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23. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Aucun philosophe ne croit aujourd’hui à l’existence de pensées pures et pourtant particulières, distinctes des images qui leur sont associées, et seulement exprimées par ces images qui ne les constituent à aucun degré. […] Transition de l’onomatopée, par la métaphore, au signe arbitraire ; comment s’expriment les idées dont l’objet n’est pas sensible. […] Elles ne peuvent être exprimées que par des symboles ou par des signes arbitraires. […] Comment s’expriment d’elles-mêmes à la conscience les idées particulières. […] L’expérience remémorée se dénonce et se signifie elle-même à la conscience, — et c’est là, il faut le reconnaître, le premier début et le principe originel de la signification ; — la pensée, nouvelle ou remémorée, ne peut s’exprimer elle-même, comme fait l’expérience, par une de ses parties ; elle s’exprime, elle se signale à la conscience par le langage intérieur, qui est son œuvre, mais avec lequel elle n’a rien de commun.

24. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Dans ce dernier cas nous remarquons plus malaisément que dans le premier la succession des sons intérieurs, car ils ne font qu’un pour nous avec la pensée qu’ils expriment. […] Jusqu’à ce qu’on en soit venu à ce point, on parle toujours en soi-même un langage humain et on revêtit ses pensées des paroles dont on se servirait pour les exprimer à un autre. […] Le mot qui l’exprime, et pas autre chose31 » A ces courts passages se borne la description du phénomène. […] A côté du langage audible, seul propre à l’expression des idées générales, spirituelles et morales, il y a le langage visible des gestes, ou « langage d’action », auquel correspond, dans la vie intérieure de l’âme, la succession des images, et qui n’exprime que les idées matérielles et particulières ; ne pouvant exprimer l’idée de l’être et ses temps, il ne peut renfermer aucun verbe. […] Louis Ménard, exprime très exactement le vœu de l’homme qui aspire au sommeil : le sommeil, j’entends un bon sommeil, est un nirvana temporaire et périodique.

25. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

L’invention des symbolistes consiste peut-être à ne pas dire quels sentiments, quelles pensées ou quels états d’esprit ils expriment par des images. […] Mais ici le poète exprime par une seule image deux sentiments très distincts ; puis il la développe pour elle-même où plutôt la laisse se développer avec une sorte de caprice languissant. […] C’est la poésie du crépuscule exprimée dans le songe encore, avant la réflexion, avant que les images et les sentiments que le crépuscule éveille n’aient été ordonnés et liés par le jugement. […] A mon avis, c’est peut-être la première fois que la poésie française a véritablement exprimé l’amour de Dieu. […] Il n’exprime presque jamais des moments de conscience pleine ni de raison entière.

26. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

La musique des peuplades sauvages a pour exprimer les mêmes sentiments des rythmes tout différents de ceux que nous employons. […] Il en est résulté dans les esprits russes, tous imprégnés depuis des siècles par ces mélodies, une association rigoureuse entre les émotions et les signes qui les expriment. […] Restait la grammaire, c’est-à-dire le choix des émotions que l’on exprimerait, et la forme générale que l’on donnerait à leur expression. […] Mais, comme Wagner encore, ils ont vu que le drame musical, devant exprimer la vie de personnages réels, ne pouvait pas conserver les formes convenues des vieux opéras. […] Elle est chez Wagner expression de l’émotion, là où, chez les Russes, l’émotion est exprimée par le chant, ce qui ouvre de nombreux débats.

27. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Les personnages allegoriques modernes sont ceux que les peintres ont inventez depuis peu et qu’ils inventent encore, pour exprimer leurs idées. […] Dans l’un, le peintre a répresenté l’homme tyrannisé par les passions, et dans l’autre, il exprime d’une maniere simbolique l’empire de la vertu sur les passions. […] Ils peuvent bien dans les sujets qui ne répresentent pas les mysteres et les miracles de notre religion, se servir d’une composition allegorique, dont l’action exprimera quelque verité, qui ne sçauroit être renduë autrement, soit en peinture, soit en sculpture. […] Ce grand poëte y exprime trop ingenieusement, par une composition allegorique, le merite de l’intercession des saints, dont les prieres procurent souvent aux pecheurs le tems et les moïens de se repentir. […] Je leur réponds qu’il faut sçavoir faire quelque chose de plus que copier servilement la nature, ce qui est déja beaucoup, pour donner à chaque passion son caractere convenable, et pour bien exprimer les sentimens de tous les personnages d’un tableau.

28. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

Autre chose est exprimer, autre chose est interpréter. L’enfant nouveau-né, qui exprime sa douleur par des cris, ne comprend pas encore la signification des cris chez un autre enfant. […] Ainsi, il paraît bien que souvent le langage mental subsiste, et que c’est la faculté de s’exprimer, qui seule est atteinte58. […] Baillarger a également appelé l’attention sur un fait très important dans l’histoire de l’aphasie, c’est que, dans beaucoup de cas, l’impuissance de s’exprimer est beaucoup plutôt une impuissance de la volonté que de la faculté même du langage. […] Il est bien difficile de juger d’une manière exacte du degré d’intelligence d’une personne qui a perdu le moyen de s’exprimer.

29. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XI. De l’ignorance de la langue. — Nécessité d’étendre le vocabulaire dont on dispose. — Constructions insolites et néologismes »

L’association qui lie une idée et une expression ne se fait chez eux que dans un sens, et comprendre l’expression n’entraîne pas la capacité d’exprimer l’idée. […] Et il faut diriger les études de telle sorte que le vocabulaire dont on disposera le jour où l’on aura besoin d’exprimer sa pensée soit aussi ample, aussi riche que possible : l’intelligence même y trouvera son compte. […] Mais il ne suffit plus ici de lire des yeux, ni même de repasser des mots aux choses, des signes aux objets, il faut étudier les mots dans leurs rapports entre eux, dans leurs sens, voir ce qu’ils pourraient exprimer autant que ce qu’ils expriment, rechercher leurs origines et leurs variations, sonder leur profondeur, mesurer leur étendue, profiter en un mot de la rencontre qu’on en fait une fois, pour les connaître intimement, à fond, pour jamais. […] En recherchant les termes les plus justes qui répondent aux mots étrangers et aux idées des écrivains, on pénètre plus avant dans le sens des mots français, on en mesure mieux l’énergie et la vertu, et l’on en fait provision en même temps pour le jour où l’on devra exprimer ses propres pensées.

30. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Quoi qu’il en soit, c’est dans les prosateurs que l’esprit français se manifeste tout entier, parce que là seulement il exprime un grand nombre d’idées générales. […] Recueillir et exprimer le plus grand nombre d’idées dans toutes les matières qui peuvent recevoir la forme littéraire et perfectionner les langues. Or, aucun auteur de l’antiquité n’a plus exprimé de ces idées-là que Plutarque. […] Dans quel ordre d’idées Plutarque n’at-il pas, soit exprimé quelque vérité durable et féconde, soit recueilli quelque fait d’où sortira, sous la plume d’un autre écrivain une vérité de ce genre ? […] Tous les esprits cultivés aiment, cet heureux don d’exprimer des choses sensées par un tour piquant qui est proprement l’esprit, si national dans notre pays.

31. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Nous exprimons ainsi ce que nous avons en fonction de ce que nous voudrions obtenir. […] On obtiendra ainsi une série d’absurdités qui toutes exprimeront la même absurdité fondamentale. […] Mais la première manière de s’exprimer est seule conforme à nos habitudes de langage. […] Les formes sont tout ce qu’il est capable d’exprimer. […] Les deux manières de s’exprimer se valent.

32. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Car c’est présenter un tableau dont le modèle ne peut être dans la nature ; et s’il ne faut pas choisir pour les exprimer les choses trop particulières, encore, quand on les choisit, n’a-t-on d’excuse que si on les rend avec intensité dans leur caractéristique particularité. […] y en a-t-il d’autres que par rapport au modèle, et que la nécessité de l’exprimer fidèlement ? […] Cette imitation de la nature, vraie, vraisemblable, intéressante, doit s’exprimer dans une forme d’art précise et serrée. […] Comme s’il ne fallait pas d’autant plus d’esprit et de talent que la chose est plus grande, pour la bien exprimer ! […] En somme, l’art orne la nature, parce qu’il l’exprime dans des formes conventionnelles, dont l’objet est la beauté autant que la vérité.

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