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609. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

— La nature, disait-il encore, a mis dans l’âme et dans le caractère de celui qu’elle destine aux grandes actions une sorte de verve semblable à celle qui crée les chefs-d’œuvre ». Insistant sur les ressorts inexpliqués du cœur humain, sur ces mobiles d’amour-propre et d’honneur ou même de vanité, que l’orgueil de la raison s’attacha à détruire, mais que les hommes d’État savent créer et faire mouvoir, il les montrait en action sous Louis XIV, et regrettait que le temps fût passé où le grand roi, pour récompenser les services d’un maréchal de Villars, n’avait qu’à lui permettre simplement de paraître à son lever demi-heure avant les autres. […] Michaud, que cette espèce d’enchantement politique, ce mobile des grandes actions, est une des merveilles de l’ordre social ; et plus nous sommes éloignés aujourd’hui de ces idées, plus nous devons en sentir le prix. » Passant à la morale, il y suivait les mêmes formes, les mêmes jeux de l’amour-propre, et reconnaissait qu’elle a, comme la politique, « ses rubans et sa broderie : ce sont les illusions, et je n’entends par illusion que la manière d’envisager les choses sous leurs formes les plus attachantes ». […] Michaud n’avait jamais considéré sa place de lecteur du roi comme un lien ; il comprenait très bien les conditions de la presse, en ce sens que, pour avoir action sur le public, il ne faut rien accepter du pouvoir.

610. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Il assistera donc à toute la première moitié du grand drame révolutionnaire sans y prendre part ni action. […] Le comte de Provence a dit d’ailleurs, sur Marius à Minturnes, un mot juste : « La pièce est d’un genre trop austère. » Ces trois actes représentés le 19 mai 1794, sans un rôle de femme, sans trop de déclamation, et avec les touches nues de l’histoire, font honneur à la simplicité sensée du jeune poète ; il y résonne comme un mâle écho de Lucain et de Corneille : mais l’action s’y dessine à peine ; l’émotion manque, le pathétique fait défaut. […] Arnault n’est qu’une épigramme mise en action ou traduite en emblème. […] On a remarqué qu’en général il y a peu d’action, peu de drame, point de caractères dessinés, et que l’auteur n’a pas le détail fertile.

611. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

C’est que la beauté est en grande partie action, perpétuel rayonnement du dedans au dehors. […] Il y a souvent plus d’actions et de pensées décisives dans un drame qui dure vingtquatre heures et se déroule en une chambre de dix mètres carrés que, dans toute une vie humaine. […] Ceci posé, il peut arriver qu’un personnage antipathique par ses sentiments et ses actions, mais animé d’une vie intense, nous entraîne par-cette intensité de vie, en dépit de notre répulsion naturelle. […] Le moyen, pour l’art, d’échapper à ce qu’il y a de fugitif dans le conventionnel, c’est la spontanéité du sentiment individuel, alors même que ce sentiment se développe sous l’action des pensées les plus réfléchies et les plus impersonnelles.

612. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Ces œuvres sont essentiellement des ensembles de moyens d’action sur les sens, propres à susciter des émotions d’un certain ordre. […] Pour composer un roman, il faut décrire les endroits où l’action se passe, les personnages et leurs actes. […] De l’examen de chacune de ces parties de l’œuvre, comparées à celles d’autres romans, ou plutôt à un roman moyen et abstrait, il résultera de nombreuses données précises ; jointes à celles qu’on aura dérivées des moyens extérieurs précédemment énumérés, aux renseignements tirés directement de l’étude des émotions, et aux conclusions générales que l’on peut induire du choix du sujet même — action dramatique ou description d’un milieu pittoresque — ces indications donneront enfin, en se complétant et se précisant l’une l’autre, le raccourci de toutes les particularités internes ou externes de l’œuvre. […] Voir à la page 30 et plus loin, p. 77, cette définition du beau : « Le beau est une perception ou une action qui stimule la vie et produit le plaisir par la conscience rapide de cette stimulation générale » (NdA) 4.

613. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Cependant cette belle organisation porte un germe morbide : Bazarof réfléchit trop constamment ; ce travail d’introspection psychologique le conduit à des idées dangereuses, telles, que si son âme s’en laissait pénétrer, l’action et la vie lui deviendraient impossibles. […] Mais toute sa vie, quand la vieillesse arrive, se résume en ce zéro : « Des paroles, toujours des paroles, jamais d’actions. » Roulant ainsi d’entreprise en entreprise, de place en place, d’un pays à un autre, il finit par se faire obscurément et inutilement fusiller sur une barricade, à l’étranger, sans armes, et lorsque l’émeute est déjà réprimée. […] Ce qui agite et accable Roudine, c’est cette atrophie particulière de la volonté, qui provient d’une intelligence trop exclusivement développée, trop nourrie d’idées purement abstraites et par là incapables de se transformer en mobiles d’action. […] À force de contempler les petites actions d’une multitude de créatures, de suivre leur vie par le menu, d’assister à la dépense sans grand résultat du trésor de leurs forces morales, du remuement stérile dans sa discontinuité des passions et des espoirs, à ce volettement de but en but pour aboutir « au cinquième acte toujours sanglant », on ressent une sorte d’effroi et de triomphe amer.

614. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

L’action du climat paraît à première vue sans relation avec la concurrence vitale ; mais pour autant que le climat peut agir principalement en diminuant les subsistances, il cause une lutte des plus intenses entre les individus, soit de même espèce, soit d’espèces diverses, qui vivent des mêmes aliments. […] Quand on voyage du sud vers le nord, ou qu’on passe d’une région humide à une région sèche, on observe invariablement que quelques espèces deviennent de plus en plus rares, et finissent par disparaître complétement ; et le changement du climat étant quelque chose de frappant à première vue, nous sommes disposés à attribuer entièrement cette disparition à son action directe. […] Il suit de là qu’en allant vers le nord ou en gravissant une montagne, nous rencontrons plus souvent de ces formes rabougries, qui sont directement dues à l’action nuisible du climat, qu’en avançant vers le sud ou en descendant une montagne. […] Qu’on jette en l’air une poignée de plumes, et chacune d’elles tombera à terre d’après des lois définies ; mais combien le problème de leur chute est simple auprès de celui des actions et réactions des plantes et des animaux sans nombre qui ont déterminé, pendant le cours des siècles, les nombres proportionnels et les espèces des arbres qui croissent maintenant sur les ruines indiennes !

615. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Chez elle, tout tend vers un but et une action politiques, même son amour-propre, car elle est blessée de la réputation qu’on lui a trop faite d’être plus apte à la vie de la spéculation qu’à la vie active, et ce n’est pas chose à mépriser ni sans puissance que l’amour-propre des nations. […] Ne suspendit-elle pas son action ? Ne l’empêcha-t-elle pas parfois de manier avec l’énergie de ce Grégoire VII, dont l’habileté fut l’à-propos de l’audace, ces populations si admirablement disposées pour être gouvernées, puisqu’elles voyaient l’action immédiate de Dieu dans l’action des hommes qui parlaient en son nom3 ?

616. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXIX » pp. 117-125

Cependant son idée a fructifié, et aujourd’hui, sans qu’il y ait un vrai général digne de ce nom, l’armée catholique est assez bien rangée en bataille, réclamant cette liberté d’enseignement qui, une fois obtenue, lui rendrait toute sa sphère d’action et sa carrière d’avenir. […] — Cousin, toujours en quête et en action, a publié, dans la Revue des Deux Mondes du 15, un morceau inédit de Pascal sur l’amour : le morceau est beau dans sa subtilité et paraît bien authentique.

617. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

De ces causes cachées qui déconcertent nos raisonnements en pareille matière, et en compromettent si fréquemment la certitude, les plus réelles se rapportent à la nature même de l’homme et à sa spontanéité d’action. […] Quant aux hommes, il est vrai, l’historien ne s’occupe guère de les gourmander ou de les louanger à propos de chaque action, il les prend pour ce qu’ils sont, les laisse devenir ce qu’ils peuvent, les quitte, les retrouve, suivant qu’ils s’offrent ou non sur sa route, et se garde surtout de faire d’aucun son héros ou sa victime.

618. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

Que de temps, que d’études, que d’observations rectifiées l’une par l’autre, que de recherches dans le présent et dans le passé, sur tous les domaines de la pensée et de l’action, quel travail multiplié et séculaire, pour acquérir l’idée exacte et complète d’un grand peuple qui a vécu âge de peuple et qui vit encore ! […] Ainsi la créature nouvelle est à la fois stable et complète ; partant, sa structure, ses instincts et ses facultés marquent d’avance le cercle dans lequel s’agitera sa pensée ou son action.

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