Un coup qu’un autre nous donne, un objet qu’il nous enlève, nous fait faire tout de suite connaissance avec un ordre de phénomènes qui dépend si peu de nos désirs qu’il les contrarie : c’est le non-moi ; et ce non-moi ne reste pas à l’état d’entité métaphysique, abstraite, car il a la forme, par exemple, d’un homme qui nous frappe ou qui nous prend notre morceau de pain, d’un animal qui nous mord, etc. […] Nous n’avons donc dès l’origine qu’un sentiment très vague d’unité, et un sentiment plus clair de pluralité ; en outre, nous avons le sentiment du désir et celui de l’opposition au désir.
On ne l’ignore point : c’est la douceur du climat, c’est la molle souplesse des organes, c’est la politesse des mœurs, c’est le désir de plaire en flattant l’âme et l’oreille par l’expression d’un sentiment doux, qui polit les langues, et les rend souples et harmonieuses. […] Le désir de copier la grandeur grecque et romaine avait corrompu notre goût : le désir d’imiter ces mêmes peuples dans la partie technique, et pour ainsi dire le mécanisme de leur langage, retarda, au siècle même de Louis XIV, la marche et les progrès de notre langue. […] Enfin, comme dans les monarchies ce sont les grands, les riches, et tous ceux qui composent ce qu’on appelle le monde, qui distribuent la gloire des arts, et décident du prix des talents ; comme la plupart des hommes de cette classe, par leur oisiveté, par leurs intrigues, par la lassitude et le besoin des plaisirs, par la recherche continuelle de la société, par la crainte de blesser l’amour-propre encore plus que l’orgueil ; enfin, par la politesse et le désir de plaire, qui donne une attention continuelle et sur soi-même et sur les autres, ont, en général, plus d’esprit et de délicatesse de goût, que de passions et de force de caractère ; ils doivent tendre sans cesse à atténuer, et, pour ainsi dire, assassiner le style, la langue et l’esprit. […] Le mauvais goût ne peut guère exister que chez un peuple réuni en corps de société, où l’esprit naturel est gâté par le luxe, par les vices, par l’excès de la vanité, et le désir secret d’ajouter à chaque objet ou à chaque idée, pour augmenter l’impression naturelle que cet objet doit faire.
Je n’en ai pas la prétention, et même je n’en ai pas le désir. […] Des agents surnaturels et extérieurs le sollicitent, comblent ses désirs et le perdent. […] Ses désirs, ses passions, doivent rester chez elle à l’état latent. […] Ses désirs ont des ailes, mais sa puissance d’action porte des chaînes. […] Voilà l’aimable grisette devenue classique par la force de son désir !
la pauvre Salammbô éprouve, à sa manière, le même sentiment de vague aspiration et d’accablant désir. […] Schahabarim, qui sait d’Hamilcar que Salammbô ne doit pas être prêtresse et qu’elle peut d’un jour à l’autre devenir épouse, résiste à son curieux désir que ce refus ne fait qu’irriter. […] A peine sortis du conduit ténébreux, Mâtho croit que Spendius va l’accompagner à la maison d’Hamilcar pour y voir Salammbô ; mais Spendius, qui a fait jurer à Mâtho, avant de tenter l’entreprise, de lui obéir en tout aveuglément, le contient dans son désir et se dirige avec lui vers le temple de la déesse Tanit. […] De son côté Salammbô, excitée par son propre désir de revoir Mâtho et cédant aux suggestions du vieux prêtre eunuque à imagination libertine, Schahabarim, qui d’ailleurs, à moitié sceptique, à moitié croyant, n’est pas fâché de mettre à l’épreuve la puissance de sa déesse, se résout à aller jusque dans le camp des Barbares chercher le voile.
Si Fénelon, par simple désir d’orner son style, ajoute délibérément une expression banale ou une épithète insignifiante, on nous affirme qu’il a eu ses raisons. En disant par exemple : « Ce vieillard noble et majestueux, son teint frais et vermeil, … sa démarche douce et légère, les prés fleuris, ses fougueux désirs, la sombre demeure de Pluton, … les mains glacées de la mort », etc., Fénelon aurait expressément voulu signifier ceci : Ce vieillard était noble et majestueux et non pas sordide et vulgaire ; ce teint était frais et vermeil, et non pas fané et pâle ; la demeure de Pluton est sombre, et non pas claire ; sa démarche est douce et légère, et non pas insolente et lourde, Quand il dit : « Ce secret s’échappa du fond de son cœur », ce serait pour donner plus de force que s’il eût dit : « Ce secret s’échappa de son cœur », Quand il remplace « troupeaux » par « tendres agneaux », c’est pour mieux accentuer l’innocence des victimes ; quand il dit : « Comme un serpent sous les fleurs », c’est pour peindre l’astuce et le danger, et lorsqu’il répète six fois par page (voir nos citations) le mot doux, c’est probablement encore pour souligner l’idée de douceur. […] Le plaisir d’écrire, c’était de vivre avec une pensée, de la mûrir, de la vêtir, de la faire forte et belle … Autrefois, on faisait un livre comme on élève un enfant, avec diligence, avec patience 28. » Quoi qu’on dise, Louis Veuillot n’eût donc pas désapprouvé une méthode comme la nôtre, qui enseigne, comme il en exprimait le désir, à méditer, à corriger, à produire avec labeur, avec diligence, avec patience.
Il la poursuit d’un désir aveugle, irrésistible, plus fort que la volonté, la raison et l’honneur. […] J’ai rarement senti avec cette vivacité le désir de savoir ce qui arrivera et le délice d’avoir peur.
— La vie, ou plus généralement l’action, qui elle-même ne se comprend que comme désir et volonté. […] Ce sera, selon nous, rattacher la genèse des idées aux lois les plus fondamentales de la réalité que de l’expliquer par les lois mêmes du désir.
Toute la gloire et tout l’amour sont superflus : Toujours elle voudra quelque chose de plus, Et, comme un grand feu mort qui brusquement rougeoie, Son désir renaîtra des cendres de sa joie ! […] Chez lui comme chez tous les poètes nés autour du Rhône, il faut noter aussi l’influence des grands lyriques provençaux, Mistral et Aubanel, ces chantres des déesses protectrices de la terre et instigatrices du désir. […] rester sacrée Et voilée de désir aux brumes de ton cœur. […] Les cieux seront muets et le monde stérile ; Ton geste sacrilège a tué le désir ! […] Et dis-leur que dans les soirs sourds Couchée au bord frais des fontaines, J’eus le désir de leurs amours Et j’ai pressé leurs ombres vaines.
Le poète érotique pour nous, c’est celui qui transporte la patrie, la liberté, l’humanité, dans l’amour, qui consacre les tourments et les désirs de la volupté par des douleurs et des espérances bien autrement viriles ; c’est celui qui nous enivre de notre gloire en même temps que de la beauté, qui, dans le délire des sens, a une pensée encore pour les malheurs du monde : nommons-le, le poète érotique pour nous, c’est Béranger, plaçant le message d’Athènes jusque sous l’aile de la colombe amoureuse. […] On le sent bien à l’entraînement qui y règne, ses pièces étaient jetées sans effort dans les intervalles de la passion, entre le souvenir et le désir.
Les générations jeunes, celles qui ont vingt-cinq ans plus ou moins et qui n’en ont pas encore trente, commencent à sentir très-vivement le désir d’avoir des représentants à eux, des chefs de leur âge et, en quelque sorte, de leur choix ; elles les cherchent dans tous les genres, elles les appellent et les convient ; elles les proclament même parfois à tout hasard ; elles les inventeraient au besoin, plutôt que de s’en passer. C’est là un noble désir assurément, une ambition bien permise.