Junon chez lui, à l’occasion, parle en marchande et compare la queue du paon « à la boutique d’un lapidaire. » Il tourne volontiers au style trivial que sa trivialité rend narquois ; son amoureux est tiraillé entre deux veuves, « l’une encore verte, et l’autre un peu bien mûre » ; il est de moyen âge et « tire sur le grison », mais « il a du comptant, et partant de quoi choisir. » Ailleurs la goutte plante le piquet sur l’orteil d’un pauvre homme, pendant que l’araignée « se campe sur un lambris, comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie. » Tout son style est composé ainsi de familiarités gaies ; rien n’est plus efficace pour mettre en notre cerveau l’image des objets ; car en tout esprit les images familières se réveillent plus aisément que les autres, et les images gaies naissent plus promptement que toutes les autres dans l’esprit des Français. […] Ceci est tout français et charmant ; nous quittons vite la poésie, non pas par caprice maladif, comme par exemple Henri Heine, mais par amour de la clarté, par gaieté, pour sortir des grands mots et voir les choses nues. […] Ou, pour dire en français la chose.
Littré père professait sans réserve les principes de l’école française du XVIIIe siècle. […] Fils de la révolution française, il crut qu’en elle était contenue toute justice. […] Le soir des jours d’émeute, comme le soir des jours où il avait combattu de sa plume au National à côté de Carrel, il se reposait dans sa mansarde en préparant une édition d’Hippocrate, ou en traduisant les œuvres les plus importantes de la critique moderne, ou en rassemblant les matériaux de cet admirable Dictionnaire historique de la langue française qui sera, sans doute, un jour surpassé, si nous finissons le nôtre… Grandes et fortes natures de l’âge héroïque de notre race !
Par suite, une juste proportion entre l’histoire et la réalité qu’elle veut retracer exige qu’on mette en pleine lumière la tragicomédie dont l’apparition est devenue une date du théâtre français en laissant dans la pénombre ses deux sœurs mal nées. […] Irons-nous demander à l’Allemagne une équitable appréciation de la bonhomie fine et malicieuse qui donne aux fables de La Fontaine une saveur de terroir si piquante et si agréable à des palais français ? […] Discours de réception à l’Académie française.
Le roi anglais siégeait à Paris ; le Dauphin français se maintenait à grand-peine sur la Loire. […] Il y a d’elle un admirable mot : elle disait « que jamais elle n’avait vu sang de Français que les cheveux ne lui levassent sur la tête ». […] Un jour qu’à Poitiers, dans les premiers temps de son arrivée près du roi, un des docteurs du lieu voulait absolument savoir d’elle de quel idiome se servait l’archange en lui parlant, elle avait répondu à ce Limousin trop curieux : « Il parle un meilleur français que vous. » Chose mémorable !
Cette Histoire, dont l’auteur a donné depuis (en 1846) une seconde édition revue et définitive, a commencé, dès 1840, à obtenir le second des prix Gobert que l’Académie française décerne chaque année aux deux meilleurs ouvrages qui traitent de l’histoire de France. […] Je ne me permettrai ici qu’une remarque : de tous les écrivains distingués de nos jours, il n’en est, j’en suis certain, aucun qui ait fait plus d’épigrammes contre l’Académie française que M. […] Ce n’est pas même une conversation, c’est un cours de poésie française, un cours froid et sans relief, assaisonné de force plaisanteries indirectes et d’allusions contre les romantiques du temps.
C’est qu’ils sont à côté du sujet, c’est qu’ils le traitent au point de vue littéraire, dramatique, qui est le point de vue cher aux Français. […] En effet, disent ces derniers, le propre des Français est de tout juger par l’esprit, même les formes et les couleurs. […] Diderot, dans ses Salons, a trouvé la seule et vraie, manière de parler aux Français des beaux-arts, de les initier à ce sentiment nouveau, par l’esprit, par la conversation, de les faire entrer dans la couleur par les idées.
En se dépouillant aujourd’hui, pour le juger, de toute prévention et comme de tout ressouvenir personnel, on ne peut au moins s’empêcher de voir qu’il méconnaissait sur des points essentiels le génie du temps, celui même de la nation, et qu’il blessait la fibre française. […] Plus tard, à Hambourg (1810), il fit jouer des proverbes écrits, par la société française qui s’y trouvait amenée à la suite des guerres de l’Empire. […] Théodore Leclercq a eu bonne part, à sa façon, dans cette guerre alerte, moqueuse, pénétrante, bien française et bien parisienne, qu’on a de tout temps déclarée chez nous aux hypocrites et aux faiseurs de grimaces, aux entrepreneurs de morale ; il a sa place à la suite dans cette liste brillante qui, depuis et avant la Satyre Ménippée, se continue jusqu’à Beaumarchais et au-delà.
Voyons donc un peu ce qu’était cette Ninon tant célébrée, et voyons-la par le côté qui lui donne véritablement sa place dans l’histoire des lettres et dans celle de la société française. […] Sans compter le plaisir désintéressé qu’il y a à revivre quelque temps en idée dans cette compagnie choisie, je répondrai avec une parole de Goethe, le grand critique de notre âge : Ce serait, dit-il en parlant de Mme de Tencin, une histoire intéressante que la sienne et celle des femmes célèbres qui présidèrent aux principales sociétés de Paris dans le xviiie siècle, telles que Mmes Geoffrin, Du Deffand, Mlle de Lespinasse, etc. ; on y puiserait des détails utiles à la connaissance soit du caractère et de l’esprit français en particulier, soit même de l’esprit humain en général, car ces particularités se rattacheraient à des temps également honorables à l’un et à l’autre. […] , dans un éloge en latin de Fraguier, nous le représente au moment où il voulut écrire en français et se former au bon goût de notre langue : À cet effet, dit d’Olivet que je traduis, il s’en remit de son éducation à deux muses ; l’une était cette célèbre La Vergne (Mme de La Fayette), tant de fois chantée dans les vers des poètes, et l’autre qu’on a surnommée la moderne Leontium (Ninon).
Il étudia au collège Mazarin, tout proche l’hôtel de Conti ; il y fit de brillantes études, et s’annonça, de bonne heure, par son goût pour les vers français. […] Le Brun. » Il finissait par le renvoyer comme un écolier à un cours de langue française, en lui indiquant l’adresse du professeur. […] que Vienne aux Français fit un présent funeste !
Un ambassadeur de Perse en Moscovie écrira à Usbek sur les Tartares une demi-page, qui serait aussi bien un chapitre de L’Esprit des lois (lettre lxxxi) ; Rica, tout à côté, fera la critique la plus fine du babillage des Français et des diseurs de riens en société : puis Usbek dissertera sur Dieu et sur la justice dans une lettre fort belle et qui porte loin. […] Après avoir touché les questions qui sont proprement de la philosophie de l’histoire, après s’être étonné que les Français aient abandonné des lois anciennes faites par les premiers rois dans les assemblées de la nation, et être ainsi arrivé presque au seuil du grand ouvrage que sans doute il entrevoyait déjà dans l’avenir, Montesquieu continue de s’égayer sur maint sujet, et, quand il en a assez, il coupe court. […] Il se dégagea de ses liens, vendit sa charge, fut reçu en 1727 à l’Académie française, bien qu’il s’en fût beaucoup moqué comme tout le monde, avant d’en être, et il entreprit, au printemps de 1728, ses voyages en commençant par l’Allemagne, la Hongrie : à Vienne, il vit assidûment le prince Eugène ; en arrivant à Venise, il eut le plaisir d’y rencontrer Bonneval qui n’était pas encore passé chez les Turcs ; il visita Turin, Rome, l’Italie, revint par la Suisse, les bords du Rhin et la Hollande, et acheva son cours d’observations par l’Angleterre (octobre 1729).