Après que les simples, les positifs, les non-intellectuels, les marchands, les laboureurs, les hommes d’affaires et d’industrie auraient agi d’eux-mêmes et en paix, du sein de ce monde d’action et de réalité, de nouveaux penseurs et de nouveaux poètes, d’un tout autre caractère que leurs aînés — non plus des trompeurs ni des pleureurs — surgiraient naturellement, emplis d’un souffle nouveau. […] Loin de nos mesquines préoccupations, des terres nouvelles émergent du chaos et se préparent lentement et silencieusement à prendre la succession des affaires du monde dont nous eûmes jadis la conduite.
Ceci est affaire de races et de langues.
L’organisation d’un gouvernement libre représente mieux, selon nous, les rapports que soutiennent les signes avec les choses signifiées : le monde de nos pensées peut être comparé à un peuple qui se gouverne lui-même ; en théorie, en droit, en fait même à certain point de vue et dans certaines circonstances, tous les citoyens possèdent une part égale de souveraineté ; mais la raison qui leur est commune et le juste sentiment de l’intérêt bien entendu leur ont fait de bonne heure comprendre l’utilité d’une organisation hiérarchique ; ils ont donc détaché parmi eux un certain nombre d’hommes auxquels est exclusivement confiée l’administration des affaires publiques ; ces mandataires délégués dans l’intérêt de tous par l’autorité véritable sont seuls en évidence ; ils semblent incarner en eux la souveraineté populaire ; la louange et le blâme s’attachent exclusivement à leurs personnes ; ils n’ont pourtant, à parler rigoureusement, qu’un semblant de pouvoir ; leur démission collective ne saurait entraîner la mort du corps social, mais seulement une crise politique passagère, sans danger sérieux pour une société dont les forces vives sont restées intactes.
. — La durée, l’étendue géographique, l’origine, la filiation des conceptions sont l’affaire de la synthèse historique. […] On ne sait pas d’avance quel gouvernement ou quelle langue aura eu un peuple historique ; c’est l’affaire de l’histoire d’établir ces faits.
L’avant-propos dit encore : « L’incapacité d’une cour à manier les affaires publiques, la cruauté polie des favoris, les besoins et les affections des peuples sous leur règne ». […] Oui, on a lieu d’être choqué par l’incohérence des multiples actions enchevêtrées, mal excusée d’une fausse ressemblance avec la logique du désordre shakespearien ; oui, on est agacé par le dandysme — c’était affaire de mode — de la vertu bafouée, de l’héroïsme aboli, de l’idéal ravalé à la chimère d’une griserie de vin d’Espagne ; oui, on déplore cet impertinent chapeau sur l’oreille, ce sceptique poing sur la hanche, singerie de l’attitude Byronienne ; et, surtout, on reste navré d’un style incorrect, lâche, épars et turbulent, où il semble que la syntaxe ait la danse de Saint-Guy, où des images qui n’avaient que faire ensemble se rebiffent et se collètent en le tohu-bohu de l’extravagance, et, quand elles ne sont pas sublimes comme des trouvailles de Shakespeare ou de Hugo, sont désolamment romantiques comme les emphases des Augustus Mac-Keat et des Pétrus Borel. […] Moi-même, si je m’en souviens bien, (on ne s’attendait guère sans doute à me voir en cette affaire), j’écrivis à dix-neuf ans, en assez grand nombre, tout de suite après la Revue fantaisiste, des stances de prose rythmée, çà et là assonante, avec des retours de phrases pareils à des refrains ; et elles avaient bien la prétention d’être presque des vers.
« J’étais noyé dans l’orgueil, dit-il ; courir les filles était mon exercice journalier, et la gloutonnerie avec l’ivrognerie, mon seul plaisir ; … je prenais du plaisir à jurer et à blasphémer le nom de Dieu… Ces vanités et autres pamphlets futiles, où j’écrivaillais sur l’amour et sur mes vaines imaginations, étaient mon gagne-pain, et, à cause de tous mes vains discours, j’étais aimé de toutes sortes de gens frivoles, qui étaient mes compagnons assidus, venaient incessamment à mon logis, et là passaient le temps à trinquer, à sabler le vin, à se gorger avec moi toute la journée… » « Si je puis avoir mon contentement tant que je vis, disait-il encore, cela me suffit, je me tirerai d’affaire après la mort comme je pourrai… L’enfer, qu’est-ce que vous me parlez de l’enfer ?
La longue délibération d’Auguste, qui remplit le second acte de Cinna, toute divine qu’elle est, serait la plus mauvaise chose du monde, si, à la fin du premier acte, on n’était pas demeuré dans l’inquiétude de ce que veut Auguste aux chefs de la conjuration qu’il a demandés ; si ce n’était pas une extrême surprise de le voir délibérer de sa plus importante affaire avec deux hommes qui ont conjuré contre lui ; s’ils n’avaient pas tous deux des raisons cachées, et que le spectateur pénètre avec plaisir, pour prendre deux partis tout opposés ; enfin, si cette bonté qu’Auguste leur marque n’était pas le sujet des remords et des irrésolutions de Cinna, qui font la grande beauté de sa situation.
Mais un matin il lui prend fantaisie de faire une révolution parmi ses gens ; il appelle le beetcheti, lui ordonne de déposer son outre sur un des chariots et de l’accompagner dans un taillis voisin, avec un herbier sous le bras : « Non pas, dit l’Indien, ce n’est pas mon affaire » ; et il prononce ces paroles d’un ton très suffisant.
Quand il eut affaire au sottisier de l’époque, au satirique Barthélemy qui souvent confondait l’invective avec le ton de la polémique, quoique nos modernes Archiloques l’aient de beaucoup distancé, quel a été le plus fort, le plus mâle des deux dans ce duel de rimes ? […] Nous n’avons affaire ici ni au réalisme vulgaire ni surtout au naturalisme brutal.
Mais s’il veut aller plus loin et connaître le mécanisme intérieur de la maladie, il aura affaire à des phénomènes cachés, alors il devra expérimenter ; mais il raisonnera toujours de même. […] Il est en quelque sorte le juge d’instruction de la nature ; seulement, au lieu d’être aux prises avec des hommes qui cherchent à le tromper par des aveux mensongers ou par de faux témoignages, il a affaire à des phénomènes naturels qui sont pour lui des personnages dont il ne connaît ni le langage ni les mœurs, qui vivent au milieu de circonstances qui lui sont inconnues, et dont il veut cependant savoir les intentions. […] De même en physiologie il ne faut jamais donner des descriptions moyennes d’expériences, parce que les vrais rapports des phénomènes disparaissent dans cette moyenne ; quand on a affaire à des expériences complexes et variables il faut en étudier les diverses circonstances et ensuite donner l’expérience la plus parfaite comme type, mais qui représentera toujours un fait vrai.