On lit un peu plus délicatement : Son tendre repentir donne encor le bonheur. […] Il semble que cette inspiration d’un amour sans bonheur, la douleur passionnée, ait fait aussi le premier génie de Mme Valmore. […] Mais voici peut-être l’épigramme en ce genre la plus sanglante, qui, si elle n’est pas de lui, est de quelqu’un de ses élèves, et je la cache tout au bas : Vous voulez en femme d’honneur Me refuser le point suprême : Vous marchandez à qui vous aime L’entier abandon du bonheur.
Ce petit chef-d’œuvre échappé en un jour de bonheur à l’abbé Prévost, et sans plus de peine assurément que les innombrables épisodes, à demi réels, à demi inventés, dont il a semé ses écrits, soutient à jamais son nom au-dessus du flux des années, et le classe de pair, en lieu sûr, à côté de l’élite des écrivains et des inventeurs. […] Mais au fond c’était une nature soumise, non raisonneuse, altérée des sources supérieures, encline à la spiritualité, largement crédule à l’invisible ; une intelligence de la famille de Malebranche en métaphysique ; une de ces âmes qui, ainsi qu’il l’a dit de sa Cécile, se portent d’une ardeur étonnante de sentiments vers un objet qui leur est incertain pour elles-mêmes ; qui aspirent au bonheur d’aimer sans bornes et sans mesure, et s’en croient empêchées par les ténèbres des sens et le poids de la chair. […] » Malgré les démonstrations du doyen, les passions de tous ces jolis couples allaient toujours et se compliquaient follement ; l’aimable Rose, dans sa logique de cœur, ne soutenait pas moins à son frère Patrice qu’en dépit du sort qui le séparait de son amante, ils étaient, lui et elle, dignes d’envie, et que des peines causées par la fidélité et la tendresse méritaient le nom du plus charmant bonheur.
Ce reliquat est l’homme en général, en d’autres termes « un être sensible et raisonnable, qui en cette qualité évite la douleur, cherche le plaisir », et partant aspire « au bonheur, c’est-à-dire à un état stable dans lequel on éprouve plus de plaisir que de peine427 », ou bien encore « c’est un être sensible, capable de former des raisonnements et d’acquérir des idées morales428 ». […] Vous n’avez ni Parlement, ni États, ni gouverneurs ; ce sont trente maîtres des requêtes, commis aux provinces, de qui dépendent le bonheur ou le malheur de ces provinces, leur abondance ou leur stérilité. » En fait, le roi, souverain, père et tuteur universel, conduit par ses délégués les affaires locales, et intervient par ses lettres de cachet ou par ses grâces jusque dans les affaires privées. […] Ces articles sont « l’existence de la divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois450.
Mais d’Arnaud fut renvoyé : et Voltaire s’abandonna à son bonheur. […] Dans Zaïre (1732) la religion est l’obstacle au bonheur préparé par la nature. […] Faire du christianisme l’obstacle au progrès de la raison, au bonheur de l’humanité, c’était une idée qui devait plaire à Frédéric autant qu’à Mme du Châtelet.
Il fait voir admirablement avec quel bonheur de première invention et quel esprit de suite on y fait servir la guerre à l’agrandissement au dehors et à la paix au dedans ; avec quelle audace réfléchie on la porte chez l’ennemi au lieu de l’attendre ; avec quelle habileté on change les vaincus en alliés pour en vaincre d’autres ; avec quelle magnanimité farouche on y sacrifie la nature à la discipline ; avec quel sens pratique on imite de l’ennemi ses usages militaires et jusqu’à ses armes pour le battre ; avec quelle prévoyance Rome se fait de ses colonies militaires comme autant d’enceintes fortifiées qu’il faudra franchir avant de l’atteindre. […] Si on lui parle des sociétés, il ne s’agit pas des sociétés politiques, ni de lui en faire porter des jugements inutiles au grand objet de la connaissance de soi-même ; il s’agit des sociétés purement civiles et des devoirs que chacun est tenu d’y remplir pour être heureux en contribuant au bonheur public. […] un esprit de cette application et de cette force, si profond observateur et si fin, qui, par l’art de diriger son génie vers les études où il était le plus propre, sa vie vers le genre de bonheur dont il était le plus capable, a paru si bien prouver qu’il se connaissait, Montesquieu aurait ignoré quelque chose de l’homme !
La justesse n’y a pas la grâce de la promptitude ; elle ne jaillit pas comme chez Voltaire ; elle n’est pas un bonheur de l’esprit : c’est une déduction rigoureuse ; on en convient, on n’en est pas touché. […] Mais rien n’égale, pour la grâce et la pureté de la peinture, cet amour qui naît comme à l’abri de l’amitié fraternelle ; cet éveil des sens chez le jeune homme qui se trahit le premier, parce qu’il se défie le moins de ce qu’il sent : les troubles de la pudeur qui agitent la jeune fille avant que sa conscience soit avertie, et qui lui parlent sans paroles ; le malaise secret dans ce qui ressemble le plus au bonheur, le premier amour ; les joies permises qui ne laissent guère plus de paix à l’âme humaine que les joies défendues. […] La guerre aux personnes, un doute amer sur les choses, une sorte de chagrin universel, nulle part une espérance ni un souhait sincère de bonheur pour les générations qui ne devaient pas le voir parmi les vivants, telle est sa politique, et tel est l’esprit de ses écrits politiques, éloquents par tout cela et malgré tout cela.
Il semble avoir la satiété du bonheur paisible au sein duquel il est confiné. […] Il s’agit de couper court à cet indigne marchandage ; Marie Letellier et Bernard se chargent de convertir la petite Blanche, encore indécise entre la gloriole d’un blason en vente et le bonheur d’un amour honnête. […] Madame Bernard lui aurait apporté pour dot le bonheur domestique, la maternité vigilante, le conseil prudent et sûr qui aurait accru et préservé sa fortune ; elle aurait été la chaleur et la lumière de son foyer.
Il n’avait que vingt-sept ans, et, pendant deux années encore, jusqu’en 1792, nous le voyons prendre part au mouvement dans une certaine mesure, donner en quelques occasions des conseils par la presse, ne pas être persuadé à l’avance de leur inefficacité : en un mot, il est plus citoyen que philosophe, et il se définit lui-même à ce moment « un homme pour qui il ne sera point de bonheur, s’il ne voit point la France libre et sage ; qui soupire après l’instant où tous les hommes connaîtront toute l’étendue de leurs droits et de leurs devoirs ; qui gémit de voir la vérité soutenue comme une faction, les droits les plus légitimes défendus par des moyens injustes et violents, et qui voudrait enfin qu’on eût raison d’une manière raisonnable ». […] Le sentiment qui le jette hors de lui et le porte en avant, est surtout moral : c’est la haine de l’homme intelligent contre les brouillons, de l’homme d’esprit contre la sottise, de l’homme de cœur contre les lâches manœuvres et les infamies ; c’est le dédain d’un stoïcien passionné et méprisant contre la tourbe de ceux qui suivent le torrent populaire et qui flagornent aujourd’hui la multitude comme ils auraient hier adulé les rois ; c’est l’expression irrésistible d’une noble satire qui lui échappe, qui se profère avec indignation et bonheur, qui se satisfait quand même, dût-elle ne produire d’autre effet en s’exhalant que de soulager une bile généreuse. […] L’homme « juste et magnanime » se réveille, et la vue des innocents égorgés corrompt son bonheur.
Ce dernier sentiment, celui du chagrin, je le réprimais infiniment plus que tous les autres ; la fierté de mon âme et sa trempe me rendaient insupportable l’idée d’être malheureuse ; je me disais : “Le bonheur et le malheur est dans le cœur et dans l’âme d’un chacun ; si tu sens du malheur, mets-toi au-dessus de ce malheur, et fais en sorte que ton bonheur ne dépende d’aucun événement.”
Au pain du corps ajoutez celui de l’âme, non moins nécessaire ; car, avec les aliments, il fallait encore donner à l’homme la volonté de vivre, ou tout au moins la résignation qui lui fait tolérer la vie, et le rêve touchant ou poétique qui lui tient lieu du bonheur absent. […] Ils seront ses serfs ; ses mainmortables ; quelque part qu’ils aillent, il aura le droit de les ressaisir et ils seront, de père en fils, ses domestiques-nés, applicables au métier qu’il lui plaira, taillables et corvéables à sa merci, ne pouvant rien transmettre à leur enfant que si celui-ci, « vivant à leur pot », peut après leur mort continuer leur service. « Ne pas être tué, dit Stendhal, et avoir l’hiver un bon habit de peau, tel était pour beaucoup de gens le suprême bonheur au dixième siècle » ; ajoutons-y pour une femme celui de ne pas être violée par toute une bande.