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30. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre IV. Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature. » pp. 216-222

Marmontel est pleine de finesse & de goût, mais l’ordre que l’auteur a suivi n’étant pas assez méthodique, on a de la peine à saisir tout ce que son livre offre d’ingénieux & de neuf. […] L’Art de sentir & de juger en matiere de goût, par M. […] Ce lexique fait avec goût & avec méthode, présente d’une maniére claire & attrayante les principes qui forment le grand écrivain dans tous les genres. […] Il y a de la méthode, du travail & du goût. […] Les excellens Ecrivains lus & relus, contribuent plus à former le sentiment, le jugement & le goût que tous les écrits didactiques.

31. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands Ce discours paroît me conduire naturellement à parler de la difference du goût des italiens, et du goût des françois sur la musique. Je parle du goût des italiens d’aujourd’hui beaucoup plus éloigné du goût des françois, qu’il ne l’étoit sous le pontificat d’Urbain VIII. Quoique la nature ne change point, et quoiqu’il semble par consequent que la musique ne dût point changer de goût, elle en change néanmoins en Italie depuis un temps. […] Aussi déplaît-elle autant à ceux qui ont de la justesse dans le goût, qu’elle plaît à ceux qui ne sont point d’accord avec la raison. […] Je voudrois donc examiner d’abord le sentiment d’un anglois, homme de beaucoup d’esprit, qui soûtient en reprochant à ses compatriotes le goût que beaucoup d’eux croïent avoir pour les opera d’Italie, qu’il est une musique convenable particulierement à chaque langue, et specialement propre à chaque nation.

32. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Ils sont, si l’on veut, la plûpart des connoisseurs médiocres, mais du moins ils ont un goût de comparaison qui empêche les gens du métier de leur en imposer aussi facilement qu’ils peuvent en imposer ailleurs. […] Generalement parlant, on n’acquiert pas ici aussi-bien qu’à Rome le goût de comparaison. Ce goût se forme en nous-mêmes et sans que nous y pensions. à force de voir des tableaux durant la jeunesse, l’idée, l’image d’une douzaine d’excellens tableaux se grave et s’imprime profondément dans notre cerveau encore tendre. […] Mais pour acquerir ce goût de comparaison qui fait juger du tableau présent par le tableau absent, il faut avoir été nourris dans le sein de la peinture. […] Comme nous avons vû en France plus de poëtes excellens que de grands peintres, le goût naturel pour la poësie a eu plus d’occasions de s’y cultiver que le goût naturel pour la peinture.

33. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 390-393

Brumoy possédoit trop supérieurement l’esprit d’analyse, le génie de la traduction, les finesses du goût, pour pouvoir être facilement égalé par des Littérateurs qui n’ont eu ni autant d’application que lui, ni autant d’avantage du coté du sujet. […] Corneille & Racine ont sans doute puisé dans Sophocle & dans Euripide le goût des vraies beautés théatrales ; mais, quoique Disciples des Tragiques d’Athenes, ils ont néanmoins très-souvent égalé, & quelquefois surpassé leurs modeles, & le sont devenus à leur tour. […] Il est vrai que son Poëme des Passions n’est pas tout à fait dans le goût des Poésies du beau siecle d’Auguste. Il a préféré l’abondance des images, la vivacité des descriptions, & sur-tout la multiplicité des détails, à cette sage sobriété, à ce style moëlleux & facile que le goût inspiroit lui-même aux Virgile & aux Horace. […] Son Ovide Chrétien est dans le même goût ; tout y change de face : les Héroïdes sont des Lettres pieuses ; les Fastes, les six jours de la création ; les Tristes, les Lamentations de Jérémie ; un Poëme sur l’amour de Dieu, remplace celui de l’Art d’aimer, l’Histoire de quelques Conversions tient lieu des Métamorphoses.

34. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentiments ; c’est une trop grande entreprise. […] Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature, celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au-delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement. Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les hommes ; ou pour mieux dire, il y a peu d’hommes dont l’esprit soit accompagné d’un goût sûr et d’une critique judicieuse. […] Il y a autant d’invention à s’enrichir par un sot livre qu’il y a de sottise à l’acheter : c’est ignorer le goût du peuple que de ne pas hasarder quelquefois de grandes fadaises.

35. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 512-518

Les petites intrigues de société, les éloges mendiés des Journalistes, la gauche admiration de quelques zélateurs, l’aveugle protection de quelques Mécenes, l’autorité même, sont de foibles remparts contre les traits du goût & de la raison offensés. […] La fausse ostentation de l’amour de la Patrie n’en imposera plus dans des bouches mensongeres ; & l’Ecrivain utile qui respectera les Loix, vengera la Religion, rappellera les mœurs, défendra le goût, sera assuré de voir protéger ses travaux, & de n’avoir pas à gémir des tristes effets de son zele. Au mérite de bien analyser un Ouvrage, d’en faire connoître les défauts, de donner d’excellens préceptes de goût, tous fondés sur la nature & la raison, M. […] Clément a publié depuis les premieres éditions de notre Ouvrage, plusieurs volumes de Lettres à M. de Voltaires, qui confirment de plus en plus le témoignage que nous avons rendu à la sagacité de son jugement & à la sûreté de son goût. […] Cet heureux accord lui procureroit le suffrage d’un plus grand nombre de Lecteurs, & contribueroit plus efficacement au triomphe du goût & à l’amour des vrais principes.

36. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « II »

Le goût ? Qu’est-ce que le goût ? […] — Un goût ? Il y a donc un goût ? […] — Oui, certes, et c’est par la connaissance de ce goût, par la pratique de ces règles que le style — même particulier — s’acquiert.

37. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Le génie avait parlé en eux bien avant que Louis XIV fût roi et que la nation eût connu son goût. […] Je ne m’étonne donc pas qu’un prince que Molière qualifie de roi judicieux 203 eût du goût, le goût n’étant que la plus grande délicatesse du jugement. […] Louis XIV eut-il du poète l’idée que s’en font aujourd’hui tous les gens de goût, et l’estima-t-il jamais à son prix ? […] Le goût de Louis XIV pour les enseignements de la chaire était sérieux et solide. […] Le goût s’y perfectionnait par les mêmes choses qui affermissaient la foi.

38. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Ne dites point que vous avez du goût pour notre état : embrassez-en un autre, si cette expression froide vous suffit. […] Mais on n’aime pas à donner un avis là-dessus. » Voulant faire entendre qu’on aime mieux rester exposé à un péril, même inutile. — Je ne cite ces passages que pour donner idée du ton du prince de Ligne parlant de ces choses de guerre avec rapidité et avec goût. […] Lacy et Laudon sont bien plutôt les généraux de son goût et de son admiration : il est glorieux et fier de se dire de loin leur élève35. […] Il apporte, dans sa composition des jardins, un grand souvenir de la société et un goût de l’y réunir et de la retrouver. […] C’est bien là l’esprit de société tel qu’il se mêlait, au xviiie  siècle, au goût des jardins.

39. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Ne dites pas non plus : « L’Académie maintient le goût. »    Quel goût ? […] Et de quel droit, à quel titre définirait-elle « le goût » ? […] Et j’avais tort de prétendre tout à l’heure qu’elle ne peut avoir un goût collectif et qui soit le goût académique. Seulement, ce goût ne saurait être qu’un goût moyen, entendez un goût médiocre. […] Je ne prétends même pas que tant de protestations soient d’un goût très distingué.

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