Ces droits appartiennent également à tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs forces physiques et morales. […] La société, loin d’y porter atteinte, ne fait que la garantir contre l’abus de la force, qui la rend illusoire. […] Ils lui contestaient un à un tous ses organes de vie et de force. […] Ils n’avaient su ni les prévenir par un déploiement de forces, ni couvrir les victimes de leurs corps, ni punir ce crime sur les assassins. […] Avant qu’on les eût consultés, avant qu’ils eussent répondu, avant que leur force d’opinion et leur force armée fussent arrivées à Paris, les coalisés pouvaient être à ses portes, les Vendéens aux portes d’Orléans, la république étouffée dans son berceau.”
Si quelque chose prouve la force intime de spéculation qui est dans la nature humaine, c’est que, malgré la triste part faite jusqu’ici aux penseurs, il y ait eu des hommes capables de dévouer leur vie aux injures, à la persécution, à la pauvreté pour la recherche désintéressée du vrai. […] Il est dans la force des choses que tout ce qui n’a été imposé que par surprise excite le rire, dès que le prestige est détruit. […] Voilà le seul trait vraiment universel, le fond identique sur lequel les instincts divers ont brodé des variétés infinies, depuis les forces multiples des sauvages jusqu’à Jéhovah, depuis Jéhovah jusqu’à l’Oum indien. […] On se la figure comme un corps de religion, que nous faisons entrer de force dans nos conceptions. […] Elle suça tout jusqu’à la dernière goutte dans la pauvre humanité : suc et force, sang et vie, nature et art, famille, peuple, patrie ; tout y passa, et sur les ruines du monde épuisé il ne resta plus que le fantôme du Moi, chancelant et mal sûr de lui-même.
Y a-t-il trace de force ? […] Mais la profondeur et la force, on les lui refuse, d’aplomb et obstinément. […] il n’aura jamais ni la profondeur ni la force. […] il est plus jeune peut-être encore dans ses livres que dans la vie, et il ne vieillira pas ; car vieillir, c’est prendre, malgré soi, de la profondeur et de la force. […] Comme si la force et la profondeur avaient rigoureusement besoin d’espace !
Cela renouvelle d’ailleurs, de s’occuper de ceux qui arrivent, même quand ces jeunes gens n’ont de la jeunesse que la force et se produisent déjà très faits et très mûrs. […] Quoi qu’il en soit de ces légères erreurs et de ces séductions dont les plus méfiants ne savent pas toujours se garantir, quiconque a la noble ambition de se distinguer et de percer à son tour trouve là, durant ces années recluses, tout le loisir de méditer sa propre force, ses éléments d’invention ou d’arrangement, ses formes de jugement et de compréhension, de combiner fortement son entrée en campagne et sa conquête. […] Taine excelle à situer les auteurs qu’il étudie, dans leur époque et dans leur moment social, à les y encadrer, à les y enfermer, à les en déduire : ce n’est pas seulement chez lui une inclination et une pente, c’est un résultat de méthode et une conséquence qui a force de loi. […] Il accorde peu à la force individuelle. […] Ce qu’il faut lui répondre quand il s’exprime avec une affirmation si absolue, c’est que, entre un fait si général et aussi commun à tous que le sol et le climatu, et un résultat aussi compliqué et aussi divers que la variété des espèces et des individus qui y vivent, il y a place pour quantité de causes et de forces plus particulières, plus immédiates, et tant qu’on ne les a pas saisies, on n’a rien expliqué.
La fausseté de cette conception absolue choque Michelet ; il a reçu de Vico son « principe de la force vive, de l’humanité qui se crée ». […] Il eut cette force de sympathie qui seule atteint et ressuscite l’âme des siècles lointains. […] Il s’abandonne, avec une joie d’artiste, comme il l’a dit, à l’impression des documents qu’il est le premier à consulter : il atteint à la vérité par la force de sa sympathie ; il a voulu « retrouver cette idée que le moyen âge eut de lui, refaire son élan, son désir, son âme, avant de le juger » ; il se fait à lui-même une âme du moyen âge : de sorte que les obscurs instincts des masses populaires deviennent, dans sa conscience d’érudit, une claire notion du rôle de l’Église et du rôle de la royauté. […] La nature, si dure et si immorale au sentiment de beaucoup de nos contemporains, est pour Michelet une inépuisable source de joie, de force et de foi : il y renouvelle sa vie morale. […] A force de vibrante et candide sincérité, il est un des rares laïcs à qui il ait été donné de catéchiser sans ridicule.
Joubert demande surtout aux modernes, c’est de ne pas insister sur leurs défauts, de ne pas verser du côté où ils penchent, de ne pas s’y jeter de toutes leurs forces. […] Nous sommes très sensibles depuis quelques années à ce que nous nommons la force, la puissance. […] Joubert va répliquer pour moi : La force n’est pas l’énergie : quelques auteurs ont plus de muscles que de talent. La force ! […] Un écrit où ne se rencontrent que de la force et un certain feu sans éclat, n’annonce que le caractère.
Ferdousi n’a pas besoin d’avoir lu Horace ni Ovide pour dire les mêmes choses qu’eux, avec la haute conscience de sa force, et dans un sentiment plus poignant. […] Roustem appartient à cet âge héroïque où la force physique est encore considérée comme la première des vertus. […] L’enfant, sentant sa force, alla fièrement demander à sa mère le nom de son père, et quand il le sut, il n’eut plus de cesse qu’il n’eût assemblé une armée pour aller combattre les Iraniens et se faire reconnaître du glorieux Roustem à ses exploits et sa bravoure. […] Il voit son fils assis à un festin : il l’admire, il le compare, pour la force et la beauté, à sa propre race ; on dirait, à un moment, que le sang au-dedans va parler et lui crier : C’est lui ! […] Le prisonnier fait semblant de croire que Roustem n’est pas venu, car il craint que ce jeune orgueilleux, dans sa force indomptable, ne veuille se signaler en s’attaquant de préférence à ce chef illustre, et qu’il ne cause un grand malheur.
Richelieu, en rentrant au ministère, avait fait ses conditions qui étaient bien d’accord avec sa frêle santé et avec son humeur : il n’allait point au lever du roi ; il ne recevait point de visites ni de ces sollicitations qui usent le temps et les forces. […] Les voyant arriver à Angers, Richelieu s’efface devant eux et ne prend guère part à leurs délibérations ; entre deux écrits dressés au nom de la reine, l’un plus modéré, plus prudent, et qui ne va pas à la guerre civile, et l’autre plus aigre, plus violent, et qui est un manifeste d’hostilité, il est d’avis qu’on se borne au premier, d’autant plus qu’on n’est pas de force à soutenir le second. […] Richelieu, par exemple, ne se croit nullement tyrannique dans le sens où l’était le devancier qu’il flétrit : Lui, au contraire, dit-il, ayant la force en main, méprisait de contenter aucun, estimant qu’il lui suffisait de tenir leurs personnes par force, et qu’il n’importait de les tenir attachées par le cœur : mais en cela il se trompait bien ; car il est impossible qu’un gouvernement subsiste où nul n’a satisfaction et chacun est traité avec violence. […] Après la mort de Luynes, Richelieu n’entre pas encore au ministère ; les ministres qui sont en cour le redoutent, lui sachant tant de lumières et de force de jugement ; ils retardent le plus qu’ils peuvent le moment où le roi prendra de lui quelque connaissance particulière, de peur de le voir aussitôt à la tête des affaires : « J’ai eu ce malheur, dit-il, que ceux qui ont pu beaucoup dans l’État m’en ont toujours voulu, non pour aucun mal que je leur eusse fait, mais pour le bien qu’on croyait être en moi. » Ils ont beau faire, ils ont beau s’opposer à la destinée et s’enfoncer chaque jour dans leurs dilapidations et dans leurs fautes, le moment approche, il est venu, Richelieu désormais est inévitable. […] Ce rôle de l’homme d’État, qui, à chaque moment social, est le principal et le plus actuel, n’est pas le seul, et deux forces en lutte gouvernent le monde.
En dépit de sa force et de sa fierté, l’esprit reste toujours victime de l’habitude ou son esclave. […] Attachés, ils secouent leurs attaches, et c’est leur manière de les secouer qui prouve leur grandeur et leur force. […] Dans cette histoire de la comédie inédite, qui a passé avec les hommes qui la jouaient sans laisser des œuvres après elle, ce n’est ni la comédie ni l’histoire qui m’ont le plus intéressé, mais l’auteur lui-même, cet esprit, confisqué jusqu’ici par la science, doué de tant de forces différentes, et qui, sorti enfin de ses études spéciales, me donne aujourd’hui l’occasion de parler de lui pour la première fois ! […] J’ai dit ce que je pensais de ses résumés historiques dont le groupement rappelle la vaste manière de Macaulay, de ses jugements, à grands coups de scalpel à fond, sur ces immenses et ruminantes pécores orientales (la Chine et l’Inde) qui n’ont ni rire ni comédie, quoiqu’elles aient des spectacles ; mais je n’ai pas dit comme je le sais la force d’imagination et d’observation équilibrées qui distingue cette encyclopédie de facultés qu’on appelle Édelestand du Méril, car peut-être ne me croirait-on pas. […] Voilà le défaut, qui tient à une qualité de force de tête et d’embrassement que nous n’avons pas comme l’auteur.
De l’idée générale il fallait aller jusqu’à l’absolu de l’idée, et mettre la main sur ce qui ferait le couronnement, la gloire et la force de toute critique : le critérium, que je cherche en vain dans tous les critiques, depuis Goethe jusqu’à Sainte-Beuve, qui le nient et le méprisent, et jusqu’à Aubryet, qui ne le méprise point, lui ; qui en a probablement un vague instinct, un désir confus, au fond de son intelligence éprise de l’idée ; mais qui, dans son livre des Jugements nouveaux, encore aujourd’hui ne l’a pas ! […] Je l’ai constaté : progrès marqué sur les autres critiques contemporaines, cette critique d’âme et d’idée, avant tout, ne sort pas assez nettement d’une métaphysique dont on voie les termes et qui donne à l’esprit éclairé et affermi de son auteur la règle suprême, le dictamen inflexible, le bâton de longueur qui vaut sceptre et avec lequel le critique, qui est juge et roi à force d’être juge, prend la mesure des œuvres et des hommes. […] Presque métaphysicien et presque chrétien, voilà sa force et sa faiblesse. Mais cette moitié de force et de faiblesse peut être toute force demain, et, pour cela, l’auteur des Jugements nouveaux n’aura pas besoin de se démentir : il s’accomplira simplement. […] Cet esprit profond et tragique qui a écrit le morceau d’Hamlet ou le mal de l’analyse, cet esprit comique et profond qui a écrit le chapitre de Prudhomme ou la synthèse de la sottise, se trompe presque à chaque fois sur les hommes et sur la quantité de forces intellectuelles qu’ils ont en eux ou qu’ils ont versées dans leurs œuvres.