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1145. (1864) Études sur Shakespeare

Comme un fanal, dans la nuit, brille au milieu des airs sans laisser apercevoir ce qui le soutient, de même l’esprit de Shakespeare nous apparaît dans ses œuvres isolé, pour ainsi dire, de sa personne. […] Dans la première classe se rangent la plupart de ses comédies ; la seconde comprend toutes ses tragédies, scènes immenses et vivantes où toutes choses apparaissent sous leur forme solide, pour ainsi dire, et à la place qu’elles occupent dans une civilisation orageuse et compliquée ; là, le comique intervient aussi souvent que son caractère de réalité lui donne le droit d’y entrer et l’avantage de s’y montrer à propos. […] Ainsi le coup d’œil du philosophe éclaire et dirige l’imagination du poëte ; ainsi l’homme n’apparaît à Shakespeare que muni de tout ce qui appartient à sa nature. […] Banquo peut alors nous apparaître ; la présence réelle du crime a produit tout son effet ; nous ne refusons aucune des terreurs qui l’accompagnent. […] La nature et la destinée de l’homme nous ont apparu sous les traits les plus énergiques comme les plus simples, dans toute leur étendue comme avec toute leur mobilité.

1146. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

A partir de ce jour, l’Église des Gaules est fondée véritablement et scellée dans sa première pierre, et elle croîtra, elle grandira sans interruption jusqu’à Bossuet qui apparaît debout au sommet ; grâce à cette sève de christianisme, profonde et si longtemps puissante, la branche la plus brillamment profane de notre littérature se couronnera elle-même par des chefs d’œuvre, Polyeucte et Athalie. […] Il fait la part irrécusable de la période de corruption, de dégradation, d’écrasement ; mais aussi il admet un autre agent latent, progressif, analytique, conforme à la marche et à l’exigence croissante de l’esprit humain : « Ainsi, dit-il, dans ces langues novo-latines33 qu’au premier abord on prend pour des types dégradés, on voit apparaître l’un des éléments les plus précieux pour la précision et la clarté, à savoir l’article.

1147. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Quoique les éléments de notre sensation soient successifs, les éléments du corps nous apparaissent comme simultanés ; en effet, ils sont, comme le corps lui-même, des pouvoirs permanents, dont la permanence, comme celle du corps lui-même, nous est attestée par le retour régulier des sensations qu’ils provoquent ; étant permanents, ils sont contemporains ; quoique nous les percevions tour à tour, ils existent ensemble, et la succession qui disjoint leurs effets ne s’applique pas à leur être. […] Mais, comme la loi qui prédit cet événement sous telles conditions est générale et, partant, permanente, l’une et l’autre apparaissent comme permanentes et se trouvent ainsi érigées en substances, ce qui les oppose aux événements passagers et les classe à part. — À présent, sous le nom de forces, les possibilités permanentes se ramènent sans difficulté à ce que nous nommons matière et corps ; nous ne répugnons pas à admettre que le monde dans lequel nous sommes plongés soit un système de forces ; du moins telle est la conception des plus profonds physiciens.

1148. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

En somme, le monde n’apparaît ici que comme une pièce de théâtre, matière à critique et à raisonnements. […] Les religions, leur gloire et leur ruine, le genre humain, ses douleurs et sa destinée, tout ce qu’il y a de sublime au monde lui est alors apparu dans un éclair.

1149. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Une série d’aventures moitié plaisantes, moitié sérieuses, toutes féeriques, poursuivent la belle Angélique obsédée par une foule de chevaliers de chant en chant ; Renaud, Bradamante, Roger, Pinabel, et vingt autres guerriers ou guerrières apparaissent, disparaissent, combattent, adorent, s’évanouissent pour reparaître encore comme des fantômes de l’imagination dans une nuit semée de feux follets, mais tous dans des aventures pittoresques décrites en vers, tantôt épiques, tantôt comiques, qui embarrassent quelquefois la mémoire du lecteur, sans lasser sa curiosité et son admiration. […] « J’apparus au balcon comme à l’ordinaire, vêtue de la robe de Ginevra ; ma parure blanche éclatait au loin sous les reflets de la lune ; ma taille et mon visage, qui ressemblaient à la taille et au visage de ma maîtresse, me faisaient confondre avec elle ; l’astucieux duc d’Albanie s’approche à pas furtifs, saisit l’échelle que je lui jette et monte sur le balcon. » — Passez une stance inutile, dit le chanoine au professeur ; elle ne méritait pas un sinet, mais un silence. » Le professeur omit la stance et poursuivit.

1150. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Un génie apparut à sa nourrice, dit la rumeur antique, et lui prédit qu’elle allaitait, dans cet enfant, le salut de Rome, ce qui signifie que la physionomie et le regard de cet enfant répandaient dans le cœur de sa mère et de sa nourrice on ne sait quel pressentiment de grandeur et de vertu innées. […] Cicéron apparaissait dans la vie précisément à ce moment de l’achèvement et de la décomposition de la république romaine ; en sorte que son histoire, mêlée à celle de sa patrie depuis sa naissance jusqu’à son supplice, est à la fois celle des hommes les plus mémorables ou les plus exécrables de l’univers, celle des plus grandes vertus et des plus grands crimes, des plus éclatants triomphes et des plus sinistres catastrophes de Rome.

1151. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Tel Ulysse, tout nu qu’il est, va au-devant des jeunes filles à la belle chevelure, car il le faut ; il leur apparaît tout souillé de l’écume de la mer et tout effrayant. […] « J’aime à vous voir évoquer sous nos yeux la grande figure du poète créateur qui enchanta ma jeunesse, et me guida dans l’Orient au vif éclat de sa lumière ; j’aime également à retrouver dans son dernier historien la voix du chantre de ces Méditations qui, dès leur berceau, m’apparurent sous le même ciel, et m’apportèrent, aux rives de Scio et de Smyrne, de douces et mélancoliques jouissances.

1152. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

X Tel apparaissait le château du Cayla, vieux nid démantelé, qu’habitaient encore les jeunes rejetons de l’ancienne famille, heureux et riches tant qu’ils ne le quittaient pas, pauvres et réduits aux dernières conditions de la société aussitôt qu’ils en sortaient pour chercher dans le monde leur ancienne place. […] Quant à elle, elle était morte à ce bas monde ; mais le monde supérieur, le monde céleste, celui où tout est éternel, lui apparaissait plus visible que jamais.

1153. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Mais aujourd’hui, déjà depuis bien des années cette voix est muette, et le bonheur dont je jouissais dans ce contact avec sa personne est bien loin derrière moi ; aussi je ne pouvais trouver l’ardeur nécessaire que dans les heures où il m’était donné de rentrer en moi-même, assez profondément pour pénétrer dans ces asiles de l’âme que rien ne trouble ; là je pouvais revoir le passé avec ses fraîches couleurs ; il se redressait devant moi, et je voyais de grandes pensées, des fragments de cette grande âme apparaître à mes regards, comme apparaîtraient des sommets lointains, mais éclairés par la lumière du jour céleste, aussi éclatante que la lumière du soleil.

1154. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Nous ne saurions même nous contenter de dire, avec Spencer, que le plaisir est l’accompagnement de l’action normale ; selon nous, le plaisir, comme émotion distincte, apparaît précisément lorsque la limite de l’action normale a été franchie, puisqu’il suppose, sur quelque point, une richesse. […] La jouissance « pure et véritable », qui n’est pas seulement un « remède à la douleur », apparaît ainsi comme l’activité débordante, qui se sent libre enfin des obstacles, supérieure à ce qui était strictement nécessaire pour la satisfaction du besoin ; elle n’est plus une simple balance, mais un profit et, comme nous croyons l’avoir montré, un surcroît.

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