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177. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Ces édifices qu’avait élevés l’architecture grecque et romaine, les statues, les tableaux, les chefs-d’œuvre du génie déposés dans les bibliothèques ; tout avait disparu. […] Les Lombards et les Grecs en Italie, les Francs dans les Gaules, les Vandales en Espagne, les Saxons en Angleterre, chacun démolit l’empire, et tous s’égorgent pour s’en arracher les débris. […] L’univers connu était alors partagé en trois grandes masses ; l’empire des Califes ou des Arabes, l’empire Grec et l’Europe occidentale échappée aux fers des Romains. […] Chez les Grecs, le temps de Photius et de Léon le philosophe, ou le neuvième siècle, fut le temps le plus célèbre pour les connaissances ; mais les crimes du palais, la superstition du schisme, la petitesse du gouvernement et les fureurs scolastiques étouffèrent tout. […] Ainsi, la grande époque des Grecs fut de Pisistrate à Alexandre ; et celle des Romains, de Marius à Auguste.

178. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

C’est une Église grecque qui s’introduit dans la Gaule, à Lyon ; le premier évêque de Lyon, saint Pothin, est un Grec ; le premier père de l’Église de la Gaule (père, c’est-à-dire défenseur contre les hérétiques et controversiste) est un père grec, saint Irénée. […] Cette lettre (en grec) fut écrite probablement par quelques-uns des témoins qui échappèrent à la mort, après avoir assisté à tout le supplice, et peut-être avoir eu leur part des tortures. […] Il y avait également des chants ou chansons en latin, très-profanes, appliqués aux divers usages de la vie domestique (le pendant des scholies des Grecs) ; appropriés à la danse ou aux chœurs, aux noces, aux banquets. […] Le grec s’y était maintenu sur Quelques points jusque vers la fin de la domination romaine. […] Apulée raconte (Metam., IX, 39) qu’un soldat romain parlant à un jardinier grec et lui parlant latin ne fut pas compris, ce que voyant, il répéta sa question en grec (græce) ; et alors le paysan comprit à merveille.

179. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Ce n’était pas ici comme pour La Motte qui posait en principe qu’il était parfaitement inutile de savoir le grec pour juger du point en litige ; l’abbé Terrasson savait le grec, mais il n’en avait pas plus pour cela le sentiment du beau. […] Il accordait à l’Académie française la gloire un peu exagérée d’avoir la première institué la discussion littéraire dans ces termes philosophiques, et d’avoir conclu de l’admiration mal fondée que l’on avait eue pour les vieux philosophes, qu’il fallait examiner de plus près celle que l’on avait encore pour les anciens poètes : « L’ouverture de cette dispute, disait-il un peu magnifiquement, a achevé de rendre à l’esprit humain toute sa dignité, en l’affranchissant aussi sur les belles-lettres du joug ridicule de la prévention. » C’était par là que Terrasson croyait qu’il nous appartenait de devenir littérairement supérieurs aux Latins, lesquels, supérieurs de fait aux Grecs, n’avaient jamais osé en secouer le joug. […] Méconnaissant dans Homère, ou plutôt n’estimant point cette langue si abondante et si riche, qui est comme voisine de l’invention et encore toute vivante de la sensation même, il préférait nettement la nôtre : « J’oserai le dire à l’avantage de notre langue, je la regarde comme un tamis merveilleux qui laisse passer tout ce que les anciens ont de bon, et qui arrête tout ce qu’ils ont de mauvais. » Enfin, s’emparant d’un mot de Caton l’Ancien pour le compléter et le perfectionner à notre usage, il concluait en ces termes : Caton le Censeur connaissait parfaitement l’esprit général des Grecs, et combien ils donnaient au son des mots, lorsqu’il disait que la parole sortait aux Grecs des lèvres, et aux Romains du cœur ; à quoi j’ajouterais, pour achever le parallèle, qu’aux vrais modernes elle sort du fond de l’esprit et de la raison. […] Sa fille se fit catholique après sa mort, et se maria à Dacier, garde des livres du Cabinet du roi, qui était de toutes les Académies, savant en grec et en latin, auteur et traducteur. […] Il est vrai que c’est en grec qu’elle écrivait cette pensée et en se souvenant d’un mot de Sophocle.

180. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

On ne pensait point aller contre les préceptes de l’Art poétique : l’entêtement de Boileau pour les Grecs et les Latins, sa colère contre Perrault, ne semblaient être que des boutades, des saillies de son humeur originale, dont on souriait, et qu’on n’estimait pas tirer à conséquence. […] Sans doute Fontenelle et Lamotte, et toute l’école des contempteurs de l’antiquité n’obtiennent pas l’adhésion formelle et complète du public ; mais les Grecs et les Romains n’y gagnèrent pas grand’chose. […] Français, trop de son siècle et de son monde pour sentir le charme et la grandeur intimes de l’antiquité : et s’il vante avec sa pétulance accoutumée trois ou quatre anciens, s’il célèbre la richesse et l’harmonie des langues grecque et latine, auprès desquelles nos langues modernes ne sont que des « violons de village », il ne prend et ne comprend là comme ailleurs que ce qui est conforme à ses préjugés littéraires ou autres. […] L’éducation des collèges entretient une tradition de respect pour les Grecs et les Romains. […] Rhétoriciens excellents — mais purs rhétoriciens, — ils font apparaître les anciens, et même Homère, Comme d’incomparables maîtres de rhétorique : en dix ans de commerce assidu avec les chefs-d’œuvre latins ou grecs, un jeune homme acquiert un trésor de pensées belles à citer dans leur forme parfaite, et l’art d’étendre lui-même des lieux communs ou de les condenser en sentences ; jamais il n’aura senti vivre dans un texte grec l’âme de la Grèce, ou de tel Grec ; il ne se doutera pas qu’on peut tirer d’une phrase d’orateur ou d’une période poétique des émotions aussi profondes et de même ordre que celles qu’excite un temple ou une statue.

181. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Aujourd’hui nos principes politiques ne sont pas plus arrêtés que nos principes de littérature ; jamais on n’a passé avec plus de facilité du camp des Grecs dans le camp des Troyens. […] Longin, philosophe et littérateur grec, a composé un Traité du Sublime très estimé, traduit en français par Boileau : l’auteur cite les traits les plus sublimes des poètes, orateurs et historiens grecs. […] Au troisième livre de l’Iliade, la querelle des Grecs et des Troyens est remise aux mains de Paris et de Ménélas. […] Des personnages tels que Sévère et Pauline sont une création du génie de Corneille : il n’en a trouvé le modèle ni chez les anciens ni chez les modernes ; les mœurs des Grecs ne leur permettaient pas même de connaître ces raffinements de générosité, de bienséance et de grandeur d’âme, trop supérieurs à la nature dont les Grecs sont des peintres fidèles. […] Nous voyons dans Monime une véritable Grecque ; dans Roxane, une femme du sérail, une sultane qui n’a d’autre principe d’éducation que ses passions et ses caprices.

182. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Mme Dacier, par sa traduction de L’Iliade, ayant fourni le moyen de la lire à ceux qui n’entendaient pas le grec (et c’était alors l’immense majorité, même des gens réputés instruits), La Motte s’en était servi à loisir pour mettre en ordre ses arguments et tirer ses conclusions. […] Les premiers hommes du siècle sont ceux qui savent le grec. […] Le divin poète, impénétrable aux autres hommes, revit en lui ; il est juste qu’on le respecte en lui… Voilà la folle illusion qui allume le zèle des homéristes ; mais le plaisant est que le public ait si longtemps servi cette même illusion… Combien peu de gens savent la langue grecque ! […] Les langues sont nées de la race, et de tout ce qui affectait les sens à l’entour, du sol, du ciel, du paysage ; toutes ces circonstances se sont réfléchies indirectement dans les mots, dans les sons qui les composent. « Est-il bien vrai, se demandait-il, que notre langue soit inférieure à la langue grecque ? […] Ce qui n’est pas clair, n’est pas français ; ce qui n’est pas clair est encore anglais, italien, (allemand,) grec ou latin. » L’abbé de Pons n’admet point que les langues soient autre chose que des systèmes de signes arbitraires établis pour le commerce mutuel des pensées.

183. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

L’Anthologie grecque n’est autre chose qu’un assortiment, un bouquet de fleurs poétiques. […] L’illustre Grec Lascaris fut le premier qui rapporta de Constantinople et fit connaître en Occident l’Anthologie de Planude. […] Dehèque (car c’est lui), un savant modeste, aimable, qui n’a cessé, dès sa tendre jeunesse, de cultiver les lettres grecques au milieu des soins d’une administration laborieuse, et que l’Institut a fini par reconnaître et adopter pour l’un des siens ; M.  […] Puisqu’elle est toujours belle était inutile à dire à des Grecs ; mais c’est une raison charmante à donner à des Français. […] Passage intraduisible ; car si l’on veut traduire littéralement, on cesse d’être délicat : l’expression grecque est à la fois sensible et légère.

184. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

Il paraît que, pour l’étude, il s’était surtout formé par lui-même, et qu’il avait profité de deux années de mauvaise santé, où il avait été retenu dans sa chambre, pour lire les anciens poètes grecs et latins. […] Dans une édition que j’ai sous les yeux et qui n’est pas la première, dans l’édition de 1561, je note tout d’abord une disparate : ce sont des distiques grecs de Jean Dorât qui sont en tête et par lesquels le savant maître félicitait Du Bellay de son apologie de la langue française ([mots en grec]). Pourquoi cette félicitation en grec et non en français ? […] Celui-ci, s’il avait voulu être conséquent jusqu’au bout, n’avait qu’à répondre à son compliment : « Vous me félicitez de parler français, et vous me le dites en grec !  […] ils n’en savaient rien… Ils se passionnèrent pour l’Antiquité grecque et latine avec la plus ardente et la plus injuste de toutes les frénésies.

185. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

C’est ainsi que l’engouement pour Rome et la Grèce ne pouvait donner à des Français du xviii e siècle, produits d’une longue hérédité chrétienne, les sentiments et les conceptions d’un Grec ou d’un Romain. Impuissants à faire revivre en eux l’âme antique, les hommes de la Révolution en ont été réduits à imiter les Romains et les Grecs par les côtés extérieurs. […] Les imitations religieuses furent aussi grossières ; rien ne pouvait être plus contraire à la religion concrète d’un grec que la divinisation des idées abstraites, que ce culte de la déesse Raison, inauguré avec un appareil emprunté aux rites du paganisme, dans la vieille cathédrale gothique de la Cité, à Notre-Dame. […] Remy de Gourmont 8, l’invasion des mots grecs : introduits par les savants qui ne font état que de leur valeur significative, n’ayant pas été accommodés et mis au point par le gosier et l’oreille populaire, ces mots ne parviennent pas à se fondre dans la substance sonore du langage ; ils y résonnent comme do fausses notes.

186. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre X. De la chronologie poétique » pp. 235-238

Ce Saturne, qui chez les Latins tira son nom à satis, des semences, et qui fut appelé par les Grecs Κρόνος de Χρόνος, le temps, doit nous faire comprendre que les premières nations, toutes composées d’agriculteurs, commencèrent à compter les années par les récoltes de froment. […] Usant d’abord du langage muet, ils montrèrent autant d’épis ou de brins de paille, ou bien encore firent autant de fois le geste de moissonner, qu’ils voulaient indiquer d’années… Dans la chronologie ordinaire, on peut remarquer quatre espèces d’anachronismes. 1º Temps vides de faits, qui devraient en être remplis ; tels que l’âge des dieux, dans lequel nous avons trouvé les origines de tout ce qui touche la société, et que pourtant le savant Varron place dans ce qu’il appelle le temps obscur. 2º Temps remplis de faits, et qui devaient en être vides, tels que l’âge des héros, où l’on place tous les événements de l’âge des dieux, dans la supposition que toutes les fables ont été l’invention des poètes héroïques, et surtout d’Homère. 3º Temps unis, qu’on devait diviser ; pendant la vie du seul Orphée, par exemple, les Grecs, d’abord semblables aux bêtes sauvages, atteignent toute la civilisation qu’on trouve chez eux à l’époque de la guerre de Troie. 4º Temps divisés qui devaient être unis ; ainsi on place ordinairement la fondation des colonies grecques dans la Sicile et dans l’Italie, plus de trois siècles après les courses errantes des héros qui durent en être l’occasion.

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