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686. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Elle n’embrassa pas seulement dans sa sollicitude les gens de lettres proprement dits, mais elle s’occupa des artistes, sculpteurs et peintres, pour les mettre tous en rapport entre eux et avec les gens du monde ; en un mot, elle conçut l’encyclopédie du siècle en action et en conversation autour d’elle. Elle eut chaque semaine deux dîners de fondation, le lundi pour les artistes : on y voyait les Vanloo, Vernet, Boucher, La Tour, Vien, Lagrenée, Soufflot, Lemoine, quelques amateurs de distinction et protecteurs des arts, quelques littérateurs comme Marmontel pour soutenir la conversation et faire la liaison des uns aux autres. […] Elle a peu de goût et encore moins de savoir, mais elle protège les artistes et les auteurs, et elle fait la cour à un petit nombre de gens pour avoir le crédit d’être utile à ses protégés.

687. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Cependant Newton sera toujours Newton, c’est-à-dire le successeur de Descartes, et l’autre un homme commun, un vil artiste qui a vu une fois et n’a peut-être jamais pensé. […] Dans le grand ouvrage de Montesquieu, l’artiste en effet est pour beaucoup : il y est dit bien des choses qui sont sujettes au doute. Cet auteur artiste est là en présence de son sujet, de sa vaste lecture ; il veut une loi et il la cherche, il la crée quelquefois.

688. (1888) Poètes et romanciers

C’est un vrai poème en cinq parties, qui révèle l’amour de l’artiste par la composition et le soin du détail. […] Béranger a été, sans contredit, un des artistes les plus amoureux de son art. […] C’est la marque et le secret des grands artistes, d’avoir ainsi, même dans le crépuscule de leur génie, de ces lumineuses échappées qui éclairent encore l’horizon. […] Et en cela le savant ressemble à l’artiste ; il n’y a de grand artiste que celui qui cherche toujours au-delà. […] Feuillet, dans ses dernières œuvres, a essayé, avec une curiosité d’artiste, de saisir l’éclair au passage et de nous en faire sentir la flamme rapide et brûlante.

689. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Le jury était en partie composé de républicains, disait-on : il n’y avait donc pas eu de faveur dans la récompense ; et le front de l’artiste s’éclairait de satisfaction à l’idée de n’avoir pas seulement une qualité d’emprunt et de reflet, mais de valoir par soi-même quelque chose. La princesse Mathilde est, en effet, artiste dans l’âme, et je me suis réservé exprès jusqu’à ce moment le plaisir de parler avec quelque détail de ce côté si caractérisé de sa nature.

690. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Alfred de Musset, comme plus d’un des personnages qu’il a peints et montrés en action, s’était dit qu’il fallait tout voir, tout savoir, et, pour être l’artiste qu’il voulait être, avoir plongé au fond de tout. […] » Ce n’est pas un artiste que Lorenzo, il veut être, lui, un homme d’action, un grand citoyen : il s’est proposé un héroïque dessein, il s’est dit de délivrer Florence, sa patrie, de l’ignoble et débauché tyran Alexandre de Médicis son propre cousin ; et pour y réussir, qu’imagine-t-il ?

691. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Jules Lefèvre, tout poëte éminent et rare qu’il est par le dedans, certaines qualités de l’artiste lui manquent ; il est de ceux qui sentent mieux qu’ils ne rendent, qui possèdent et gardent plus qu’ils ne donnent. […] Lefèvre ne puise en son âme de poëte et d’amant qu’avec un talent incomplet d’artiste ; que son talent ne domine pas son âme de manière à la réfléchir selon la loi d’harmonie, et qu’au sein d’une réalité orageuse et profonde il lutte convulsivement et sans beauté.

692. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre IV. L’écrivain (suite) »

. — Cette promptitude aux métamorphoses intérieures fait l’artiste véritable. […] Notre style si exact et si net ne dit rien _au-delà_ de lui-même ; il n’a pas de perspective ; il est trop artificiel et trop correct pour ouvrir des percées jusqu’au fond du monde intérieur, comme fait la langue des artistes ou des simples, telle qu’on la trouve dans l’_Imitation_ ou dans Shakspeare.

693. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Enfin dans les deux descriptions j’apercevrai, non pas deux procédés seulement, ni deux arts, mais deux siècles et deux hommes : d’un côté, l’esprit lettré, l’orateur, qui raisonne sa sensation et ne conçoit rien que de triste hors des conditions du monde civilisé et de la vie de société ; de l’autre, le critique, l’artiste, capable de prendre tour à tour l’âme de tous les peuples, acceptant la sensation étrange et même illogique, habile à saisir la beauté dans les moins riants aspects de la nature, dans l’égalité monotone de la lumière. […] L’œil de l’artiste exercé peut seul s’offrir à l’impression directe de la nature, sans que la préoccupation du travail à faire altère en lui la sincérité de la sensation.

694. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Baudelaire, Œuvres posthumes et Correspondances inédites, précédées d’une étude biographique, par Eugène Crépet. »

Puis j’ai senti sa misère, sa souffrance intime, et je l’ai plaint ; j’ai reconnu en lui des vertus d’honnête homme ; j’ai cru à sa sincérité d’artiste, dont je doutais d’abord  Enfin, ayant relu les Fleurs du mal, j’y ai pris plus de plaisir que je n’en attendais, et j’ai été contraint de reconnaître, quoi qu’en aient dit d’habiles gens, la réelle, l’irréductible originalité de cet esprit si incomplet. […] de la simplicité, de la piété, de l’humilité : « Je me jure à moi-même de prendre désormais les règles suivantes pour règles éternelles de ma vie ; « Faire tous les matins ma prière à Dieu, réservoir de toute force et de toute justice, à mon père, à Mariette et à Poë comme intercesseurs : les prier de me communiquer la force nécessaire pour accomplir tous mes devoirs, et d’octroyer à ma mère une vie assez longue pour jouir de ma transformation ; travailler toute la journée, ou du moins tant que mes forces me le permettront ; me fier à Dieu, c’est-à-dire à la justice même, pour la réussite de mes projets ; faire, tous les soirs, une nouvelle prière, pour demander à Dieu la vie et la force pour ma mère et pour moi ; faire, de tout ce que je gagnerai, quatre parts : une pour la vie courante, une pour mes créanciers, une pour mes amis, et une pour ma mère ; obéir aux principes de la plus stricte sobriété, dont le premier est la suppression de tous les excitants, quels qu’ils soient. » Plus je me rapproche de l’homme et plus je reviens de mes préventions contre l’artiste.

695. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

Un artiste a le droit — on peut même le féliciter — de se passionner pour une époque. […] Le cas normal du roman historique, c’est une histoire thème d’une légende, prémisse évocatoire et propitiatrice à la sympathie, bon cadre mutuellement connu pour replacer où il les a ressenties les émotions que l’artiste veut communiquer.

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