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404. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

Il la perdit après peu d’années de mariage, et tomba dans un abattement et un désespoir qu’il crut éternel ; on lui doit cette justice qu’il fit tout son effort pour conserver et consacrer cette disposition d’âme, et il eût volontiers écrit alors à M. de Tréville, ou à tel autre de ses amis avancé dans la pénitence, cette belle parole qui résume toute la piété d’un deuil vertueux : « Priez Dieu d’accroître mon courage et de me laisser ma douleur. » On a dans plusieurs lettres de lui, et dans des réflexions écrites en ce temps-là, l’expression très naturelle et très vive de ses sentiments ; il s’écriait : Dieu a rompu la seule chaîne qui m’attachait au monde ; je n’ai plus rien à y faire qu’à mourir ; je regarde la mort comme un moment heureux… Que je me trouve jeune ! […] que je serais heureux s’il avait plu à Dieu de me réduire à l’aumône, et de me la conserver ! […] On a une lettre de lui « à un mari et à une femme qui s’aimaient fort, et qui avaient beaucoup de piété » ; il leur disait : J’ai vu les jours heureux que vous voyez ; il a plu à Dieu de me faire sentir la douleur mortelle de les voir finir ; et il lui plaît encore d’entretenir cette douleur si vive dans mon cœur… Tous mes jours sont trempés dans le fiel ; je ne me repose que dans la pensée de la mort, et, ce que Dieu seul peut faire, au milieu de tout cela je suis heureux, sans perdre rien de ma douleur. Personne ne saurait connaître la douceur qu’il y a à s’affliger et à sacrifier sa douleur à Dieu, que ceux qui l’ont sentie. […] Toutes les religions se tiennent, et celle envers Dieu venant à lui manquer ne faisait qu’annoncer que son culte pour la mémoire de Marianne allait finir.

405. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

Les lettres de ce temps que Henri adresse à M. de Saint-Geniez, son lieutenant général en Béarn et l’un de ses meilleurs serviteurs, montrent à quel point il commence à s’occuper sérieusement de ses affaires, et, à cet âge de trente-trois ans où il est arrivé, à devenir tout à fait l’homme de conseil et de maturité qu’il sera depuis : « N’accomparez plus les actions de feu Monsieur (le duc d’Alençon) aux miennes ; si jamais je me fiai en Dieu, je le fais à cette heure ; si jamais j’eus les yeux ouverts pour ma conservation, je les y ai. […] Pardonnez mon amour, qui me rend si audacieuse de vous parler si librement… Il vaudrait mieux perdre vingt mille hommes que régner au plaisir des rebelles… Pour l’amour de Dieu, ne dormez plus ce trop long sommeil. […] Et il touche un coin de défaut de la comtesse, qui nous est également attesté par les contemporains : si elle était capable d’affaires et de dévouement utile, elle l’était aussi de rancunes et d’intrigues ; elle en voulait à ceux des serviteurs de Henri qu’elle jugeait opposés à elle et à son influence, à Castille, à d’Aubigné : Faites, pour Dieu ! […] Je ne sais comme je les puis supporter (22 janvier 1588). » Et le 8 mars : Dieu sait quel regret ce m’est de partir d’ici sans vous aller baiser les mains ! […] Voyez les œuvres de Dieu envers ceux qui se sont toujours fiés en lui… Je me porte très bien, Dieu merci ; vous jurant avec vérité que je n’aime ni honore rien au monde comme vous ; et vous garderai fidélité jusques au tombeau.

406. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Qu’est-ce donc si ce saint, aux yeux de la foi et de la conscience, est le saint des saints, si c’est une des personnes de Dieu ? […] Je ne m’explique pas qu’un homme tel que l’auteur me dépeint Jésus puisse être si divin sans être Dieu, au moins en bonne partie. […] En vérité, l’auteur paraît n’avoir eu qu’un but : arracher au fondateur du christianisme sa démission de Dieu. Ce point obtenu, il se montre coulant avec lui sur les indemnités et les éloges, il ne marchande pas ;  pourvu qu’il défasse le Dieu, ce lui est égal de surfaire l’homme. […] Michelet, Quinet, George Sand dans quelques-unes de ses productions, poussaient au prosélytisme et à chercher je ne sais quel Dieu, mais un Dieu.

407. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

L’auteur commence par rechercher historiquement les idées générales, universellement répandues dans l’Antiquité, de sacrifice, d’offrande, de désir et de besoin de communication avec un Dieu toujours présent, qui ont servi de préparation et d’acheminement au mystère ; mais, au milieu des digressions historiques et des distinctions dogmatiques fines ou profondes, il mêle à tout moment de belles et douces paroles qui sortent de l’âme et qui sont l’effusion d’une foi aimante. […] Partout où Dieu place des intelligences capables de le servir, là se trouve la faiblesse, et là aussi l’espérance. […] Et la palme, et le phare, et l’oiseau qui s’envole                    Au sein de Dieu ; Jonas, après trois jours, sortant de la baleine,                    Avec des chants, Comme on sort de ce monde après trois jours de peine                    Nommés le temps. […] Rappelez-vous, à chaque loterie, Que tous nos jours sont un frivole jeu, Si l’on ne gagne, au soir de cette vie, Un lot tombé du grand trésor de Dieu. Si Dieu préside à vos heures légères, Ce jeu du soir est un temps bien passé, Et, du matin rejoignant les prières, Finit le jour comme il a commencé.

408. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

À ces heures-là, Dieu merci ! […] Nous n’avons pas, à Dieu ne plaise ! […] à Dieu ne plaise ! […] Dieu merci ! […] Grand Dieu !

409. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Si vous sortez du Parthénon chrétien, le temple de Saint-Pierre de Rome, écrasé par la masse, l’immensité, la majesté, la divinité de ces édifices, véritables temples de l’infini, qui semble avoir été construit pour faire comprendre et adorer deux des attributs de Dieu, l’espace et la durée, rendus sensibles, et si vous voulez résumer en un seul nom d’homme vos impressions confuses pour reporter cette merveille à son principal auteur, c’est le nom de Michel-Ange qui tombe de vos lèvres : l’architecte de Dieu ! […] Vous savez comment mon pauvre Urbin est mort : ce qui a été tout à la fois pour moi une grande grâce de Dieu et une grande et infinie douleur. La grâce de Dieu a été que, puisqu’il veut que je vive encore ici-bas, il m’a enseigné par cette mort à mourir moi-même non-seulement sans regret, mais encore avec un immense désir de mourir. […] La douleur la tint muette pendant sept ans, n’exhalant ses gémissements que devant Dieu et devant l’image de son époux dans des poésies comparables aux Tristes d’Ovide, mais où le sentiment a l’amertume des larmes et l’onction de la prière. […] Il fit approcher son confesseur, son médecin, ses élèves favoris, et leur dicta en trois lignes son testament : « Je donne mon âme à Dieu, mon corps à la terre, mon bien à mes proches.

410. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

En réalité, il était déjà « en route » vers Dieu. Car, lorsque l’on croit à Dieu assez pour le maudire, c’est bien simple : autant l’adorer. […] Or, le fond, c’est le monde considéré comme le champ de bataille de Dieu et du démon ; c’est la foi au surnaturel continu, au miracle chronique, à l’action directe et personnelle de Dieu sur les âmes et au jeu de la réversibilité des mérites. […] » Qu’importe, si l’âme croyante reconnaît à son Dieu, et à Celle qui lui porte nos prières, le droit de paraître agir arbitrairement ? […] C’est le croyant qui crée, par son amour, la justice de son Dieu.

411. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Dieu prodigue ses biens A ceux qui font vœu d’être siens. […] Dès cette époque, elle avait l’habitude de mêler Dieu à toutes choses, à celles même auxquelles sans doute il aime le moins à être mêlé. […] « Lézay prétend (dit Chênedollé) que Mme de Krüdner, dans les moments les plus décisifs avec son amant, fait une prière à Dieu en disant : Mon Dieu, que je suis heureuse ! […] Oui, mon amie, le Ciel a voulu que ces idées, que cette morale plus pure se répandissent en France, où ces idées sont moins connues… » En écrivant ainsi, elle avait déjà oublié ses propres ressorts humains, et elle rendait grâce de tout à Dieu. […] Ce n’est donc point ce qui plaisait qu’on quitte en changeant de vie, c’est ce qu’on ne pouvait plus souffrir ; et alors le sacrifice qu’on fait à Dieu, c’est de lui offrir des dégoûts dont on cherche, à quelque prix que ce soit, à se défaire195.

412. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Il ne soupçonnait pas ce qui fait la sainteté des gouvernements ; car il ne voyait pas Dieu dans les hommes, mais le hasard. […] Il est plein d’imperfections, sans doute, parce que c’est un homme d’un talent borné qui l’a écrit ; mais il est plein de leçons, parce que c’est Dieu qui les donne. […] Il prétend se mettre à la place de Dieu. […] Dieu a mis ce prix à la germination et à l’éclosion de ses desseins sur l’homme. […] Elle ressemble au drame antique, où, pendant que le narrateur fait le récit, le chœur du peuple chante la gloire, pleure les victimes et élève un hymne de consolation et d’espérance à Dieu ! 

413. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

La religion est un commerce établi entre Dieu et les hommes, par la grâce de Dieu aux hommes, et par le culte des hommes à Dieu. Les âmes élevées ont pour Dieu des sentiments et un culte à part, qui ne ressemble point à celui du peuple : tout part du cœur et va à Dieu. […] Elle poussa jusqu’au bout la maladie de l’esprit, car elle choisit pour confesseur l’abbé Couet, qui avait beaucoup d’esprit et qui était connu pour tel. » Mme de Lambert, qui ne se séparait pas volontiers de sa raison et de sa pensée, même dans ces choses de religion, a trouvé de belles paroles à la fin de ce même Traité de la vieillesse, lorsqu’elle a dit : Enfin, les choses sont en repos, lorsqu’elles sont à leur place : la place du cœur de l’homme est le cœur de Dieu. Lorsque nous sommes dans sa main, et que notre volonté est soumise à la sienne, nos inquiétudes cessent… Il n’y a point d’asile plus sûr pour l’homme, que l’amour et la crainte de Dieu. […] La voici, telle qu’on la trouve à la fin de la Vie de l’abbé de Rancé, par Marsollier : « Les choses sont en repos lorsqu’elles sont dans leur place et dans leur situation naturelle ; celle de notre cœur est le cœur de Dieu, et lorsque nous sommes dans sa main et que notre volonté est soumise à la sienne, il faut par nécessité que nos inquiétudes cessent, que ses agitations soient fixées, et qu’elle se trouve dans une paix entière et dans une tranquillité parfaite. » 27.

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