Un critique, qui m’a tout l’air d’appartenir d’assez près à la littérature difficile, a cru trouver dernièrement une grande preuve de l’insuffisance de la poésie nouvelle dans la facilité avec laquelle le premier venu, homme d’esprit, pouvait se mettre au fait de toutes les ressources du genre.
Par quels moyens peut-on confier à la foule, un plan qui ne peut réussir que s’il n’a jamais l’air d’en être un ?
Il part là-dessus avec une gravité de membre de l’Académie de médecine écrivant un rapport : « Une curieuse épidémie sévit depuis quelque temps sur les billets de cinq cents francs ; ils ne meurent pas tous, mais tous sont frappés d’un vague discrédit Le symptôme pathognomonique de la maladie est un épaississement accentué des tissus, avec complication de troubles dans le filigrane, etc… » Ou encore : « On vient de découvrir l’antisarcine ; comme son nom l’indique, ce médicament est destiné à combattre les effets du Francisque Sarcey qui sévit avec une si cruelle intensité sur la bourgeoisie moyenne. » Et alors il fait l’historique de la découverte ; il raconte que les études sur le virus sarcéyen ont démontré l’existence d’un microbe spécial qui a reçu le nom de Bacillus scenafairus (bacille de la scène à faire) ; que les premiers microbes ont été recueillis dans la bave d’un abonné du Temps, un malheureux qui « jetait du Scribe par les narines et délirait sur des airs du Caveau… et que son teint blafard (et Fulgence) désignait clairement comme un homme épris des choses du théâtre » ; que ces bacilles ont été recueillis, cultivés dans les « bouillons » du Temps et de la France, etc… Ce qui double encore l’effet de ces méthodiques extravagances, c’est le style, qui est d’un sérieux, d’une tenue et d’une impersonnalité effrayantes.
« De taille moyenne et assez spontanément épanoui, il porte, pas trop haut, une longue tête enfantine ; cheveux châtains s’avançant en pointe sur un front presque sacré et retombant, plats et faibles, partagés par une pure raie droite, celer deux mignonnes oreilles de jeune fille ; masque imberbe sans air glabre, d’une pâleur un peu artificielle mais jeune ; deux yeux bleu-gris partout étonnés et timides, tantôt frigides, tantôt réchauffés par les insomnies ; un nez sensuel ; une bouche ingénue, ordinairement aspirante, mais passant vite du mi-clos amoureux à l’équivoque rictus des gallinacés… Il ne s’habille que de noir et s’en va, s’en va, d’une allure traînarde et correcte, correcte et traînarde5. » Il dit encore : Mon père (un dur par timidité) Est mort avec un profil sévère ; J’avais presque pas connu ma mère, Et donc vers vingt ans je suis resté.
Parce qu’il avait dans sa jeunesse contemplé de près la splendeur des montagnes et des lacs, vécu dans leur, intimité, respiré dans l’air pur l’âme des paysages alpestres ; parce qu’il avait parcouru à pied la Suisse et la Savoie, deux pays où des contrastes grandioses et charmants parlaient plus qu’ailleurs aux yeux et aux cœurs, où les fêtes, les usages, la vie de tous les jours avaient encore la saveur d’une agreste simplicité ; parce qu’enfin cet être si sensible, écrivant en un moment où la sensibilité se réveillait en France, rencontrait des lecteurs préparés aux émotions qu’il allait leur communiquer.
Les Grecs l’avoient rejetée, comme indigne de la majesté de Melpomene ; & Racine en a fait le principal ressort de ses Pieces : ce qui leur donne un air de Roman, & annonce trop la marche de l’intrigue.
Les airs de ses romances ont un son délicieux.
Un pareil reproche, effet d’une haine personnelle, & que ses échos répètent quelquefois, pour se donner un air important, est assurément une injustice manifeste.
Nous serons ramenés à cette époque glorieuse où de véritables écoliers qui se nommaient Amyot, Ronsard, Montaigne et de moins illustres autour d’eux semblaient ne vivre que parmi les maîtres évoqués et ne respirer à pleine poitrine que l’air natal de l’antiquité !
Le visage en a pris un air de contrainte et de peine.