/ 1826
145. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Je suis tout seul, je conduis ma barque tout seul. […] Il a répondu : « Oui, parce qu’on peut faire aller beaucoup de personnes à la fois. » — « Et parce qu’elle me paraît, ai-je dit, la plus convenable à la majesté du trône. » Il s’est mis à rire, et il s’est mis à conduire une polonaise avec tant de grâce, tant de dignité, que vous auriez été ravi75. […] En attendant, conduisons avec prudence ces barques légères que la Providence nous donne à conduire. […] J’espère en la providence de Dieu qui m’a conduit au milieu de tant de dangers.

146. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Le système d’administration pratiqué depuis dix-sept ans a tellement perverti la classe moyenne, en faisant un constant appel aux cupidités individuelles de ses membres, que cette classe devient peu à peu, pour le reste de la nation, une petite aristocratie corrompue et vulgaire, par laquelle il paraît honteux de se laisser conduire. […] L’une de celles qui me troublent le plus l’esprit vient du mélange d’histoire proprement dite avec la philosophie historique ; je n’aperçois pas encore comment mêler ces deux choses (et il faut pourtant qu’elles le soient, car on pourrait dire que la première est la toile, et la seconde la couleur, et qu’il est nécessaire d’avoir à la fois les deux pour faire le tableau) ; je crains que l’une ne nuise à l’autre, et que je ne manque de l’art infini qui serait nécessaire pour bien choisir les faits qui doivent, pour ainsi dire, soutenir les idées ; en raconter assez pour que le lecteur soit conduit naturellement d’une réflexion à une autre par l’intérêt du récit, et n’en pas trop dire, afin que le caractère de l’ouvrage demeure visible. […] N’y a-t-il donc pas, dans la vie des nations, des moments et des heures où il est bon et utile d’être conduit ? […] Si, par hasard, dirai-je en idée à M. de Tocqueville, la philosophie que vous avez puisée dès l’enfance auprès du bon abbé Lesueur n’était pas absolument la vraie ; si l’homme venait de moins haut ; s’il n’avait pas moins pour cela le besoin et l’aspiration de monter, il n’y aurait pas lieu à être tant humilié de se sentir quelquefois conduit, aidé dans le sens du bien, fût-ce même du bien-être.

147. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Il se conduisait en ces affaires, même ecclésiastiques, à la manière d’un galant homme du monde qui se fait honneur d’être fidèle à ses amis dans la disgrâce. […] Lui remarquant un air qui me parut extraordinaire et un visage qui me faisoit voir que la paix et la sérénité de son cœur étoient grandes (il avoit soixante ans), je lui demandai s’il prenoit plaisir à l’occupation dans laquelle il passoit ses jours : il me répondit qu’il y trouvoit un repos profond, que ce lui étoit une si sensible consolation de conduire ces animaux simples et innocents, que les journées ne lui sembloient que des moments ; qu’il trouvoit tant de douceur dans sa condition qu’il la préféroit à toutes les choses du monde, que les rois n’étoient ni si heureux ni si contents que lui, que rien ne manquoit à son bonheur, et qu’il ne voudroit pas quitter la terre pour aller au ciel s’il ne croyoit y trouver des campagnes et des troupeaux à conduire.  « J’admirai, continue Rancé, la simplicité de cet homme, et le mettant en parallèle auprès des grands dont l’ambition est insatiable, et qui ne trouveroient pas de quoi se satisfaire quand ils jouiroient de toutes les fortunes, plaisirs et richesses d’ici-bas, je compris que ce n’étoit point la possession des biens de ce monde qui faisoit notre bonheur, mais l’innocence des mœurs, la simplicité et la modération des désirs, la privation des choses dont on se peut passer, la soumission à la volonté de Dieu, l’amour et l’estime de l’état dans lequel il a plu à Dieu de nous mettre. » Ce sont là (suivant l’heureuse expression de Dom Le Nain) de ces premiers coups de pinceau auxquels le grand Ouvrier se réservait d’en ajouter d’autres encore plus hardis pour conduire Rancé à la perfection.

148. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Le roman maritime l’ayant mené à étudier l’histoire de la marine française, cette histoire elle-même l’a conduit bientôt à se former, sur le règne et le personnage de Louis XIV, certaines vues particulières. […] La contre-partie du paradoxe l’a conduit, dans sa spirituelle fantaisie de Létorières, à faire de Louis XV à diverses reprises le plus adorable maître et à ne l’appeler que cet excellent prince. […] L’ouverture du roman a vraiment de la beauté : la douceur du paysage qu’admirent les deux enfants, la ferme de Saint-Andéol, le repas de famille et l’autorité patriarcale du père de Cavalier, l’arrivée des dragons et des miquelets sous ce toit béni, les horreurs qui suivent, la mère traînée sur la claie, tout cela s’enchaîne naturellement et conduit le lecteur à l’excès d’émotion par des sentiments bien placés et par un pathétique légitime. […] J’imagine qu’il voulait voir par une sorte de gageure jusqu’où, cette fois, il pourrait conduire du premier pas ses belles lectrices, et si les grandes dames ne reculeraient pas devant le tapis franc.

149. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Si M ignet se produisait déjà si nettement dans son premier ouvrage par l’expression formelle de la pensée philosophique qu’il apportait dans l’histoire, il ne s’y donnait pas moins à connaître par le sentiment moral qui respire d’une manière bien vive et tout à fait éloquente dans les éloges donnés à saint Louis, à ce plus parfait des rois, du si petit nombre des politiques habiles qui surent unir le respect et l’amour des hommes à l’art de les conduire. […] Dans ce dernier travail mis en regard du premier, saint Louis reste grand sans paraître aussi isolé ni aussi inventeur ; il ne rejoint Charlemagne que moyennant des intermédiaires et en donnant la main à Philippe-Auguste, Les successeurs de saint Louis sont appréciés selon leur importance monarchique avec une mesure mieux graduée : Charles V conduit à Charles VII, qui reste très-important, mais Louis XI y est relevé du jugement rigoureux qui, en s’appliquant à l’homme, méconnaissait le roi. […] Comme archiviste, il a été conduit à publier les pièces relatives à la Succession d’Espagne sous Louis XIV, et aussi le volume récent sur Antonio Perez ; comme membre et secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences morales et politiques, il a prononcé des éloges d’hommes d’État ou de philosophes, et lu des mémoires approfondis sur certaines questions de l’histoire civile ou religieuse. […] Il est surtout une époque bien mémorable de son règne, celle qui précède la paix de Nimègue (1672-1678), dans laquelle Louis XIV ne partage avec personne le mérite d’avoir conduit sa politique extérieure : il avait perdu son habile conseiller M.de Lionne, en 1671 ; M.de Pomponne, qui lui succédait, homme aimable, plume excellente, le charme des sociétés de mesdames de Sévigné et de Coulanges, n’était pas en tout, à beaucoup près, un remplaçant de M.de Lionne, ni du même ordre politique ; il manquait de fertilité et d’invention.

150. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il vaut mieux réunir tous ses efforts pour descendre avec quelque noblesse, avec quelque réputation, la route qui conduit de la jeunesse à la mort. […] Chaque fois qu’appelé à choisir entre différentes expressions, l’écrivain ou l’orateur se détermine pour celle qui rappelle l’idée la plus délicate, son esprit choisit entre ces expressions, comme son âme devrait se décider dans les actions de la vie ; et cette première habitude peut conduire à l’autre. […] Une certaine connaissance des hommes peut produire un tel effet ; une connaissance plus approfondie conduit au résultat contraire. […] Ce n’est point une vaine théorie, c’est l’observation des faits qui conduit à ce résultat.

151. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

Demandez à tel classeur de fiches qui tient la férule dans tel grand journal sur quelles œuvres personnelles il appuie son « permis de conduire » et de critiquer ? […] Il est tout à fait rassurant d’entendre évoquer le grand nom de Sainte-Beuve et donner comme modèle son sens critique, qui l’a conduit à multiplier ses points de vue de manière à écarter presque tous les préjugés et à être aussi véridique que possible. […] Mais ceci nous conduit à notre seconde série de questions. […] « Demandez à tel classeur de fiches qui tient la férule dans tel grand journal sur quelles œuvres personnelles il appuie son “permis de conduire” et de critiquer ? 

152. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Seulement, on me pardonnera de garder une secrète préférence pour le Discours, comme plus propre à me conduire, et comme faisant sortir pour tous, de l’étude de l’histoire, la vérité qu’il nous importe le plus d’avoir présente, à savoir que les vertus privées font seules la grandeur publique. […] C’est encore un trait qui lui est commun avec Montaigne d’avoir été si heureux, ou d’avoir si bien conduit sa vie, qu’il ne lui est venu aucun mal, même de ce qu’il n’aimait pas, et que son génie semble n’avoir eue que la plus grande de ses aises. […] Entre ceux qui conduisent les nations et ceux qui les égarent, il y a ceux qui les éclairent. […] Ils conduisent la société nouvelle à travers les ruines de l’ancienne, et ils en sont tout le gouvernement.

153. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Aussi-tôt le Monarque qui m’entendroit parler ainsi, diroit : Qu’on arrête ce Fou, & qu’on le conduise aux Petites-Maisons. […] Il est beau, nous dit-on, de mourir pour la Patrie ; mais est-ce mourir pour la Patrie, que de verser son sang pour celui qui, pour de vils intérêts, conduit ses Citoyens au carnage ? […] Qu’on ose dire, après cela, que la Philosophie n’est pas l’art de manier les esprits ; que son flambeau n’est pas un guide capable de se faire suivre par-tout où il veut conduire ; que ses prestiges n’ont pas le pouvoir de transformer les êtres au gré de ceux qui ont le don de la métamorphose. […] Avertir des Voyageurs inconsidérés que les Guides qu’ils prennent les conduiront dans un précipice, est-ce être partial contre les mauvais Guides ?

154. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre x »

Tout cela s’acquiert et se mérite…‌ Et cette haute idée de la dignité du commandement, ce beau désir de tenir au mieux l’emploi le plus modeste dans la hiérarchie, nous conduisent à voir que sous cette poésie parfumée, joyeuse et d’un goût parfait, pareille aux chansons immortelles de Mistral, respire une âme forte :‌ Ne priez pas, dit-il aux siens, pour que les souffrances me soient épargnées ; priez pour que je les supporte et que j’aie tout le courage que j’espère.‌ […] À aucun moment, je ne m’étais senti aussi près des miens et de tous ceux que j’aime ; jamais je n’aurais cru que, malgré les distances nous puissions être unis d’aussi près à ceux qui luttent avec nous…‌ Et c’est cela qui m’a conduit à la plus belle de ces trois expériences : à la valeur unique et merveilleuse de la prière.‌ […] Néanmoins, je me rends bien compte que notre rôle de chef de section est extrêmement périlleux : conduire des hommes au combat, c’est se désigner aux coups. […] Cette élite en ce moment est tenace, vaillante ; elle conduit la guerre et saura la mener à bonne fin, car les masses sont, en définitive, endurantes, patientes, susceptibles d’être noblement excitées et lancées au combat.

/ 1826