Encore, s’il s’agissait d’un poète inconnu, d’un timide débutant, dont les premiers vers mériteraient une autre publicité que celle des annonces, je citerais, m’estimant heureux d’appeler sur un jeune talent les encouragements de la bienveillance. […] On reconnaît que ses bienfaits sont admirables pour la vie sociale et politique, que son impulsion est toute-puissante sur le bien-être des nations, mais, sitôt qu’il s’agit de littérature, on la désavoue. […] Il s’agit de l’appréciation toute morale d’un fait qui n’est ni de droit ni de philologie, et qui se passe au grand jour de la publicité. […] L’amendement que je propose consiste, non pas en retranchements, mais en additions : il s’agit d’ajouter au mot facile, que je reconnais insuffisant, les épithètes inutile et nuisible, lesquelles, jointes à facile, caractérisent complètement l’espèce de littérature contre laquelle je me suis insurgé. […] S’il s’agissait de l’art supérieur des Racine, des Corneille, des La Fontaine et des Molière, nous irions chercher nos comparaisons dans les régions les plus élevées du monde moral.
On aurait peine à se figurer le désordre et la confusion où était l’enseignement de la jeunesse en 1800 : toutes les méthodes faciles, toutes les fantaisies philosophiques et philanthropiques s’étaient donné carrière sous le Directoire ; il s’agissait de remettre la règle et un peu de sévérité dans cette licence et cette bigarrure. […] Il veut qu’on mange dans l’action ; il s’agit bien de pareilles choses ! […] Dans notre pays d’égalité, et sous cette forme démocratique qui séduit la jeunesse, il s’agit moins encore, selon Roederer, de telles ou telles garanties positives que de chances d’élévation libre et de distinctions accessibles à tous.
Burlamaqui, en découvrant à Saint-Martin les bases naturelles de la raison et de la justice dans l’homme, pourrait toutefois s’étonner d’avoir été un initiateur dans le sens particulier dont il s’agit ici. […] C’est là une sorte de danger auquel n’échappent pas ces âmes humbles et douces, lorsqu’elles prétendent agir et marcher toutes seules dans les sentiers du divin, et faire œuvre d’apôtre et de pape en ce monde : il se trouve qu’il y a un énorme Léviathan d’orgueil caché et dormant au fond de leur lac tranquille52. — Et qu’il ne vienne pas nous dire que ce qu’il sent est plus beau que de l’orgueil, ce n’en est que le plus subtil et le plus spécieux déguisement. […] — Tout ceci n’est pas hors de propos quand il s’agit de Saint-Martin, dont la douceur et l’humilité sont du même ordre et doivent être sujettes aux mêmes réserves.
Est-il rien de plus riant, de plus frais, comme page et vignette d’histoire naturelle, que ce joli nid de mésange : Ce matin, en faisant une promenade sur les bords de l’étang (il s’agit de l’étang de Paray, et ceci n’est plus du voyage de Plombières), j’ai joui d’un spectacle qui m’a confondue d’admiration, et que je vais tâcher de raconter. — Je m’étais appuyée contre un saule pour me reposer un instant, lorsque tout à coup un charmant petit oiseau sembla jaillir de l’écorce même de l’arbre ; je voulus me rendre compte de ce phénomène, et voici ce que je vis en y regardant de très près. […] Il ne s’agit que de savoir les apprécier. […] Comprendre chaque Père de l’Église, le rendre avec la physionomie qui lui est propre, lui faire parler sa langue, le faire agir sur la scène où il a vécu, c’était son ambition première, et elle excédait ses forces : de plus savants qu’elle sont restés en chemin.
Les Arabes n’ont pas changé. » Et remarquez-le, non seulement Horace Vernet soutenait cette immobilité, cette invariabilité de l’Orient au point de vue pittoresque du spectacle, en ce qui était du paysage et du costume ; il l’entendait aussi au point de vue moral, et il observait très ingénieusement que cette idée de fatalité qui domine les populations orientales agissait autrefois tout comme aujourd’hui, au temps de Moïse ou des prophètes comme au temps de Bonaparte, de Méhémet-Ali ou d’Jbrahim ; que la cause extérieure de l’étonnement et de la soumission machinale pouvait être diverse, mais que l’explication n’étant pas autre ni plus avancée aujourd’hui qu’il y a quarante siècles, la physionomie qui exprime l’état intérieur habituel restait la même, que le faciès, en un mot, n’avait pas changé ; et il exprimait cela très spirituellement ; « Ce matin (toujours à Damas), on nous a fait manœuvrer deux batteries d’artillerie, l’une de la garde, l’autre de la ligne. […] Le second jour les bois étaient jonchés de ces pauvres misérables couchés dans la boue sans pouvoir agir de leurs membres. […] Je me sais bon gré de ma retenue pendant mon voyage et de n’avoir pas tout dit, car véritablement, d’après ce qui se fait ici par ordre supérieur, je crois que notre bon roi a voulu se ficher de moi en me chargeant de belles paroles ; car je ne puis douter que, d’un autre coté, il n’agisse autrement… » Évidemment, de part et d’autre, on l’avait chargé de simples politesses ; on ne l’avait pas pris très au sérieux comme ambassadeur.
quelle sorte de réduction et d’appropriation toute française (en y laissant une couleur très-suffisamment espagnole) lui a-t-il fait subir, quel compromis a-t-il su trouver quant au lieu, au temps, quant au nombre et aux sentiments des personnages, à leur ton et à leur façon de parler ou d’agir ? […] Cependant Corneille, qui tenait à éluder sur ce point et à ne pas trop faire remarquer les déplacements, s’abstient, dans le dialogue, de ce qui obligerait trop directement à les apercevoir : ses personnages raisonnent, agissent, mais sans tirer parti de quantité de petites circonstances qui localisent, qui précisent, et sans que jamais le cadre des lieux leur donne plus de relief ou leur serve de point d’appui. […] Le roi le blâme, le réfute et donne les raisons d’État contre un préjugé si funeste : « Vous parlez en soldat, je dois agir en roi. » Puis, tournant court sans transition, le bon roi se met à deviser du danger dont les Maures, dit-on, menacent le royaume.
Voltaire, dont chaque mot compte quand il s’agit de peindre les hommes qu’il a connus et qu’il définit avec son heureuse précision, a dit de lui dans son Siècle de Louis XIV, en le rencontrant pour la première fois sous sa plume à l’assaut de Prague (1741) : « Le comte Maurice de Saxe, frère naturel du roi de Pologne, attaqua la ville. […] Je tâcherai aussi d’engager un homme raisonnable à faire un tour en Saxe ; mais les Français sont paresseux de sortir de Paris : j’entends ceux qui valent quelque chose, et ils sont au désespoir quand il s’agit d’aller seulement sur la frontière. » Il nous connaissait bien : et c’est ainsi qu’il est bon quelquefois de ne pas être de la nation qu’on sert et où l’on sera appelé à commander : on sait les défauts, on les corrige ; on combine les qualités et les mérites de deux races. […] Burty me fait remarquer qu’il s’agit probablement de la mécanique genre de talent que possédait en effet le maréchal de Saxe.
Il s’agissait pour le maréchal Soult, arrivé des premiers avec ses forces sur le plateau d’Austerlitz, de s’éclairer au loin sur sa droite, afin de s’assurer que les corps d’armée venus d’Italie sous les archiducs ne menaçaient pas le flanc de l’armée française et ne cherchaient pas à se réunir par la Hongrie avec le gros des Austro-Russes, On serait surpris de savoir avec quel petit nombre, avec quel chiffre réduit de sabres, mais d’autant plus mobiles, tous confiants, dociles à sa voix et aussi intelligents qu’impétueux, Franceschi s’acquitta de cette mission délicate et hardie. […] Lord Wellington, retrouvant peu de temps après Franceschi prisonnier, lui rendait justice en ces propres termes : « Monsieur le général, dans cette retraite, j’ai été plus content de vous que de mon général de cavalerie ; vous n’aviez que 600 chevaux, lui en avait 1,500, il avait du canon, et je le soutenais avec une division d’infanterie ; mais vos manœuvres ont été si habiles, vos mouvements si prompts, vos charges exécutées avec tant d’assurance, que moi-même je vous ai toujours soupçonné d’avoir de l’infanterie derrière vous et de me tendre un piège, ce qui m’a fait constamment agir avec mes masses. » Ici tout s’arrête. […] Il s’agissait d’aller à Madrid expliquer au roi Joseph et à son major général, le maréchal Jourdan, le mouvement qu’il se proposait de faire sur les derrières de l’armée anglo-espagnole, commandée par lord Wellington.
Le roi consentait à signifier aux princes ses frères « que, dans aucun cas, il n’approuvait ni ne permettait leur entrée en France avec les armées ennemies, soit qu’ils s’y réunissent comme auxiliaires, soit qu’ils se crussent en état d’agir en corps séparé », Malouet proposa pour cette mission secrète auprès des princes son ami Mallot du Pan, qui voyait comme lui en politique : Mallet du Pan, après des retards, partit pour sa mission, muni d’instructions et d’un chiffre. […] Les principaux propriétaires de Saint-Domingue, le voyant si bien accueilli de plusieurs membres du Cabinet anglais, lui confièrent leurs intérêts et lui donnèrent leurs pleins pouvoirs « pour solliciter auprès du Gouvernement anglais des moyens de protection contre l’insurrection des nègres, qui était notoirement suscitée par la Convention. » Le point délicat à traiter dans cette affaire, c’était, tout en demandant et en acceptant l’appui de l’Angleterre, de ne pas abjurer sa qualité de Français et de ne pas prétendre disposer de la souveraineté de l’île : il s’agissait donc de constituer une sorte de séquestre provisoire de la colonie sous la garde du Gouvernement anglais, en réservant la question de droit et de souveraineté jusqu’au prochain traité de paix qui interviendrait entre les deux nations. […] Il dit à cet endroit de ses Mémoires : « A Boulogne, j’allai descendre hors la ville, dans la maison de campagne d’un de mes collègues, M. du Blaisel, qui me fit entrer la nuit dans sa voiture et me déposa dans une auberge, où il me recommanda. » Il s’agit bien en effet (et je n’en fais la remarque que parce qu’on a élevé une difficulté sur ce point) de M. du Blaisel du Rieu, qui avait été suppléant du duc de Villequier, député du Boulonnais aux États-généraux.
Les grands hommes eux-mêmes contribuent souvent à fortifier cette double illusion par leur façon d’agir : jeunes, inconnus, obscurs, ils s’effacent, se taisent, éludent l’attention et n’affectent aucun rang, parce qu’ils n’en veulent qu’un, et que, pour y mettre la main, le temps n’est pas mûr encore ; plus tard, salués de tous et glorieux, ils rejettent dans l’ombre leurs commencements, d’ordinaire rudes et amers ; ils ne racontent pas volontiers leur propre formation, pas plus que le Nil n’étale ses sources. […] De René au dernier ouvrage de M. de Chateaubriand, des premières Méditations à tout ce que pourra créer jamais M. de Lamartine, d’Andromaque à Athalie, du Cid à Nicomède, l’initiation est facile : on tient à la main le fil conducteur, il ne s’agit plus que de le dérouler. […] Je ne sais si je m’abuse, mais je crois déjà voir en cette nature sensible, résignée et sobre, une naïveté attendrissante qui me rappelle le bon Ducis et ses amours, une vertueuse gaucherie pleine de droiture et de candeur comme je l’aime dans le vicaire de Wakefield ; et je me plais d’autant plus à y voir ou, si l’on veut, à y rêver tout cela, que j’aperçois le génie là-dessous, et qu’il s’agit du grand Corneille15.