sans le consulter, son parti venait de changer d’avis ; à haïr ses propres lumières comme des empêchements de sa volonté, et sa volonté comme la dupe de ses passions. […] Il n’y en a guère de métaphysiques. […] Chaque correction efface un trait exagéré, ou généralise une expression, ou fait disparaître une subtilité, ou éclaircit une pensée ; il ne s’en trouve guère qui ne soient que d’ornement. […] Ses Maximes ne quittent guère les hauteurs de la vie publique, et sa morale ressemble à celle de la tragédie, dont les héros sont des rois, et les événements des catastrophes.

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