Misère intelligente et fière ; — à travers les haillons vous retrouvez facilement l’orgueil du grand seigneur, le drame et ses douleurs, la comédie et son rire. […] Ô douleur ! […] Ô douleur ! […] Tout se confond dans son rôle, dans sa pensée et dans sa raison. — Ô douleur ! […] Ô douleur !
Et riant, conversant de rien, de toute chose, Retenant la pensée au calme qui repose, On voyait le soleil vers le couchant rougir, Des saules non plantés les ombres s’élargir, Et sous les longs rayons de cette heure plus sûre S’éclairer les vergers en salles de verdure, Jusqu’à ce que, tournant par un dernier coteau, Nous eûmes retrouvé la route du château, Où d’abord, en entrant, la pelouse apparue Nous offrit du plus loin une enfant accourue13, Jeune fille demain en sa tendre saison, Orgueil et cher appui de l’antique maison, Fleur de tout un passé majestueux et grave, Rejeton précieux où plus d’un nom se grave, Qui refait l’espérance et les fraîches couleurs, Qui sait les souvenirs et non pas les douleurs, Et dont, chaque matin, l’heureuse et blonde tête, Après les jours chargés de gloire et de tempête, Porte légèrement tout ce poids des aïeux, Et court sur le gazon, le vent dans ses cheveux.
Lorsque nous venions parler, il y a quelques mois, de la mort de Rodolphe Topffer, enlevé à la veille même de la révolution de Genève, nous aurions pu dire qu’il y avait eu une opportunité du moins dans cette mort si prématurée, et, rappelant d’immortels et classiques passages, nous aurions pu, sans parodie, nous écrier qu’il n’avait pas eu du moins la douleur de voir le Sénat assiégé et les magistrats réduits par les armes : Non vidit obsessam Curiam et clausum armis Senatum… En parlant de la sorte, nous n’aurions rien dit d’exagéré.
Le poète érotique pour nous, c’est celui qui transporte la patrie, la liberté, l’humanité, dans l’amour, qui consacre les tourments et les désirs de la volupté par des douleurs et des espérances bien autrement viriles ; c’est celui qui nous enivre de notre gloire en même temps que de la beauté, qui, dans le délire des sens, a une pensée encore pour les malheurs du monde : nommons-le, le poète érotique pour nous, c’est Béranger, plaçant le message d’Athènes jusque sous l’aile de la colombe amoureuse.
De ce nombre, il convient de citer les Cuirassiers de Reischoffen et le Maître d’école, ce dernier ouvrage surtout, dont un autre poète a dit qu’il était « le plus beau cri de douleur qu’ait poussé la patrie française pendant son martyre de 1870 ».
C’est le cri de l’âme, c’est l’envolée de la conscience, c’est une mélodie extra-humaine, toute de sensation, de raffinement, qui parle aux cœurs ensevelis dans le scepticisme égoïste du siècle, et qui fait, sous sa joie aiguë, jaillir la douleur.
« Reste la douleur.
Discours prononcé à Tréguier 2 août 1884 Messieurs et amis, Que je vous remercie de m’avoir enlevé, moi déjà si peu enlevable, à cet éternel fauteuil où je m’ankylose, à ces douleurs par lesquelles je me laisse envahir, à ces hésitations d’où j’ai besoin d’être tiré de force !
avoir le cœur séparé de soi-mesme, estre maintenant en paix, ores en guerre, ores en trefve ; couvrir et cacher sa douleur ; changer visage mille fois le jour ; sentir le sang qui lui rougit la face, y montant, puis soudain s’enfuit, la laissant pâle, ainsi que honte, espérance ou peur nous gouvernent ; chercher ce qui nous tourmente, feignant le fuir, et néanmoins avoir crainte de le trouver ; n’avoir qu’un petit ris entre mille soupirs ; se tromper soi-mesme ; prusler de loin, geler de près ; un parler interrompu, un silence venant tout à coup, ne sont-ce tous signes d’un homme aliéné de son bon entendement ? […] Ainsi Amour inconstamment me mène : Et quand je pense avoir plus de douleur, Sans y penser je me treuve hors de peine. […] la Cypris n’est pas seulement Cypris, mais elle est surnommée de tous les noms ; c’est l’Enfer, c’est la violence irrésistible, c’est la rage furieuse, c’est le désir sans mélange, c’est le cri aigu de la douleur !
Une lettre de février 93, écrite par elle de Leipsick à Bernardin de Saint-Pierre199, prouve seulement que de grandes douleurs personnelles, la mort d’un père, quelque secret déchirement d’une autre nature peut-être, le climat aussi de Livonie, avaient, durant les quatorze derniers mois, porté dans cette organisation nerveuse un ébranlement dont elle commençait enfin à revenir : « La fièvre qui brûlait mon sang, dit-elle, a disparu ; mon cerveau n’est plus affecté comme il l’était autrefois, et l’espérance et la nature descendent derechef sur mon âme soulevée par d’amers chagrins et de terribles orages. […] Mme de Lézai-Marnésia, une jeune femme charmante qui avait vu périr si affreusement son mari à Strasbourg, s’était remise en sa douleur à Mme de Krüdner et partageait chaque nuit le même cilice, espérant par elle retrouver quelque communication avec celui qu’elle avait perdu, et qui déjà se révélait à la sainte amie plus détachée. […] Dans Hadloub, ce qui ressort, c’est surtout la douleur de l’amant respectueux et timide, dont les lèvres vont chercher les traces adorées ; l’amour chevaleresque, que couronnera Pétrarque, vient déjà d’éclore.