/ 1097
208. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Essayez de dire que Pradon vaut Racine, qu’une comédie de Boursault a droit à la même attention, à la même admiration qu’une comédie de Molière. […] Molière disait28  : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, et si une pièce qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. » Et Racine, à son tour, répétait en écho29 : « La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. » Il suit de là que toutes les œuvres qui ont plu, qui ont été qualifiées de belles, se recommandent par cela seul à l’attention de l’histoire. […] Les drames de Victor Hugo sont moins concentrés, moins élégants, moins simples, moins psychologiques que les tragédies de Racine ; ils ont, en revanche, plus de couleur, de mouvement, de vie extérieure. […] Oui, il faut qu’il devienne en quelque sorte un être multiple, capable de se faire contemporain de Louis XIV pour goûter Racine, familier de l’Hôtel de Rambouillet pour se plaire avec Voiture, homme de la Renaissance, enivré de grec et de latin, pour entrer en communion avec Ronsard.

209. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 10, du temps où les hommes de génie parviennent au mérite dont ils sont capables » pp. 110-121

Racine fut formé dès vingt-huit ans. […] Monsieur Racine avoit à peu près cet âge, au dire de M. 

210. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Racine l’eût été de même s’il avait plus osé s’abandonner à cette admiration rêveuse qu’il ressentait, jeune écolier, en s’égarant dans les prairies et le désert de Port-Royal, et qui lui inspirait au déclin de sa vie cette aimable peinture des fleurs d’Esther. […] Tandis que Racine enfant, l’esprit tout plein de Théagène et Chariclée, ne voyait rien de plus agréable au cœur et aux yeux (comme cela est en effet) que le vallon de Port-Royal-des-Champs, les religieuses et les solitaires s’en faisaient un lieu désert, sauvage, mélancolique, propre à donner de l’horreur aux sens ; ils n’avaient pas même la pensée de se promener dans les jardins. […] Quand Racine fils, plus tard, dans son Poème de la Religion, a fait de si tendres peintures des instincts et de la couyée des oiseaux, il se ressouvenait plus de Fénelon que des pures doctrines de Saint-Cyran. […] Racine, qui était aisément caustique autant que tendre, n’échappa peut-être à ce mal d’aigreur que par la vraie dévotion. […] Il faut lire la spirituelle lettre de M. de Guilleragues à Racine sur son désappointement à la vue de cette Grèce si peu faite comme on se le figurait sous Louis XIV.

211. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Le succès fut soudain, immense, universel ; la langue de Racine était retrouvée et appliquée à l’histoire de France. […] L’athéisme et le libertinage, comme il arrive toujours, remplaçaient l’orthodoxie forcée et la piété de convenance ; la littérature impie ou légère succédait au molinisme ou au jansénisme, qui avaient enrôlé Boileau et Racine dans des partis scolastiques pour lesquels ces poëtes n’étaient pas nés. […] Ce n’était qu’une belle imitation de Sophocle, on crut avoir retrouvé Racine ; il en avait bien l’imagination, il était loin d’en avoir le style. […] Son style scénique n’est ni si mâle et si tendu que celui de Corneille, ni si parfait et si harmonieux que celui de Racine ; ce style, qui sent trop l’improvisation, la facilité, la négligence, n’a point cette solidité qui résiste au temps dans l’œuvre des beaux vers ; mais le mouvement, l’éclat, l’héroïsme, la tendresse, toutes ces qualités de surface qui séduisent l’œil et l’oreille, lui donnent un caractère voltairien indéfinissable par un autre nom que par le nom de l’auteur. […] Tout ce qu’il y a de plus immortel en lui, comme talent et comme caractère, date de Ferney, à l’exception de Zaïre et de Mérope ; mais le Siècle de Louis XIV, le Dictionnaire philosophique, l’Essai sur l’histoire et sur les mœurs des nations, cette véritable histoire universelle en fragments retrouvés sous des ruines, l’Orphelin de la Chine, Tancrède, les romans philosophiques, les contes en prose et en vers, les articles improvisés pour l’Encyclopédie, les épîtres horatiennes, les satires légères sans modèle dans l’antiquité, les stances reposées comme une eau limpide dans une coupe d’or, les lettres familières, où le vers accidentel se mêle involontairement à la prose comme l’écume pétillante au vin généreux sur les bords du verre, les Commentaires sur Corneille et Racine, la Correspondance enfin, cette véritable encyclopédie du cœur, de l’âme, de l’esprit, du bon sens, de l’amitié, du charme, des passions de ce grand homme universel, tout cela date du bord du Léman, tout cela est le fruit de ce qu’on appelle la caducité dans les hommes vulgaires.

212. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Racine fit cette jolie épigramme, dans laquelle il rapporte, à cette pièce, l’époque de l’origine des sifflets du parterre. […] Racine, Despréaux, & tous ceux qui rassuroient le peuple sçavant, par leur amour pour l’antiquité, & par leurs excellens écrits, s’abusoient aussi étrangement. […] Ses démêlés avec Racine & Despréaux l’avoient dégoûté du polémique. […] Il en use comme en ont usé depuis tous les écrivains de génie, Corneille, Racine, La Fontaine, Rousseau, M. de Voltaire. […] Racine avoit voulu traiter ce sujet : malheureusement il préfera les amours de Bérénice.

213. (1895) Hommes et livres

Mais, à l’ordinaire, c’est à Racine que Montchrétien fait songer : à Racine écrivant Esther ou Bérénice, non Bajazet ou Phèdre. […] Racine, Molière, tout le monde vous le dira Et comment plaire au public de 1630 ? […] De là la tragédie de Corneille et de Racine, si éloignée du drame synthétique de Shakespeare. […] Il est plus près de Racine que Garnier. […] Car avant Boileau, il y a Malherbe ; avant Racine et avant Corneille, il y a Hardy.

214. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Quand il disait plaisamment « qu’on marche bien plus à son aise dans une carrière où l’on a pour rivaux Chapelain, Lamotte ou Saint-Didier, que dans celle où il faut tâcher d’égaler Racine et Corneille », la médiocrité du goût public lui donnait de sérieux motifs de sécurité. […] En arrivant à des noms qu’on prononce encore avec estime, Racine le fils, Gresset, le Franc de Pompignan, Florian, Delille, Roucher, Lebrun et d’autres, je m’inquiète de ne savoir où les placer : car que d’esprit souvent bien employé, que de travail, et, pour rester en deçà de la gloire du poète, quel talent d’écrire en vers ! […] Le Racine des enfants peut servir à faire mieux goûter le Racine des hommes faits.

215. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Mais un document plus authentique et plus frappant de l’aversion de madame de Maintenon pour le système suivi contre les protestants, et de la honte qu’elle inspira au roi des excès qui continuèrent après la révocation de l’édit de Nantes, c’est la tragédie à Esther qu’elle fit composer par Racine pour la maison de Saint-Cyr, et qui y fut représentée devant le roi. […] Ce qui restait alors de la splendeur poétique de la France, c’étaient La Fontaine, âgé de 56 ans ; Boileau, de 44 ; Racine, de 41 ; Quinault, de 45. […] La tragédie, devenue si tendre par la muse de Racine, devient toute pieuse. Racine et Duché composent à l’envi des pièces bibliques.

216. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Elle n’avait pas été élevée à Saint-Cyr, elle était venue trop tôt pour cela ; mais elle en vit les commencements ; et, un jour que Racine récitait à Mme de Maintenondes scènes d’Esther qu’il était en train de composer pour cette maison, Mme de Caylus se mit à les déclamer si bien et d’une voix si touchante, que Racine supplia Mme de Maintenonde demander à sa nièce d’y jouer. […] Elle n’avait qu’un défaut, c’était de faire trop bien, de trop aller au cœur par certains accents : « On continue à représenter Esther, écrivait Mme de Sévigné à sa fille (11 février 1689) : Mme de Caylus, qui en était la Champmeslé, ne joue plus ; elle faisait trop bien, elle était trop touchante : on ne veut que la simplicité toute pure de ces petites âmes innocentes. » Mme de Caylus passe pour avoir été la dernière personne, la dernière actrice qui ait conservé la déclamation pure de Racine, le degré de cadence et de chant qui convenait à ce vers mélodieux, tout fait exprès pour l’organe d’une Caylus ou d’une La Vallière. […] On sent, même à lire ces femmes si polies, que Molière non moins que Racine a assisté de son génie à leur berceau, et que Saint-Simon n’est pas loin.

217. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Il semble qu’il y ait plus de ressemblance dans ceux de Racine, et qui tendent un peu plus à une même chose ; mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit pour la versification, qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse : exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de l’action ; à qui le grand et le merveilleux n’ont pas même manqué, ainsi qu’à Corneille, ni le touchant ni le pathétique. […] Corneille nous assujettit à ses caractères et à ses idées ; Racine se conforme aux nôtres : celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci les peint tels qu’ils sont : il y a plus dans le premier de ce que l’on admire, et de ce que l’on doit même imiter ; il y a plus dans le second de ce que l’on reconnaît dans les autres, ou de ce que l’on éprouve dans soi-même. […] Ce qu’il y a de plus beau, de plus noble et de plus impérieux dans la raison, est manié par le premier ; et par l’autre, ce qu’il y a de plus flatteur et de plus délicat dans la passion : ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des préceptes ; et dans celui-ci, du goût et des sentiments : l’on est plus occupé aux pièces de Corneille ; l’on est plus ébranlé et plus attendri à celles de Racine : Corneille est plus moral ; Racine plus naturel : il semble que l’un imite Sophocle, et que l’autre doit plus à Euripide.

/ 1097