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36. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

De là on prostitue moins l’éloge : ceux même qui pourraient être corrompus et lâches, sont arrêtés par l’opinion ; et la peur de la honte les sauve au moins de la bassesse. […] Mais si un peuple a des mœurs frivoles et légères ; si, au lieu de cette sensibilité profonde qui arrête l’âme et la fixe sur les objets, il n’a qu’une espèce d’inquiétude active qui se répande sur tout sans s’attacher à rien ; si, à force d’être sociable, il devient tous les jours moins sensible ; si tous les caractères originaux disparaissent pour prendre une teinte uniforme et de convention ; si le besoin de plaire, la crainte d’offenser, et cette existence d’opinion qui aujourd’hui est presque la seule, étouffe ou réprime tous les mouvements de l’âme ; si on n’ose ni aimer, ni haïr, ni admirer, ni s’indigner d’après son cœur ; si chacun par devoir est élégant, poli et glacé ; si les femmes même perdent tous les jours de leur véritable empire ; si, à cette sensibilité ardente et généreuse qu’elles ont droit d’inspirer, on substitue un sentiment vil et faible ; si les événements heureux ou malheureux ne sont qu’un objet de conversation, et jamais de sentiment ; si le vide des grands intérêts rétrécit l’âme, et l’accoutume à donner un grand prix aux petites choses, que deviendra l’éloquence chez un pareil peuple ? […] La partie du rocher qu’il aura parcourue, offrira l’image d’une campagne cultivée ; celle qui lui restera à franchir, sera encore brute et sauvage ; cependant un serpent à demi écrasé, et ranimant ses forces, s’élancera pour piquer les flancs du cheval, et tâcher, s’il le peut, d’arrêter la course du héros. […] Lui seul donne à l’ouvrage cet heureux degré de chaleur qui attire l’âme et l’intéresse, et la précipite toujours en avant sans qu’elle puisse s’arrêter. […] qui fixera la limite où le sentiment doit s’arrêter pour être vrai ?

37. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Amand » p. 279

Plusieurs mauvais dessins dont je ne parlerais pas, sans un de ces traits d’absurdité sur lesquels il faut arrêter les yeux des enfans. […] Or on donnerait un demi-pied de plus au tourneur de manivelle d’Amand qu’il ne serait pas encore assez grand ; en sorte que, dans son dessin, ce n’est plus un homme qui tourne, c’est un homme qui arrête la manivelle à son point le plus bas, et qui se repose dessus.

38. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Ou plutôt c’est toute la marche progressive de l’esprit humain qu’il nous faudrait condamner comme une chimère monstrueuse et funeste, si nous ne voulions pas voir dans cet homme perdu au sommet des précipices de la route, et que saisit le vertige, un de nous, un de nos frères, qui, lorsque la caravane humaine s’arrêtait interceptée dans sa voie, s’est élancé plus hardi jusqu’à la région des nuages, et qui meurt pour nous, en nous faisant signe qu’il n’y a point de route, parce qu’il n’en a pas trouvé. […] Exemple unique à notre époque de l’art calme et contenu comme les époques les mieux organisées en ont produit, mais évidemment dû à la force d’une intelligence qui sait s’arrêter aux limites qu’elle veut s’imposer, et qui ne s’abandonne pas à tout son vol. […] Au fond, l’esprit de la Réforme, soit qu’il conduisît à l’incrédulité, soit qu’il s’arrêtât dans certaines limites, était un esprit sublime, un esprit d’enthousiasme et de foi. […] Il n’y a pas assez d’audace dans cette Réforme de Luther arrêtée où elle s’est arrêtée. […] Cette religion arrêtée ne le satisfait pas ; cette société arrêtée également ne contente pas ses désirs.

39. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

Deux hommes vigoureux et vus par le dos l’arrêtent et le soutiennent. à droite, sur le parvis, plus sur le devant, c’est un grand cadavre qu’on ne voit que par le dos. […] Au premier aspect, cette machine est grande, imposante, appelle, arrête, elle pourrait inspirer la terreur ensemble et la pitié. […] Divers, selon l’endroit auquel l’imagination s’arrêtera. […] Si elle s’arrête, la composition laissera un vuide, un trou. […] On a de la peine à la suivre ; elle est quelquefois équivoque, ou elle s’arrête tout court, ou il faut bien de la complaisance à l’œil pour en poursuivre le chemin.

40. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Enfin il s’arrête au dernier portrait : Ce portrait, c’est le mien. […] Dans les âges suivants on commence à prendre son pli, les passions s’appliquent à quelques objets, et alors celle qui domine ralentit du moins la fureur des autres : au lieu que cette verte jeunesse n’ayant rien encore de fixe ni d’arrêté, en cela même qu’elle n’a point de passion dominante par-dessus les autres, elle est emportée, elle est agitée tour à tour de toutes les tempêtes des passions, avec une incroyable violence. […] Voici une description de Buffon : Qu’on se figure un pays sans verdure et sans qu’au, un soleil brûlant, un ciel toujours sec, des plaines sablonneuses, des montagnes encore plus arides, sur lesquelles l’œil s’étend et le regard se perd sans pouvoir s’arrêter sur aucun objet vivant ; une terre morte et, pour ainsi dire, écorchée par les vents, laquelle ne présente que des ossements, des cailloux jonchés, des rochers debout ou renversés, un désert entièrement découvert, où le voyageur n’a jamais inspiré sous l’ombrage, où rien ne l’accompagne, rien ne lui rappelle la nature vivante : solitude absolue, mille fois plus affreuse que celle des forêts ; car les arbres sont encore des êtres pour l’homme qui se voit seul ; plus isolé, plus dénué, plus perdu dans ces lieux vides et sans bornes, il voit partout l’espace comme son tombeau : la lumière du jour, plus triste que l’ombre de la nuit, ne renaît que pour éclairer sa nudité, son impuissance, et pour lui présenter l’horreur de sa situation, en reculant à ses yeux les barrières du vide, en étendant autour de lui l’abîme de l’immensité qui le sépare de la terre habitée : immensité qu’il tenterait en vain de parcourir ; car la faim, la soif et la chaleur brûlante pressent tous les instants qui lui restent entre le désespoir et la mort. […] L’isvoschik connaissait la maison Cherbatzky ; il s’arrêta devant la porte en arrondissant les bras et se tourna vers Levine avec respect, en disant « prrr » à son cheval.

41. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et M. de Maupertuis. » pp. 73-93

Tous les exemplaires furent arrêtés. […] Il se proposoit d’aller à Plombières, & d’y attendre la saison des eaux ; mais son état de foiblesse le contraignit de s’arrêter à Léipsig. […] L’un & l’autre y sont arrêtés & gardés à vûe. […] Le procédé qu’on avoit eu pour elle étoit si extraordinaire, que le roi de Prusse se défendit de l’avoir fait arrêter, & ne tarda pas à procurer aux prisonniers leur délivrance.

42. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

Il marcha longtemps, longtemps… Rodolphe et son lapin blanc, l’un portant l’autre, finirent par s’arrêter après deux cent cinquante lieues : ils étaient à Toulouse. […] Lorsqu’il s’arrêta, Rodolphe possédait encore vingt francs. […] Il l’appelle : le lapin, qui trottinait par la chambre, s’arrête soudain et se met à écouter le maître en se faisant la barbe avec ses pattes. — Dans un coin, une rainette à la robe verte grimpe après un arbuscule fiché entre deux carreaux ; tout auprès, une grenouille fait la planche dans une cuvette qui joue le rôle de bassin. […] Mais, s’il en est ainsi, d’où vient donc qu’on s’arrête devant les travaux photographiques avec curiosité toujours, avec admiration quelquefois, mais qu’on n’est jamais impressionné ; tandis qu’un paysage réel (le moins compliqué) un coin de verdure, un arbre, un ruisseau, nous fait rêver des heures entières ?

43. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Ils se retournent alors, à la manière de Mirabeau, contre cette révolution qu’ils ont faite, et lui commandent avec un geste d’impatience de s’arrêter. Mais, si toutes les conséquences de l’art nouveau ne sont pas tirées, s’il reste encore des applications possibles au gré des génies inventeurs, si, parmi les idées en jeu dans la société, il en est quelqu’une, noble et féconde, qui attende encore son organe éclatant et son expression éternelle, rien ne s’arrête ; la révolution que les uns ont entamée se consomme par d’autres, et le siècle accomplit jusqu’au bout sa destinée de gloire. […] Voix sonore et retentissante, timbre éclatant et pur, geste simple ; puis une parole facile, abondante, harmonieuse ; une manière de style étrangère à toute affectation, à toute enflure ; un laisser-aller plein de ressources ; un art heureux de diriger, de détourner sa pensée, de la lancer chemin faisant dans les questions, et de l’arrêter toujours à propos ; un penchant à s’étendre sur les moralités consolantes quand il y a jour, et, sitôt qu’on arrive aux hommes, un parfait mélange de discrétion et de loyauté, voilà ce qui nous a surtout frappé dans l’éloquent discours de M. de Lamartine.

44. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Ils s’arrêtèrent donc à l’endroit juste où on les déposa, et dès le 7 août ils s’y étaient cantonnés, proclamant hautement, les uns (c’étaient les plus effrayés) que le pays d’au-delà était semé de périls, peuplé d’animaux féroces et d’anthropophages ; les autres (c’étaient les plus hébétés) que par cela seul qu’on avait passé de la rive droite à la rive gauche, on était nécessairement, et tout d’abord, en pays de Cocagne. […] D’honorables exceptions individuelles ont protesté, il est vrai, contre cette abjuration soudaine des idées et du progrès ; nous n’avons à nous arrêter ici qu’à M.  […] Il énumère les solutions hâtives qu’on a tentées, et s’arrête particulièrement sur le Saint-Simonisme, dont la courte destinée aura laissé bien des semences.

45. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

Ce mot ainsi réduit n’est point cependant un signe mort, qu’on ne comprend plus ; il est comme une souche dépouillée de tout son feuillage et de toutes ses branches, mais apte à les reproduire ; nous l’entendons au passage, et si prompt que soit ce passage ; il n’entre point en nous comme un inconnu, il ne nous choque pas comme un intrus ; dans sa longue association avec l’expérience de l’objet et avec l’imago de l’objet, il a contracté des affinités et des répugnances ; il nous traverse avec ce cortège de répugnances et d’affinités ; pour peu que nous l’arrêtions, l’image qui lui correspond commence à se reformer ; elle l’accompagne à l’état naissant ; même sans qu’elle se reforme, il agit comme elle. […] L’image des Tuileries se réveille, celle de la Seine et de ses quais tout à côté, et vous vous sentez arrêté quand vous voulez transporter la première ailleurs. […] Deux sciences complètes, infiniment fécondes, reposent sur elle et ne sont efficaces que par là. — Que le lecteur me pardonne de l’avoir arrêté sur des remarques si simples.

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