Ces sortes de journaux qui, à quelques années de distance, deviennent nécessaires aux contemporains eux-mêmes, s’ils veulent apporter de l’ordre et de la précision dans leurs souvenirs, augmentent de prix, au bout d’un siècle, pour la postérité qui y apprend quantité de choses qu’on ne sait plus, et que presque personne n’a songé à écrire. […] Singulier spectacle, singulier jeu auquel nous assistons : un vieillard de plus de quatre-vingts ans qui ne peut se décider à n’être plus ministre ; un roi de près de trente ans qui ne peut se décider à devenir homme et maître ! […] Elle a pour elle, à la longue, le parti des honnêtes gens ; elle est devenue avec le temps, si l’on peut ainsi parler, une maîtresse légitime.
M. de Tocqueville s’y épanche avec beaucoup d’âme et de sincérité ; il devient plus expansif, ce me semblej. […] Je ne sais en vérité ce que je deviendrais si cette unique occupation me manquait. […] Il n’avait pas eu jusque-là beaucoup de souplesse ; il n’avait jamais pu, par exemple (n’y ayant jamais été forcé), faire d’article de journal ou même de revue ; les articles qu’il commençait, il nous le dit, devenaient peu à peu sous sa plume des chapitres.
Veuillot, qui fut d’abord un des mobiles du gouvernement de Juillet, un des enfants terribles qu’il enrôla : « Sans aucune préparation, dit-il, je devins journaliste. […] Veuillot ne tarda pas à renoncer aux journaux du gouvernement à la tête desquels son talent, apprécié déjà, l’allait placer ; il entra dans les journaux religieux (1842) et bientôt devint à l’Univers le rédacteur principal et le seul en vue, le champion qui, pendant près de dix-huit ans, porta le poids des discussions, des attaques et des colères. […] Est-il possible de venir interpréter publiquement au sens religieux strict et comme on le ferait entre soi, c’est-à-dire entre croyants, les événements de chaque matin, pluie, grêle, inondations, sinistres de tout genre, mort d’un adversaire, etc., sans appeler, par ces interprétations qui deviennent aussitôt téméraires, la colère ou les railleries de ceux qui ne pensent pas comme vous ?
Ce camp est devenu célèbre sous le nom de Camp de l’Union ; il était médiocrement fortifié, excepté à son front ; mais c’était assez pour le but qu’on se proposait. […] Figure attachante, originale, pleine de générosité et de candeur ; vieil officier gentilhomme devenu le plus allègre et le plus jeune des généraux républicains ; uniquement voué au drapeau, à la patrie ; sans arrière-pensée, sans grand espoir ; ne sachant trop où l’on allait, mais pressé, mais avide comme tous les grands cœurs de réparer les retards de la fortune et de signaler ses derniers jours par des coups de collier valeureux et des exploits éclatants ! […] Devenu Premier Consul, savez-vous quels furent les deux premiers mots d’ordre qu’il donna : Frédéric II et Dugommier, — Dugommier et Frédéric II !
« Je ne connais aucun livre plus riche en leçons que ces Mémoires ; par eux notre regard pénètre profondément dans les recoins les plus cachés de l’époque, et Mirabeau, ce miracle, devient un être naturel ; mais le héros ne perd rien cependant de sa grandeur. […] Lisant une des histoires quelconques de Napoléon qu’on publiait alors, il fait cette remarque, si justifiée depuis : « Le héros n’en est pas diminué ; au contraire, il grandit à mesure qu’il devient plus vrai. » Il essaye de lire Bourrienne, et le livre bientôt lui tombe des mains : « Cela », dit-il, « tiraille des brins à la frange et aux broderies du manteau impérial, déposé d’hier, et cela croit par là devenir quelque chose !
Dans ces jeux de l’érudition et du goût, l’original sans cesse relu, manié et remanié à plaisir, devenait chose familière, facile, non apprise, mais sue de tout temps et comme passée en nous, on ne l’oubliait plus. […] Et ce n’est qu’ainsi qu’on peut bien goûter les poètes anciens ; il ne suffit pas de les comprendre, de les lire purement et simplement comme on consulterait un texte, et de passer outre ; il faut avoir vécu avec eux d’un commerce aisé, continuel et de tous les instants : Nocturna versale manu… Or les traductions en vers qui, pour les ignorants et les non doctes, étaient une dispense de remonter au-delà, devenaient un prétexte, au contraire, et une occasion perpétuelle pour les gens instruits, un peu paresseux (comme il s’en rencontre), de revenir à la source, et d’y revenir tout portés sur un bateau. […] Mais était-il possible de la demander à Térence sans lui demander de cesser d’être lui-même et de devenir Plante ou tout autre ?
» M. de Senfft, devenu le ministre dirigeant les relations extérieures de son pays, s’il n’obtint pas tout le crédit qu’il avait rêvé, avait la confiance de son maître, et les affaires du grand-duché de Varsovie étaient plus particulièrement remises à ses soins. […] Il s’agissait de pousser en Pologne, et dans le duché et dans toutes les anciennes provinces devenues russes, au soulèvement national universel, d’organiser « une Vendée polonaise », de s’associer, en le dirigeant habilement, à ce mouvement résurrectionnel d’une race si naturellement électrisée. […] I. le prince Napoléon, et reposant tout entiers sur les pièces d’État et de famille les plus authentiques, dont on produit les plus importantes à l’appui du récit, à la suite de chaque livre, deviennent une des sources nouvelles et essentielles de l’histoire de ce temps.
Il n’est pas moins vrai que le jeune abbé malgré lui, fier et délicat comme il était, dut ressentir avec amertume l’injustice des siens : quoique d’un rang si distingué, il entrait dans le monde sous l’impression d’un passe-droit cruel dont il eut à dévorer l’affront ; il se dit tout bas qu’il saurait se venger du sort et fixer hautement sa place, armé de cette force qu’il portait en lui-même, et qui déjà devenait à cette heure la première des puissances, — l’esprit si la théologie avait pu être en passant une bonne école de dialectique, il faut convenir encore que cette nécessité où il se vit aussitôt de remplir des fonctions sacrées, sans être plus croyant que l’abbé de Gondi ; que cette longue habitude imposée durant les belles années de la jeunesse d’exercer un ministère révéré et de célébrer les divins mystères avec l’âme la moins ecclésiastique qui fût jamais, était la plus propre à rompre cette âme à l’une ou l’autre de ces deux choses également funestes, l’hypocrisie ou le scandale. […] On en a une singulière preuve dans la lettre qu’il écrivit aux journaux (8 février 1791), lorsqu’après avoir déclaré qu’il n’avait aucune prétention à l’évêché de Paris devenu vacant, il crut devoir se justifier ou s’excuser d’avoir gagné de grosses sommes au jeu : « Maintenant, disait-il, que la crainte de me voir élever à la dignité d’évêque de Paris est dissipée, on me croira sans doute. […] « … Il avouait qu’il désirait une monarchie constitutionnelle, et qu’il était disposé à faire tout ce qu’il pouvait pour en obtenir une ; mais il ne dit jamais qu’il se sacrifierait à cette idée, s’il devenait évident qu’elle ne pouvait pas triompher. » D’autres ont assez montré et montreront l’envers de l’homme : c’est ici un Talleyrand vu par l’endroit.
Je me rappelle encore la position bien dessinée du groupe dès ces premiers jours : Mlle Bertin, l’âme du lieu, préludant à ses hymnes élevés ; son frère Édouard, qui est devenu le paysagiste sévère ; Antony Deschamps, alors en train de passer du dilettantisme de Mozart au commerce de Dante, et qui y portait toutes les nobles ferveurs. […] La grâce, encore une fois, ne manque pas ; mais, au besoin, c’est plus volontiers la force qui devient sensible. […] Depuis quelques temps, il devient presque évident qu’elle subsiste et dure, mais ne se renouvelle plus.
Érudits comme nous le sommes devenus et occupés de la couleur historique, il y a pour nous, dans la représentation actuelle de Bérénice, un intérêt d’étude et de souvenir. […] Les sentiments discrets qu’elle avait nourris circulaient déjà plus librement, trahis par la mort ; ils s’échappaient comme en vagues éclairs sur cette trame si fine ; son âme aimable y respirait ; les allusions devenaient, pour ainsi dire, à double fond. […] Un seul vers, infini de rêverie et de tristesse, suffirait à sa gloire : Dans l’Orient désert quel devint mon ennui !