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594. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Si, au mystère de leur cœur grandit un amour secret, ils sentent sa force douce éclore en eux « comme un lis de mer s’épanouit au fond des eaux tièdes de l’Océan ». Ils s’égaient un instant à regarder « les eaux dansantes » des petits ruisseaux s’échapper, enfants joueurs, de la fontaine maternelle. […] Dans cette solitude où régnait le silence             On n’entendait plus que la voix        De la source où vibrait un gazouillis d’eau vive,                  Une chanson captive Parmi la mousse ; et puis aussi                    — Murmure adouci                   Par la brise et l’espace —                Les clochettes d’un lent troupeau                Conduit par le berger qui passe        En effleurant du doigt sa flûte de sureau.

595. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

L’être qui ne sent pas peut sans doute, nous l’avons vu, conserver tantôt des mouvements, comme l’eau qui ondule, tantôt des empreintes ou « résidus », comme le sable du rivage : mais ce mode de conservation tout extérieur, cette mémoire mécanique n’est pas la conservation mentale sans laquelle on ne peut parler de souvenir proprement dit. « La mer frémit encore du sillage des vaisseaux de Pompée » ; oui, sans doute, mais la mer ne se « souvient » ni des vaisseaux qui l’ont fait frémir, ni de Pompée qui s’est miré dans ses eaux. […] Ainsi, nous n’avons par le souvenir qu’une très faible reproduction d’un mal de dents passé, d’une brûlure, d’un frisson produit par une eau glacée, du mal de tête, etc.

596. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

J’ouvrais le matin au porteur d’eau. […] On le fit avec Marat dans sa baignoire où l’on versait de l’eau trop chaude, ce qui faisait dire au révolutionnaire : « Je bous, je bous !  […] Ils se retrouvaient, le lendemain comme la veille, dispos et gaillards, l’âme en rut : ils ignoraient ce grand vide qui se promène en vous, après les excès, ainsi qu’une carafe d’eau dans la tête d’un hydrocéphale.

597. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

C’est le tourbillon de l’anarchie qui passe devant vous et qui a tous les inconvénients des tourbillons, faits toujours avec des atomes, — des atomes d’eau ou des atomes de poussière. […] Il a compté et supputé tous les monstres de ces gouttes d’eau qu’on appelle les villes d’Italie, et, pour parler comme lui, il a suivi toutes les ondulations, tous les frémissements de ces gouttes, impures et sanglantes ! Seulement ces monstres d’une goutte d’eau ont beau être affreux à dégoûter de leur étude et à nous faire briser le microscope à travers lequel on les voit, ils n’ont jamais pour le lecteur qu’un intérêt très secondaire, et on peut leur appliquer une observation qui est de M. 

598. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Il est animiste à la manière des enfants, donne une volonté à l’eau, au vent. […] La lumière discontinue a créé l’œil, comme la goutte d’eau crée un trou dans le granit. […] L’eau vivante, au contraire, est une compagne et une amie. […] La caresse froide de l’eau des fleuves n’est aimée que de ceux qui n’ont pas connu la mer. […] Après tout, s’ils n’ont pas les plaisirs de la mer, ils ont les plaisirs de l’eau.

599. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Elle prépare le baptême de cette seconde naissance ; mais ce n’est plus l’eau qu’elle choisit, c’est l’huile, emblème de l’incorruptibilité céleste. […] On dit même que les eaux du Paraguay rendent la voix plus belle. […] Il voyait la femme et les enfants pleurer d’une joie inconnue ; bientôt, subjugué par un attrait irrésistible, il tombait au pied de la croix, et mêlait des torrents de larmes aux eaux régénératrices qui coulaient sur sa tête. […] Nous ne voulons point …… Chasser les Tritons de l’empire des eaux, Ôter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux. […] Les Dieux exaucent sa prière ; ils le changent en fleuve, et, sous cette nouvelle forme, ses eaux versent encore l’abondance au pays dont ses vertus avaient fait le bonheur.

600. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

La précision se dévie dans le temps comme le bâton dans l’eau. […] À tous il offre son asile, son repos, ses eaux et ses prairies. […] Arrivés aux enfers, ils s’ennuient, regrettent l’existence, n’ayant point bu l’eau du Léthé. […] Ce que l’on boit aux tournants similaires de la vie, ce n’est jamais l’eau du Léthé, mais toujours l’eau de mémoire, âpre et grumeleuse et qui laisse la bouche brûlante. […] Il aime les paysages énigmatiques, les étangs dont l’eau est malade, les châteaux sombres aux froids corridors et les lourdes portes barrées de fer.

601. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

que mon âme n’est-elle changée en petites gouttes d’eau pour tomber dans l’Océan, et qu’on ne la retrouve jamais !  […] Philaster dit en parlant d’Euphrasie qu’il prend pour un page, et qui s’est déguisée ainsi pour obtenir d’être à son service102 : « Je l’ai rencontré pour la première fois assis au bord d’une fontaine, —  il y puisait un peu d’eau pour étancher sa soif, —  et la lui rendait en larmes. —  Une guirlande était auprès de lui faite par ses mains, —  de maintes fleurs diverses, nourries sur la rive, —  arrangées en ordre mystique, tellement que la rareté m’en charma. —  Mais quand il tournait ses yeux tendres vers elles, il pleurait — comme s’il eût voulu les faire revivre. —  Voyant sur son visage cette charmante innocence, —  je demandai au cher pauvret toute son histoire. —  Il me dit que ses parents, de bons parents étaient morts, —  le laissant à la merci des champs, —  qui lui donnaient des racines, des fontaines cristallines qui ne lui refusaient pas leurs eaux, —  et du doux soleil qui lui accordait encore sa lumière. —  Puis il prit la guirlande et me montra ce que chaque fleur, dans l’usage des gens de campagne, signifie, —  et comment toutes, rangées de la sorte, exprimaient sa peine. —  Je le pris, et j’ai gagné ainsi le plus fidèle, —  le plus aimant, le plus gentil enfant qu’un maître ait jamais eu. » L’idylle naît d’elle-même parmi ces fleurs humaines ; le drame suspend son cours pour s’attarder devant la suavité angélique de leurs tendresses et de leurs pudeurs. […] C’est dans le pays imaginaire que vit Amoret, la bergère fidèle, pays plein de dieux antiques, et pourtant anglais, pareil à ces paysages humides et verdoyants, où Rubens fait danser des nymphes104. « Les plaines penchées descendent, étendant leurs bras jusqu’à la mer, et les bois épais cachent des creux que n’a jamais baisés le soleil… Là est une source sacrée, où les fées agiles forment leurs rondes, à la pâle clarté de la lune ; elles y trempent les petits enfants dérobés, pour les affranchir des lois de notre chair fragile, et de notre grossière mortalité… Là est un air aussi frais et aussi suave que lorsque le zéphyr en se jouant vient caresser la face des eaux frémissantes. […] Les calomniateurs vont la jeter dans la profonde fontaine ; mais le dieu, prenant une des perles de sa chevelure liquide, la laisse tomber sur la blessure ; la chaste chair se referme au contact de l’eau divine, et la jeune fille, revenue à elle, va retrouver celui qu’elle aime encore106 : « Parle, si tu es là, c’est ton Amoret, ta bien-aimée — qui prononce ton cher nom. […] Pourquoi as-tu déchiré — ces cheveux bouclés où j’ai souvent attaché — des roses fraîches et des rubans, et où j’ai versé — des eaux distillées pour te parer et t’embellir, pour t’embaumer de senteurs plus douces que des bouquets un jour de noces ?

602. (1933) De mon temps…

Ce fut là que naquit son amitié pour les fleurs et qu’elle se familiarisa avec les beautés de la terre, des eaux et du ciel, que grandit en elle cet ardent et mélancolique amour de la vie qui la rendit à jamais sensible à tout ce qui est vivant, à tout ce qui en nous souffre, désire, espère, regrette. […] Sur l’eau déjà crépusculaire, seul dans une barque, un monsieur ramait gravement, coiffé d’un correct chapeau de haute forme, par lequel, insinuait plaisamment Mallarmé, ce navigateur imaginatif prétendait remplacer la cheminée d’un vapeur illusoire. […] La « yole » n’était pas à l’eau, mais Mallarmé possédait une charrette légère à laquelle on attelait un poney que conduisait habituellement la charmante MIle Geneviève Mallarmé. […] Si vous voulez le visiter, traversez les deux premières cours du Palais Mazarin et, après avoir foulé leur docte pavé et salué le buste de Minerve qui domine la cuve d’une fontaine sans eau, pénétrez dans la troisième enceinte que sépare des deux premières un mur où un passage a été ménagé. […] Elles sont soigneusement arrosées, et si l’eau qu’on leur distribue n’est pas puisée à l’antique puits qu’elles environnent et fleurissent, cette eau n’entretient pas moins en fraîcheur la petite académie qu’elles forment et qui tient séance dans la cour de l’Institut.

603. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Soit que la prodigieuse élévation des plateaux de l’Himalaya et du Thibet, qui dépasse de tant de milliers de coudées les cimes mêmes des Alpes, eût sauvé, comme quelques auteurs l’ont pensé, de l’inondation quelque peuple de la haute Asie, peuple redescendu après l’écoulement des eaux dans la Chine ; soit que quelque grand sauvetage de l’humanité, dont l’arche de Noé flottant et abordant sur les montagnes de l’Arménie est l’explication biblique, se fût opéré pour les peuples voisins de la grande Tartarie, les Chinois n’apparaissaient en Chine que comme des naufragés du globe qui viennent s’essuyer et essuyer le sol tout trempé de l’inondation à de nouveaux soleils. […] Les premiers chefs et les premiers sages chinois, pendant qu’ils sont occupés à faire écouler les eaux de leur déluge des basses terres de leur empire, apparaissent dès le premier jour des livres à la main. […] Ici l’esprit s’abîme dans le doute en présence de ces livres mystérieux, préservés peut-être des eaux sur quelque cime ou sur quelque arche flottante pour renouer le nouveau peuple chinois au vieux peuple de ses ancêtres submergés. […] XIX À vingt et un ans, Confucius fut investi de l’intendance générale des terres incultes, des eaux et des troupeaux du royaume.

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