Je ne crains pas de dire que l’embastillement de M. […] Puis il terminait en disant (car il avait eu depuis peu des soupçons sur la fidélité de la poste, et il avait craint que quelque curieux ou malveillant ne s’immisçât pour intercepter la correspondance) : « Après de telles réflexions que vous faites, monsieur, et que vous me mettez en voie de faire aussi, voyez si je n’ai pas grand sujet de désirer que vos lettres me viennent en leur entier et que Dieu continue de me faire par vous, jusqu’à la fin de votre vie ou de la mienne, le bien qu’il a daigné me faire durant près de trente ans par feu monsieur votre frère, mon très-honoré père en Jésus-Christ et mon très-libéral bienfaiteur104.… » J’abrège un peu, car il le faut, mais j’ai toujours quelque regret, je l’avoue, à ne pas laisser les phrases de ces dignes gens dans toute leur longueur, afin de mieux respecter aussi l’intégrité de leurs sentiments. […] Il est en danger, mais si bien disposé qu’il témoigne plus craindre le retour de la santé que la fin de sa vie. — « Je n’ai jamais eu la force de faire pénitence, disait-il confidemment le dernier jour à une personne. […] On le trouve toujours en danger, quoique les accidents diminuent : je crains beaucoup la fin. […] Cependant Racine, qui avait toutes les appréhensions pour l’amour-propre royal et qui supposait le prince des monarques aussi chatouilleux qu’un prince des poètes, craignit que cette seule apparence d’une gloire partagée ou préparée ne déplût au vainqueur de Mons : sur son conseil, le marquis de Dangeau, qui s’était chargé de lire au roi l’Epître, eut soin en la lisant, de passer par dessus la tirade jugée périlleuse.
Il est quelques génies qui ont le droit de se croire utiles à leurs semblables, mais combien peu d’êtres peuvent se flatter de quelque chose de plus glorieux que d’assurer à soi seul la félicité d’un autre : des moralistes sévères craignent les égarements d’une telle passion. […] Ce funeste trait de lumière frappe la raison avant d’avoir détaché le cœur ; poursuivi par l’ancienne opinion à laquelle il faut renoncer, on aime encore en mésestimant ; on se conduit comme si l’on espérait, en souffrant, comme s’il n’existait plus d’espérances ; on s’élance vers l’image qu’on s’était créée ; on s’adresse à ces mêmes traits qu’on avait regardés jadis comme l’emblème de la vertu, et l’on est repoussé par ce qui est bien plus cruel que la haine, par le défaut de toutes les émotions sensibles et profondes : on se demande, si l’on est d’une autre nature, si l’on est insensé dans ses mouvements ; on voudrait croire à sa propre folie, pour éviter de juger le cœur de ce qu’on aimait ; le passé même ne reste plus pour faire vivre de souvenirs : l’opinion qu’on est forcé de concevoir, se rejette sur les temps où l’on était déçu ; on se rappelle ce qui devait éclairer, alors le malheur s’étend sur toutes les époques de la vie, les regrets tiennent du remords, et la mélancolie, dernier espoir des malheureux, ne peut plus adoucir ces repentirs, qui vous agitent, qui vous dévorent, et vous font craindre la solitude sans vous rendre capable de distraction. […] Sans doute, il est des hommes dont le caractère est une honorable exception ; mais telle est l’opinion générale sous ce rapport qu’il en est bien peu qui osassent, sans craindre le ridicule, annoncer dans les liaisons du cœur la délicatesse de principes, qu’une femme se croirait obligée d’affecter si elle ne l’éprouvait pas. […] Les hommes, enfin, sont aimés parce qu’ils aiment ; les femmes doivent craindre à chaque mouvement qu’elles éprouvent, et l’amour qui les entraîne, et l’amour qui va détruire le prestige qui enchaînait sur leurs pas. […] Je crains qu’on ne m’accuse d’avoir parlé trop souvent, dans le cours de cet ouvrage, du suicide comme d’un acte digne de louanges ; je ne l’ai point examiné sous le rapport toujours respectable des principes religieux, mais politiquement, je crois que les républiques ne peuvent se passer du sentiment qui portait les Anciens à se donner la mort ; et dans les situations particulières, les âmes passionnées qui s’abandonnent à leur nature, ont besoin d’envisager cette ressource pour ne pas se dépraver dans le malheur, et plus encore, peut-être, au milieu des efforts qu’elles tentent pour l’éviter.
Elle craint, elle a honte, elle tremble, elle a peur. Celle qui ose braver les dieux, ne doit pas craindre de mourir.
Quand on ne craint plus, c’est alors que tout redevient à craindre. […] Les circonstances récentes ont fait apparaître dans notre Parlement, en matière d’affaires étrangères, deux partis extrêmes, également dangereux : l’un qui rêve de conquêtes et aime la guerre, soit pour elle-même, soit pour les révolutions qu’elle peut faire naître ; l’autre qui a pour la paix un amour que je ne craindrai pas d’appeler déshonnête, car il a pour unique principe non l’intérêt public, mais le goût du bien-être matériel et la mollesse du cœur. […] Il se plaint de la platitude générale « qui augmente sensiblement », et il craindrait d’appeler au secours et de déchaîner la tempête. […] Bouchitté, qui n’était pas exempt, il est vrai, de quelque prud’homie : « Vous avez raison de dire que vous craignez les intérêts matérialistes de la révolution qui vient de s’opérer. […] Tocqueville est un auteur si distingué et dont la réputation gagnera tellement dans l’avenir, qu’on ne doit pas craindre d’insister et d’appuyer à son sujet.
Madame de Montespan croyant avoir moins à craindre les infidélités du roi en composant le service de la reine de dames d’honneur au lieu de filles d’honneur, avait pressé le renvoi de celles-ci et la nomination des dames. Le 1er de l’an, madame de Sévigné écrit à sa fille : « On a fait cinq dames : mesdames de Soubise, de Chevreuse, la princesse d’Harcourt, madame d’Albret, madame de Rochefort, et madame de Richelieu, dame d’honneur. » Madame de Montespan ne considérait pas qu’en donnant au roi un enfant chaque année, elle l’avait habitué aux dames, et avait autant à craindre de leur concurrence que de celle des filles d’honneur. […] Madame Scarron prouve encore ici, ne fût-ce que par l’absence de toute expression de gratitude, qu’elle ne craint rien tant que le soupçon d’une secrète intelligence avec le roi. […] Cette permission dépendait de madame de Montespan, qui ne voyait pas avec plaisir cette acquisition payée par le roi, et qui craignait peut-être qu’il n’eût la curiosité de la visiter avec la nouvelle propriétaire.
Elle a craint le mysticisme, elle a craint la métaphysique, elle a craint la science, et, pour échapper à tous ces écueils, elle a trop aimé à se reposer dans l’érudition. Pour reprendre sa marche ascendante, il faut qu’elle ose, il faut qu’elle travaille à s’enrichir et à se compléter, il faut qu’elle s’assimile ce qu’il y a de bon dans les écoles adverses, il faut qu’elle ne craigne pas trop une certaine division dans son propre sein, car la diversité des points de vue semble être un des caractères essentiels de l’esprit philosophique ; il faut enfin qu’elle prépare des matériaux à la reconstruction d’une philosophie nouvelle.
Elle avait fort à faire : Vous avez beaucoup à craindre et du dedans et du dehors, lui écrivait Fénelon. […] Je crains pour vous une dévotion lumineuse, haute, qui, sous prétexte d’aller au solide en lecture et en pratique, nourrisse en secret je ne sais quoi de grand et de contraire à Jésus-Christ enfant, simple et méprisé des sages du siècle. […] Depuis que la nature physique est plus connue et que la science en observe et en expose successivement les lois, il serait à craindre que la pensée de Dieu, même auprès de ceux qui ne cessent de l’admettre et de s’incliner devant elle, ne reculât en quelque sorte aux confins de l’univers et ne s’éloignât trop de l’homme, jusqu’à ne plus être à son usage et à sa portée ; il serait à craindre que ce Dieu, tel qu’on a reproché à Bolingbroke de le vouloir établir, Dieu plus puissant que bon, plus souverainement imposant que présent et que juste, Dieu qu’on admet en un mot, mais qu’on n’adore point et qu’on ne prie point, il serait à craindre que ce Dieu-là ne prît place, et seulement pour la forme, dans les esprits, si la pensée chrétienne ne veillait tout à côté, si le Dieu du Pater ne cessait d’être présent matin et soir à chaque cœur, et si la prière ne maintenait cette communication invisible et continuelle de notre esprit borné avec l’Esprit qui régit tout.
J’ai des torts avec lui, je me les reproche ; je crains de lui avoir fait injustice, et je n’ai sûrement pas le cœur injuste ; mais j’avoue que des malheurs sans exemple et sans nombre, et des noirceurs d’où j’en craignais le moins, m’ont rendu défiant et crédule sur le mal. En revanche, je ne crains ni d’avouer mes erreurs, ni de réparer mes fautes… » Le sentiment qu’inspire la lecture suivie des lettres et pensées qu’on trouve ici rassemblées telles quelles, est celui d’une pitié profonde. […] On n’a jamais à craindre avec lui, même dans ses écarts, de ces contradictions qui tiennent aux sources de l’âme et qui choquent dans le lecteur ami des hommes quelque chose de plus sensible encore que le goût42. […] Je regrette de trouver dans ce volume, notamment dans Mon Portrait (page 285), des fautes de transcription et, par suite, d’impression, qui m’en font craindre d’autres moins faciles à apercevoir en d’autres endroits.
Nous en avons déjà dit la raison, mais il ne faut pas craindre de la redire ; c’est parce que le christianisme est la perfection même des institutions religieuses, et que le genre humain ne peut avoir que le sentiment de ses besoins réels. […] Au reste, je ne dois pas négliger de le dire, qu’a-t-on encore à craindre des empiétements de la cour de Rome ? […] Craindriez-vous, dans vos pensées pusillanimes, qu’il ne vînt ébranler des trônes fondés sur la limite des pouvoirs, parce qu’il a quelquefois brisé des sceptres absolus ?
Si c’est un instrument que l’intérêt emploie pour parvenir à la fortune, on doit la mépriser ; si c’est la flatterie d’un esclave qui trompe un homme puissant, on doit la craindre. […] Ils oseraient peut-être rougir à leurs yeux ; ils craindront de rougir aux yeux de leur nation et de leur siècle. […] Là Cicéron ne craint plus le fer des assassins, ni Démosthène le poison.