Ce n’est pas du tout un poëte, si l’on réserve ce titre aux êtres fortement doués d’imagination et d’âme : son Lutrin toutefois nous révèle un talent capable d’invention, et surtout des beautés pittoresques de détail. […] Mais voilà que, dans un petit traité, Denis d’Halicarnasse, pour montrer que la beauté du style consiste principalement dans l’arrangement des mots, a cité l’endroit de l’Odyssée où, à l’arrivée de Télémaque, les chiens d’Eumée n’aboient pas et remuent la queue ; sur quoi le rhéteur ajoute que c’est bien ici l’arrangement et non le choix des mots qui fait l’agrément ; car, dit-il, la plupart des mots employés sont très-vils et très-bas. […] Il appellera Alexandre ce fougueux l’Angeli, comme si l’Angeli, fou de roi, était réellement un fou privé de raison ; il fera monter la trop courte beauté sur des patins, comme si une beauté pouvait être longue ou courte. […] Quelle que soit la beauté de l’image employée, l’esprit sait bien que ce n’est qu’une image, et que c’est à l’idée surtout qu’il a affaire.
Un service de plus, c’est une beauté de plus. […] Je le répète, un service de plus, c’est une beauté de plus. […] Aucune perte de beauté ne résulte de la bonté. […] Entre deux vers, l’un de Pindare, déifiant un cocher ou glorifiant les clous d’airain de la roue d’un char, l’autre d’Archiloque, si redoutable qu’après l’avoir lu Jeffreys interromprait ses crimes et s’irait pendre au gibet dressé par lui pour les honnêtes gens, entre ces deux vers, à beauté égale, je préfère le vers d’Archiloque. […] Que ce service rendu, coopérer à la civilisation, entraîne déperdition de beauté pour la poésie et de dignité pour le poëte, on ne peut énoncer cette proposition sans sourire.
Louis XV mourut, la Révolution vint, l’empereur brilla et s’éteignit comme l’éclair du canon, et les manuscrits de Saint-Simon, ensevelis dans leurs cartons, et y restant gardés comme des odalisques par des eunuques qui ne pensaient même pas à regarder la beauté de ce qu’ils gardaient par un trou de serrure quelconque, attestèrent l’étrange amour que les gouvernements ont toujours eu pour les lettres en France ! Ce ne fut que sous Louis XVIII, qui se donnait l’air d’un lettré parce qu’il savait un peu de latin, qu’un Saint-Simon obtint, parce qu’il était Saint-Simon, l’autorisation de publier ces Mémoires, dont quelques fragments, arrachés à la surveillance de leurs eunuques, avaient été publiés déjà, plus mutilés, il est vrai, que la Vénus de Milo, mais dont les mutilations faisaient ardemment désirer la splendeur révélée de leur beauté intégrale. […] Il est monté jusqu’à ce crime pour le raconter, et ce qui fait la beauté de son Mémoire, c’est le sentiment de cette angoisse respectueuse qui s’y déchire, c’est le prosternement de l’homme qu’il admire et que le crime de celui qui admire humilie plus bas que la poussière, et qui se débat éloquemment dans cette poussière ; c’est la douleur enfin d’un royalisme qui voit dans le Roi la Monarchie, et la Monarchie périr par le Roi ! […] C’est comme un morceau de Michel-Ange qu’on eût retrouvé… On ne comprend pas très bien peut-être le sujet de cette statue, mais ce qui n’est pas une énigme, c’est la beauté même du chef-d’œuvre, la beauté qui se comprend bien toujours.
L’art savant et passionné de Virgile répandu sans effort dans le langage royal et populaire que le nouveau poëte recueille de tous les coins de l’Italie, voilà l’inimitable beauté de la diction du Dante ! […] Mes beautés sont nouvelles pour le monde, m’étant venues de là-haut ; et elles ne peuvent être comprises que de l’homme en qui l’amour règne déjà, sous l’attrait d’une autre. » Ainsi, la passion des troubadours était déjà une divine extase pour la poésie de leur successeur. […] Car, en beauté et en splendeur, il est votre image. […] Et toutefois de cette éclatante uniformité la mémoire peut détacher des beautés qu’on n’oublie pas, les plus neuves de la poésie moderne, bien que toutes remplies encore de l’imagination antique. […] Quelques-unes des plus grandes beautés éparses dans la Divine Comédie sont empruntées à ce caractère militant de l’enthousiasme poétique.
Thalie signifie la verde, agréable et gentille beauté : à savoir celle des linéaments bien conduits et des traits, desquels la verde jeunesse est coutumière de plaire. […] Car cette Thalie, comme il l’appelle, cette verte et agréable beauté de la muse pastorale, à quel âge du monde ira-t-on la demander, si ce n’est à sa jeunesse ? […] Ceux qu’a épargnés et laissés debout le grand naufrage ne nous apparaissent de loin qu’avec la beauté de l’attitude. […] Sa beauté pend sur la joue de la nuit comme un riche joyau à l’oreille d’une Éthiopienne ! […] Chaque trait en est de feu, et l’ensemble offre cette beauté fixe qui vit dans le marbre.
Le contraste de ce capuchon de laine brune, de cette tête de l’ascétisme chrétien, à côté de ces cheveux semés de fleurs et de ce visage de beauté mourante après tant d’éclat, faisait monter le sourire aux lèvres ou les larmes aux yeux. […] La beauté de son mari jetait encore une ombre de plus sur elle. […] Mais l’amour se cache sous la laideur comme sous la beauté : ce n’est pas le regard qui aime, c’est le cœur. […] Le groupe monte du sol au sommet du char en concentrant le regard et l’intérêt sur toutes les figures en particulier, puis en reportant cet intérêt de chacune à toutes et de toutes à chacune, en sorte que la beauté de l’une contraste et concourt avec la beauté de l’ensemble, et qu’il en résulte un rejaillissement général de splendeur et de félicité qui produit en un instant l’enthousiasme. […] Une inclination qui n’a pour objet que les sens tourmente et abaisse ; celle qui ne s’attache qu’à la beauté de l’âme, à la bonté du cœur, aux charmes de l’esprit, ne peut qu’élever.
Dans un dénoûment découvert depuis peu d’années22, il possède la rose, et Beauté lui promet que s’il a le cœur bon et entier, sa possession ne sera pas troublée. […] Nous y reconnaissons la tradition d’une des qualités les plus goûtées de notre littérature, la grâce, dont La Fontaine a dit, comme s’il eût voulu se peindre lui-même : Et la grâce, plus belle encor que la beauté. […] Leur premier ministre est Beauté ; leur secrétaire, Bonne-Foi ; leur garde des sceaux, Loyauté. […] Echo parlant, quand bruit onmene Dessus riviere, ou sus estang, Qui beauté eut trop plus qu’humaine ? […] Voilà, si je ne me trompe, des beautés de toutes sortes traits de sentiment, peintures énergiques ou touchantes contraste de la vie et de la mort tout ce qui fait la grande poésie.
N’avait-il pas écrit que les mots ont par eux-mêmes leur valeur et leur beauté propres, indépendamment du sens qu’ils peuvent avoir ? […] Suivant lui, la poésie et la musique se nuisent en s’associant, perdent chacune quelque chose de leur puissance et de leur beauté. […] Il y a toujours un rapport entre le genre de beauté féminine qui attire des adorateurs et le genre de beauté littéraire qui attire des admirateurs. […] Ce n’est plus une beauté robuste, opulente, sanguine. […] Car toujours les variations de l’idéal en matière de beauté humaine les provoquent, les reproduisent ou les accompagnent.
Partout, comme un lait pur sur une onde limpide Le ciel sur la beauté répandit la pudeur. […] Que le ciel lui donna sa beauté pour défense ? […] — l’âge où la femme, au jour de sa naissance, Sortit des mains de Dieu si blanche d’innocence, Si riche de beauté, que son père immortel De ses phalanges d’or en fit l’âge éternel ! […] Et moi aussi, voulais-je lui dire, j’ai aimé à l’âge de l’amour, et moi aussi j’ai cherché, dans l’enthousiasme qu’allume la beauté, l’étincelle qui allume tous les autres enthousiasmes de l’âme. […] Et qu’as-tu donc fait de ta jeunesse et de ton talent, que nous n’ayons plus ou moins fait nous-même, quand nous commencions à trébucher comme des enfants sans lisière sur tous les achoppements de la jeunesse, de la beauté, de la sensibilité et du génie ?
Ce succès reste à la louange de l’auteur qui aura dédaigné les procédés trompeurs, et du public qui aura aimé la beauté véritable. […] Transformée, « civilisée », cette jeune paysanne reprend conscience d’elle-même et devenue « indulgente » pour la beauté des autres, admiratrice même de cette beauté et par conséquent délivrée du souci d’être mal jugée, indépendante enfin, armée d’une conception de l’honneur plus personnelle et plus fière que celle qui lui était imposée, elle connaît des bonheurs insoupçonnés, une quiétude profonde et douce. […] Elle répondra aussi que le fait d’être sans caractère constitue un « caractère » spécial, et que tous les personnages sont intéressants lorsqu’ils dégagent de la beauté. […] Camille Mauclair peut se vanter d’être un des plus dévoués « serviteurs de la Beauté » et pour parler avec Nietzsche, il demeure plus « inactuel » qu’il ne pense. […] Chair-Mystique, la Beauté, Versailles aux Fantômes, la Joie sont des romans d’une intrigue simplifiée, mais d’une volupté absorbante et complexe.