Il réfléchit en artiste plus qu’en philosophe. […] Si l’homme du monde, l’artiste, le grand seigneur, s’était soucié d’idées générales, voici peut-être à quelles considérations ces faits particuliers l’auraient conduit. […] 1644-1696 Voici encore un de ces auteurs qui n’ont point traité la morale scientifiquement : La Bruyère est un artiste, comme La Rochefoucauld un homme du monde. […] Il en résulte aussi que sa méthode n’a pas été toujours celle du véritable artiste, chez qui une individualité ne naît pas du rapprochement de plusieurs pièces de rapport.
Ensuite la virilité, quand la société produisit successivement la Renaissance, la Réforme, la Philosophie : c’est l’âge de la monarchie, mais c’est l’âge aussi des savants, des artistes et des philosophes ; c’est le seizième et le dix-septième siècle, l’âge de Raphaël et de Luther, de Shakespeare et de Galilée, de Molière et de Leibniza : art, poésie, science, philosophie, rien ne sort encore bien ostensiblement de la conception de la terre considérée comme un lieu d’épreuves menant à l’enfer ou au paradis ; et pourtant qui ne sent qu’on touche déjà à la limite de cette idée ?
Il finit par déclarer nettement qu’il ne faut pas raisonner sur la musique comme sur un art, et qu’il faut juger une composition musicale comme une capote, un schall, une robe ; la plus nouvelle est la meilleure ; et qu’enfin la véritable raison pour laquelle on dédaigne les productions des anciens artistes, c’est qu’il faut que les nouveaux vivent, et que c’est une raison à laquelle il n’y a point de réplique. […] « Si les passants me montrent au doigt comme un artiste célèbre, c’est à vous que je dois cet honneur : ma vie, ma réputation, si je puis cependant me flatter d’en avoir une, tout est votre ouvrage. » Cela n’autorisait point Corneille à dire au cardinal, en mauvaise prose, que la plus noble fonction des poètes était de divertir son éminence, et qu’il n’y avait rien de beau et de bon que ce qui avait l’honneur de lui plaire.
Un tel sujet, si riche sous les pinceaux des artistes de l’Italie, devait-il être infécond pour une muse épique, dont la plus importante loi est de plaire par la variété de l’ordre qu’elle établit en son plan ?
Mais combien de poètes incompris, d’artistes méconnus, prenant leur désespoir pour de l’héroïsme, leur impatience pour de la supériorité, ont, à l’exemple du drame, maudit la vie et la société !
2° En fait, l’image idéale est toujours ou le résultat d’une longue recherche ou la rencontre heureuse d’une imagination bien douée ; les grands artistes sont des hommes exceptionnels, ou par la patience de la réflexion ou par la promptitude du génie.
. — Les grands artistes sont en face de leur œuvre comme d’une étrangère ; ils n’en prévoient pas du premier coup toutes les démarches ; ils l’épient se développer ; ils la découvrent peu à peu passionnément. […] … Nous aimons les artistes qui préparent eux-mêmes leur figure et nous la transmettent bien déterminée, nette, simple, complète.
Leurs fréquents entretiens sous le Portique, au Lycée, dans les places et promenades publiques, la quantité d’établissements ouverts aux rhéteurs, les cours successifs de tant de maîtres glorieux de l’affluence de leurs disciples, les disputes curieuses des sophistes de toutes les écoles rivales, la foule des élèves qui devenaient bientôt les concurrents, les critiques et les juges de leurs doctes maîtres, enfin un concours d’opinions formées dans la multitude qui les écoutait, tout secondait les efforts et hâtait les progrès des savants et des artistes qu’éclairait cet immense écoulement de lumières. […] Un parvenu aura, par exemple, les vices bas qui tiennent à son extraction, et les prétentions outrées que lui inspirera sa fausse dignité : une ancienne baronne, une duchesse ruinée, mêlera les impertinences du rang dont elle est déchue à la complaisante domesticité d’une dame de compagnie chez la bourgeoise devenue sa princesse en titre : un savant alliera la morgue du professorat et du rhéteur à l’air important d’un législateur, à la suffisance d’un conseiller du prince ; un artiste, en perdant les libertés et l’insouciance de l’atelier dans les salons des grands, présentera le mélange des originalités d’un peintre et des souples finesses d’un courtisan ; et n’étant parfaitement ni l’un ni l’autre, il se fera soudain moquer par le double ridicule de ses caprices et de sa politique.
Ils excitent le talent de l’artiste par la difficulté de plaire à ses juges ; et si, par des causes plus fortes que toutes les règles et tous les exemples, le niveau du talent a baissé en même temps que le goût du public s’est corrompu, ils retardent le mal et sauvent l’espérance.
On peut juger après cela si cet ouvrage est celui d’un simple grammairien ordinaire, ou d’un grammairien profond et philosophe ; d’un homme de lettres retiré et isolé, ou d’un homme de lettres qui fréquente le grand monde ; d’un homme qui n’a étudié que sa langue, ou de celui qui y a joint l’étude des langues anciennes ; d’un homme de lettres seul ou d’une société de savants, de littérateurs, et même d’artistes ; enfin on pourra juger aisément si, en supposant cet ouvrage fait par une société, tous les membres doivent y travailler en commun, ou s’il n’est pas plus avantageux que chacun se charge de la partie dans laquelle il est le plus versé, et que le tout soit ensuite discuté dans des assemblées générales.