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266. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

C’est le plus horrible monstre de vanité, d’amour de l’argent, de corruption native et réfléchie, et je ne crois pas que depuis Madame Bovary il se soit produit dans la littérature quelque chose de plus bas, malgré les grands airs qu’ils lui donnent, et de plus exécrablement odieux. […] Demandez-vous où est allé ce qu’on appelait l’air grand seigneur, remplacé si médiocrement par l’air comme il faut, qui est l’air de tout le monde à une certaine hauteur de société.

267. (1874) Premiers lundis. Tome I « Anacréon : Odes, traduites en vers française avec le texte en regard, par H. Veisser-Descombres »

Une colombe a passé dans les airs, et soudain a prêté à cette douce messagère un babil plein de sentiment et d’ingénuité. […] Plus fidèle à son auteur, il doit quelquefois à cette exactitude même d’assez heureuses rencontres, témoin ces vers de l’ode suivante :  L’oiseau fend l’air ; le poisson nage ;  Le lièvre, au défaut de courage,  Sait déployer l’agilité ; L’homme seul eut pour lui la prudence en partage.

268. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la distribution des prix du lycée d’orléans. » pp. 223-229

Cette modération-là est en train de devenir, par ce temps de modes outrancières, de cabotinage et de snobisme — en littérature, en art et, dit-on, en politique — quelque chose de rare et d’original ; j’ajoute de méritoire : car les idées extrêmes, plus frappantes, plus faciles à développer, ont bien meilleur air aux yeux des ignorants et sont généralement d’un profit plus immédiat pour ceux qui les professent. […] Quand on embrasse, de quelque courbe de sa rive, la Loire étalée et bleue comme un lac, avec ses prairies, ses peupliers, ses îlots blonds, son ciel léger, la douceur épandue dans l’air, et, non loin, quelque château ciselé comme un bijou, qui nous rappelle la vieille France, ce qu’elle a été et ce qu’elle a fait dans le monde, l’impression est si charmante, si enveloppante, qu’on se sent tout envahi de tendresse pour cette terre maternelle, si belle sous la lumière et si imprégnée de souvenirs.

269. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Émile Augier »

J’ose trouver sa comédie mauvaise, — aussi mauvaise que la préface dont il l’a fait précéder pour la défendre et dans laquelle il a tout l’air d’un tapissier maladroit qui ne sait pas planter un clou sans s’écraser les doigts. […] « C’est le hussard de l’orthodoxie ; il chante le Dies iræ sur l’air du mirliton. » Ce Giboyer est au-dessous du dernier buveur de bière de la brasserie des Martyrs !

270. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Depuis la publication des Mémoires de Saint-Simon, vers lesquels l’air et le ton des ancêtres de Mirabeau reportent naturellement la pensée, il ne s’est rien publié d’aussi marquant dans ce genre de mémoires historiques. […] Ses airs de commandant m’ennuyaient autant que son ton de caporal bel esprit. […] Ou plus loin qu’ils le virent, le cocher, chef de la bande, dit à la marquise : « Vous voyez bien, madame, qu’il y avait quelqu’un. » Mais Mirabeau vient à leur rencontre d’un air à les faire repentir de leur obstination ; et voilà que commence une de ces scènes de haute comédie et de théâtre où il était passé maître : « Que venez-vous chercher ici ?  […] Mais laissons parler Sophie elle-même dans le cinquième Dialogue, où elle est censée s’entretenir avec une amie : Le comte, au milieu d’une crise si imprévue, si inquiétante, se remet dans le peu d’instants qu’il fallait pour franchir l’escalier, entre chez M. de Monnier de l’air le plus libre, l’embrasse et lui fait une histoire détaillée et vraisemblable. […] En tout, la tendresse respirait en elle et la douceur, avec un air d’ingénuité.

271. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

que ne s’est-il plutôt abîmé dans le vide des airs, ou dans le vaste sein d’Adès, l’homme qui fit connaître à tous les Grecs Mars aux armes affreuses ! […] « Que ne suis-je sous l’abri des rochers brûlés des feux du soleil130, et qu’un dieu ne m’a-t-il fait oiseau léger, parmi les hôtes de l’air ! […] « Il existait le chaos et la nuit, et, au commencent ment, le noir Érèbe et le Tartare ; mais ni la terre, ni l’air, ni le ciel, n’étaient encore. […] S’agit-il des importuns et des originaux qui viennent visiter sa ville nouvelle bâtie dans l’air, il ne manque pas de mettre dans le nombre un poëte, qui s’annonce par ce lieu commun lyrique137 : « Je suis le chantre aux harmonieuses paroles, le serviteur empressé des Muses, d’après Homère. » Et puis, ce qui nous rappelle encore mieux d’illustres exemples : « J’ai fait un chant sur votre ville de Néphélococcygias, beaucoup d’élégants dithyrambes et des parthénies à la manière de Simonide. » Le poëte, enfin, qui se charge de célébrer les villes nouvelles, et qui compare l’essor de la voix des Muses à la vitesse des plus rapides coursiers, demande un présent pour sa Muse, et offre des vers de Pindare en retour : cela fait, il emporte manteau et tunique venus fort à propos dans cette région froide de l’air.

272. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Pugnol reçoit ces instructions d’un air farouche, avec des grognements de fauve. […] Il a, par moments, des férocités d’un haut comique et il a parfaitement l’air de le savoir. […] Ce bon garçon en habit noir, l’air encore enfantin malgré les yeux qu’il roule, eh bien ! […] Sarcey trouve que le public n’a pourtant pas l’air de s’amuser. […] Ils ont tout ensemble l’air très jeune, — et l’air crevé, si j’ose m’exprimer ainsi.

273. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

J’écoute tout cela, un peu en l’air, l’oreille au bruit de la rue qui monte, et que n’entendent pas les controversistes bibliques. […] Vers une heure, silence de l’air, dans lequel montent aussitôt le chant des coqs et le bruit des industries de fer. […] Il a encore la main noire de poudre, levée en l’air, et contractée, comme si elle serrait une arme. […] C’est un grondement de cratère, un craquement crépitant de bouquet de feu d’artifice, qui jaillit dans l’air. […] À cet instant, nous sommes chassés de notre observatoire de verre, par le sifflement des balles qui passent à côté de nous, faisant, dans l’air, comme des miaulements de petit chat.

274. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Le large espace qui s’étend entre le sol et le ciel, et sur lequel nos yeux comptent comme sur leur domaine, manque tout d’un coup ; il n’y a plus d’air, on n’aperçoit plus que du brouillard coulant. […] Comme ils vivent opulemment dans les clairières, étalés à plaisir, toujours rajeunis et abreuvés par l’air moite ! […] Plusieurs ont l’air de beaux lévriers élancés, humant l’air et en pleine chasse. […] Une fumée brumeuse, pénétrée du soleil, les enveloppe de son voile roussâtre ; c’est l’air lourd et charbonneux d’une grosse serre ; depuis le sol et l’homme jusqu’à la lumière et l’air, tout est transformé par le travail. […] À mesure que tous avancez dans le pays houiller, l’air s’obscurcit de fumée ; les cheminées, hautes comme des obélisques, s’entassent par centaines et couvrent la plaine à perte de vue ; les files multipliées, entre-croisées, de hauts bâtiments en briques rouges et monotones, passent devant les yeux, comme des rangées de ruches économiques et affairées.

275. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Désolé, abandonné par l’homme, habité seulement par l’éléphant sauvage, le lion, le tigre et autres bêtes féroces y troublaient sans cesse les airs de leurs affreux rugissements. […] Les arbres les plus élégants, mariant avec grâce leurs flexibles rameaux courbés sous le poids des fruits et des fleurs, se balancent au souffle du zéphyr qui leur dérobe en passant les plus suaves odeurs, et les répand au loin dans les airs ; sur la pelouse émaillée, des troupes de Gandharvas et d’Apsaras (sorte de nymphes dans la mythologie indienne), brillantes de jeunesse, se poursuivent dans leurs jeux folâtres, et glissent d’un lieu à l’autre comme des ombres légères. IX Le héros s’égare avec délice sous les dômes de feuillages, où les rayons brisés du soleil ne laissent pénétrer qu’une indécise et pâle lumière, et la tiédeur de l’air suffisante seulement pour tempérer la fraîcheur des forêts. […] Sacountala , d’un air fâché. […] Quel air vivifiant on respire en ce lieu !

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