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211. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Léon Bloy »

Malgré tout, en effet, malgré la contagion de la libre pensée, ce terrible choléra moderne de la libre pensée qui les ronge et qui les diminue chaque jour, les chrétiens sont encore assez nombreux pour faire de la gloire comme le monde la conçoit et la veut, — et, de cela seul que l’Église mettait en question la sainteté de Christophe Colomb, il avait sa gloire, même aux yeux des ennemis de l’Église, qui, au fond, savent très bien, dans ce qui peut leur rester d’âme, qu’il n’y a pas sur la terre de gloire comparable à celle-là ! […] Cette partie dogmatique du livre de Léon Bloy est réellement de l’histoire sacrée, comme aurait pu la concevoir et l’écrire le génie même de Pascal, s’il avait pensé à regarder dans la vie de Christophe Colomb et à expliquer la prodigieuse intervention, dans les choses humaines, de ce Révélateur du Globe, qu’on pourrait appeler, après le Rédempteur Divin, le second rédempteur de l’humanité !

212. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Voilà le schéma de la guerre, conçue biologiquement. […] Les concevez-vous maniant une autre langue, grandissant dans un autre pays ? […] Le militarisme conçu de la sorte, ne le redoutons pas. […] On ne conçoit pas que l’on recivilise des dégénérés. […] Conçoit-on le naufrage complet d’une civilisation ?

213. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

En voyant dans les mémoires de l’abbé Le Dieu les traits qu’il a ressaisis et rassemblés de cette première vie et de ces premières études de Bossuet, à Dijon, puis au collège de Navarre, puis à Metz lorsqu’il y fut retourné, ce qui me frappe avant tout, c’est ce signe, ce caractère manifeste de l’âme et du génie du futur grand évêque, quelque chose de facile et de supérieur qui se prononce et prend position sans lutte, sans trouble, sans interruption comme sans empressement  : c’est la vocation la plus directe qui se puisse concevoir, c’est l’âme la moins combattue qui fut jamais en si haute région. […] Il y a dans les Mémoires de l’abbé Le Dieu une douzaine de pages, entre autres, que je recommande : ce sont celles (109-121) dans lesquelles il raconte, d’après Bossuet lui-même et pour l’avoir entendu plusieurs fois à ce sujet, la manière dont ce grand orateur concevait l’éloquence de la chaire et la pratiquait. […] M. de Maistre a appelé quelque part Bossuet une des « religions françaises » : et l’on conçoit très bien en effet qu’il soit devenu cela.

214. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — II »

Alors l’homme élu. dans les entrailles duquel toutes les souffrances de l’humanité doivent retentir ; qui doit sentir en son sein s’amasser douloureusement un amour immense ; qui doit concevoir en sa tête féconde la forme nouvelle, plus large et plus heureuse, de l’association humaine ; cet homme vraiment divin, ce poëte, cet artiste, ce révélateur fils de Dieu, est déjà né ; que ce soit Moïse, Orphée, Jésus, Confucius ou Mahomet, il grandit, se développe miraculeusement, se perfectionne avant tous ses contemporains ; véritable fruit providentiel, il mûrit et se dore sous un soleil encore voilé pour d’autres, mais dont la chaleur lui arrive déjà, à lui, parce qu’il est au foyer de l’univers, et qu’il ne perd pas un seul des rayons de Dieu. […] Du moment que Dieu n’est plus conçu comme un être à part et hors du monde, du moment qu’il est inséparable de la nature et de l’humanité, et qu’il se manifeste uniquement en elles et par elles, du moment enfin que le mal cesse d’être un principe positif ennemi du bien, dès lors l’homme n’a plus peur de Satan, de même qu’il n’a plus besoin de médiateur pour entrer en rapport avec Dieu ; la communication est directe, immédiate ; il sent l’influence divine dans chacune de ses relations avec les hommes et avec les choses ; il ne s’imagine aucunement devoir recourir à des envoyés mystérieux, à des anges ; et les anges, les envoyés mystérieux, les démons ne lui viennent pas. […] La conception du révélateur est alors soumise par les disciples qui la recueillent, à un travail d’élaboration et de réalisation plus éclairé que dans les temps passés où l’instrument divin se sentait confirment sans se comprendre ; mais dans aucun cas une religion ne se fait toute seule ; un homme la conçoit et la produit ; la conception primitive ainsi produite se crée d’autres hommes qui la transforment encore et la réalisent ; les religions font les hommes et les hommes les font.

215. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Pour trouver autre chose, pour concevoir avec émotion et avec profondeur et pour exprimer sans banalité une âme chrétienne des premiers temps, l’âme et le génie d’un Tolstoï ne seraient sans doute pas de trop. […] Jules Barbier, c’est d’avoir conçu un sujet où le poète était obligé d’être génial, et où, le fût-il, il risquait de l’être avec trop d’uniformité et d’ajouter à la monotonie de l’horreur physique la monotonie de la sublimité spirituelle. […] Se pénétrant de son rôle, elle appelait les tortures et brûlait de souffrir… » Il m’eût donc plu que l’auteur conçût cette tragédie chrétienne de façon qu’elle signifiât principalement le triomphe moral des esclaves, des petites gens, des ignorants grands par le cœur.

216. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

A côté de l’idée fausse, froide, impossible d’un avènement de parade, il a conçu la réelle cité de Dieu, la « palingénésie » véritable, le Sermon sur la montagne, l’apothéose du faible, l’amour du peuple, le goût du pauvre, la réhabilitation de tout ce qui est humble, vrai et naïf. […] Il faut donc maintenir plusieurs sens à la cité divine conçue par Jésus. […] Ceux qui ne se plient pas à concevoir l’homme comme un composé de deux substances, et qui trouvent le dogme déiste de l’immortalité de l’âme en contradiction avec la physiologie, aiment à se reposer dans l’espérance d’une réparation finale, qui sous une forme inconnue satisfera aux besoins du cœur de l’homme.

217. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Puisqu’on s’appuyait ainsi sur un axiome cartésien, on n’aurait pas dû oublier que, suivant Descartes, ce ne sont pas seulement les attributs humains, c’est en général tout ce qui est doué d’un certain degré de perfection, c’est-à-dire de réalité, qui doit être conçu en Dieu d’une manière absolue. […] Le faible du déisme philosophique, c’est de concevoir Dieu comme une chose séparée, en dehors du moi, en dehors du monde. Le fort du panthéisme est de concevoir Dieu comme en dedans du monde.

218. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

En recueillant ces précieux débris des âges antiques, on conçoit mieux comment, avec la subtilité des systèmes, l’émotion poétique arrivait à Lucrèce. […] Avait-il, comme l’indique un rhéteur du quatrième siècle, composé des hymnes en l’honneur de la nature, ὕμνους φυσιολογικούς, c’est-à-dire des chants de louange et d’admiration sur les éléments et les principes des choses, tels que la science novice les concevait alors ? […] Sous ces deux titres on peut concevoir ce que, bien des siècles plus tard, et dans une science toute formée des traditions grecques, nous retrouvons sous la plume de Varron, divisant la théologie en mythologique, naturelle, et civile : « La première, ajoutait-il, faite pour le théâtre, la seconde pour l’univers, la troisième pour Rome. » Il paraît, d’après les courtes analyses de saint Augustin, que Varron touchait dans sa seconde théologie à cet antique panthéisme, à cette idée d’une nature éternellement vivante et par là divine, qui semble le fondement des cultes antiques de l’Inde.

219. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

« Ici, pour l’intelligence du lecteur, je dois dire ce que j’entends par ces mots dont je me sers si souvent, concevoir, développer et mettre en vers. […] Concevoir une tragédie, ce que j’appelle ainsi, c’est donc distribuer mon sujet en scènes et en actes, établir et fixer le nombre des personnages ; puis, en deux petites pages de mauvaise prose, résumer, pour ainsi dire, scène par scène, ce qu’ils diront et ce qu’ils doivent faire. […] La tragédie ainsi développée, lorsqu’il ne reste plus au poète d’autre souci que de la versifier à son aise, et de distinguer le plomb de l’or, l’inquiétude que communique à l’esprit le travail des vers et cette passion de l’éloquence, si difficile à satisfaire, ne sauraient nuire en rien au transport et à l’enthousiasme qu’il faut aveuglément suivre dès que l’on veut concevoir et créer une œuvre terrible et passionnée. […] Alfieri raconte ainsi cette aventure : « Après avoir ainsi soulagé mon âme ulcérée de sa haine contre la tyrannie, haine conçue en naissant et chaque jour plus vive, je sentis aussitôt se réveiller mon ardeur pour les œuvres théâtrales ; mais auparavant, ayant lu mon petit livre à mon ami et à un très petit nombre d’autres personnes, je le cachetai pour le mettre à part, et n’y pensai plus pendant nombre d’années. […] J’avais conçu cette tragédie à Pise, l’année d’avant, et j’en avais pris le sujet dans l’Agamemnon de Sénèque, pièce détestable, s’il en fut.

220. (1909) De la poésie scientifique

Il va à « une poésie qui ne soit plus éclairée seulement extérieurement de science par intermittences, mais qui rayonne de dedans en dehors, comme si elle était une science elle-même… Le poète doit contribuer par son œuvre à la préparation de l’avenir, avenir qu’il doit concevoir, en dégageant l’homme, de plus en plus, des entraves des vieux espoirs et des vieilles craintes que traîne l’humanité inconsciente ». […] Jean Moréas, tout en la brisant, ne concevait point pour le Rythme d’autre mesure que « l’ancienne métrique, avivée, disait-il : un désordre savamment ordonné, la rime illuescente et martelée auprès de la rime aux fluidités abscondes, l’alexandrin à arrêts multiples et mobiles, l’emploi de certains nombres impairs. » Ainsi, à travers Mallarmé et Verlaine, et Ronsard, Moréas me semble avoir préparé les voies au « Vers libre » dont M.  […] Et, allant à abstraire la Matière de ses phénomènes pour ne la concevoir que sa Fatalité-énergique  il nous sera permis de voir que ses affinités elles-mêmes ne sont que la multiplicité demeurant une, d’une Unité qui dénombre éternellement le devenir de sa prise de conscience ! […] Car, si, dans le phénomène universel, dans le processus vital, nous constatons que tout organisme tende, par adaptation, à accomplir avec le moins de résistance possible, son acte  veut-on en même temps concevoir quel long, quel patient, quel tenace et total effort, cette adaptation a demandé ? […] Il est à regretter seulement que la mauvaise place d’un petit chapitre et une inattention, laissent croire que l’auteur conçoive comme « décadents » les poètes venus autour de Mallarmé.

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