Si j’avais concentré toutes les forces de ma sensibilité, de mon imagination, de ma raison, dans la seule faculté poétique ; si j’avais conçu lentement, écrit paisiblement, retouché sévèrement mon épopée sur un de ces grands et éternels sujets qui touchent à la fois à la terre et au ciel ; si j’avais semé à travers les dogmes et les hymnes de la philosophie religieuse ces épisodes d’héroïsme, de martyres et d’amour qui font couler autant de larmes que de vers dans les épopées du Tasse, de Camoëns ou du Dante ; si j’avais encadré mes drames épiques dans ces grandioses descriptions du ciel astronomique ou dans ces descriptions de la nature pastorale et maritime, de la terre et de la mer ; si j’avais emprunté les pinceaux et les couleurs tour à tour des grands poètes épiques de l’Inde, d’Homère, de Virgile, de Théocrite, et si j’avais répandu à grandes effusions toute la tendresse et toute la mélancolie de l’âme moderne d’Ossian, de Byron ou de Chateaubriand, dans ces sujets ; je me flatte, sans doute, mais je crois, de bonne foi, que j’aurais pu accomplir quelque œuvre, non égale, mais parallèle aux beaux monuments poétiques de nos littératures.
N’est-ce pas aussi l’idée du progrès qui circule à travers le drame magnifique de Prométhée ?
Quelle que soit la part de sa maladie spéciale dans la formation ou la déformation de son génie, il faut reconnaître en plus, reconnaître surtout, diraient les psychanalystes, dans le fond de Baudelaire le retentissement du drame que fut le second mariage de sa mère. […] » On est en général amoureux de l’amour avant d’être amoureux de quelqu’un, et, pour une sensibilité fraîche, nourrie aux sources naturelles, l’amour de l’amour ne saurait se séparer d’une exaltation, d’une découverte passionnée qui l’enveloppent et le déguisent : Fromentin les a ramassées un peu artificiellement dans le cadre d’une journée de printemps ; le drame y gagne, comme la tragédie classique, en abstraction et en netteté. […] C’est qu’ils eussent compliqué et affaibli cette œuvre, n’eussent pas laissé toute la place au drame d’amour.
Il a très bien compris que, si certains genres poétiques, ou demi-poétiques plutôt, comme le drame et la comédie, sont, en leur fond, œuvres d’observation et de logique, tels autres genres, comme la poésie lyrique, sont, en leur fond, œuvres de passion et d’enthousiasme, ce qu’ignoraient profondément les Benserade, les Pavillon et les Voiture, lesquels estimaient que tout se fait avec de l’esprit et de la bonne grâce de style. […] Il consiste à être vrai, logique et touchant dans le drame ; à être vrai, logique et plaisant dans la comédie ; à être ému, et à tirer des larmes parce qu’on pleure dans les vers d’amour ; à n’être plus raisonnable du tout, au sens technique du mot, mais violemment ébranlé et exalté dans la poésie lyrique. […] Car le drame, c’est l’action, et l’action est le propre de l’âge viril, comme la rêverie, l’élégie et la fantaisie sont les muses de la jeunesse. […] Il n’en sera pas de même, sans doute, dans un poème épique, un drame, une comédie, un discours philosophique en vers, une histoire, un traité philosophique, etc. […] L’amour rencontrant un obstacle dans l’institution de la famille, dans l’institution du mariage, dans un devoir civique ou patriotique, voilà ce qui rend intéressant les drames, les tragédies ou même les comédies de l’amour.
C’est un roman naturaliste et ce roman naturaliste est un roman militaire. « J’essaye le premier, dit l’auteur dans sa préface, d’appliquer une vision artiste et les procédés du roman d’analyse à l’étude sur nature du Soldat… Tout un monde mis en scène dans une confusion de foule et deux personnalités essentielles campées seules en pleine lumière : l’Homme et le Régiment, — un drame très simple sous la complication des détails, jaillissant de leur antagonisme, de leur action réciproque, de leur collage et de leur brutale rupture, voilà tout ce livre ; en somme, rien que de la littérature construite sur la vérité. » J’entends bien, mais il reste à savoir ce que c’est que la vérité et si celle de M. […] Je découragerais volontiers certains de mes amis d’écrire un drame ou une épopée ; je ne découragerais personne de dicter ses mémoires, personne, pas même ma cuisinière bretonne ; qui ne sait lire que les lettres moulées de son livre de messe et qui croit fermement que ma maison est hantée par l’âme d’un sabotier qui revient la nuit demander des prières. […] Gilbert-Augustin Thierry contenait pour tout drame la découverte inattendue et la perte définitive de la Milésienne de Patras, le public s’y plairait sans doute beaucoup moins que je ne fais ; mais M. […] C’est de cette situation que jaillit un drame étrange, puissant et si neuf qu’il était impossible de le concevoir il y a seulement cinq ans. […] Elle sent profondément la poésie d’Homère. « Personne, il me semble, ne peut, dit-elle, échapper à cette adoration des anciens… Aucun drame moderne, aucun roman, aucune comédie à sensation de Dumas ou de George Sand ne m’a laissé un souvenir aussi net et une impression aussi profonde, aussi naturelle que la description de la prise de Troie.
Il arrive parfois, au contraire, que tout est tranquille dans la société, tout, excepté les imaginations, qui alors (on a pu le voir sous Louis-Philippe) demandent à la littérature des drames échevelés, pantelants. […] Shakespeare, par exemple, même en imitant les Italiens dans ses sonnets et dans une dizaine de ses drames, reste profondément Anglais et profondément de son siècle comme de son pays. […] Qui ne reconnaîtrait l’Angleterre dans Shakespeare, même lorsqu’il veut peindre l’ancienne Rome, comme dans ses drames de Jules César et de Coriolan ? […] Les plus beaux drames de Shakespeare, ses dénouements les plus tragiques, ne seraient pas complets sans une enquête. […] Le génie dramatique lui vint ; il le dut au drame intérieur qui se passa en lui.
Jean Jullien : « Ils sont longs les mois de l’expéditionnaire, cette roue dentée qui s’engrène sur le pignon lent de l’année, et qui n’arrive avec une torturante lenteur à la détente de la paye que « pour recommencer fatalement la même course dans le même cercle. » Dans La Vie sans lutte, l’auteur nous montre les drames qui se jouent dans ces pauvres ménages d’employés, d’hommes qui eussent pu vivre heureux sous la blouse de l’ouvrier et qui meurent de misère sous leurs redingotes râpées. […] Le drame, très simple, qui nous conduit au dénouement, sert de cadre à de hauts aperçus philosophiques, sans que le côté sentimental, la note dominante du roman en devienne amoindrie. […] Le dimanche, à cinq heures, il a été pris de délire et s’est mis à faire tout haut le scénario d’un drame moyen âge sur l’Inquisition ; il m’appelait pour me le montrer et il en était enthousiasmé. […] Son œil gris, qui a tour à tour des transparences inquiétantes pour poursuivre intérieurement des chimères invisibles, et des reflets d’acier pour guetter les drames de l’ambition ou de l’argent sur le visage des passants pressés, se fixe toujours en face sur la vie, — comme celui d’un homme qui n’a peur ni de ses idées ni de ses rêves.
Pas de drame, des situations très-simples, et je ne sais quel intérêt attachant.
C’est lui qui détruit l’ancien drame, abaisse le nouveau, appauvrit et détourne la poésie, produit l’histoire correcte, agréable, sensée, décolorée et à courtes vues.
Quant au plaisir, aux langueurs, aux rêveries, à l’amour, l’institution moderne du drame musical ou de l’opéra composé par des musiciens de génie, tels que l’Italie et l’Allemagne italienne en donnent au monde de nos jours, et chanté par les Malibran, les hommes n’inventèrent jamais une effémination et une corruption plus délicieuses, mais plus dangereuses, de la virilité des âmes.