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17. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

M. de Metternich répondit qu’il n’en voyait aucun, et qu’il ne demandait autre chose sinon qu’on apprît au fils de Napoléon, sur ces grands événements historiques, la vérité tout entière. […] Il termina cette espèce de cours par un récit des événements de 1830. […] En envisageant ces événements de 1830, le sentiment de sa destinée et de son droit se réveillait en lui comme malgré lui-même. […] Disons tout le gouvernement de Juillet n’était pas, à l’égard de l’opinion, en position de combattre le préjugé populaire qui régnait encore sur les événements de 1814, et particulièrement sur ceux de 1830, dont il était issu. […] Le maréchal, qui, en vieillissant, avait gardé tout son feu, sa vivacité d’impression et d’intelligence, vécut assez pour apprendre et juger les derniers événements qui ont changé le régime de la France.

18. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Sans cela vous avez un annaliste, un compilateur d’événements et de dates, mais un historien, non. […] Thiers, qui dénigre la poésie, est un grand poète, d’autant plus grand qu’il fait parler les événements au lieu de parler lui-même. […] Ici il les grandit à dessein très au-dessus des proportions vraies de l’événement. […] L’historien, et c’est un des éloges qu’on lui doit, court à travers le siècle avec la rapidité des événements. […] Thiers est l’historien des événements ; il les prépare, il les éclaire, il les groupe, il les accomplit avec un art sans égal ; mais les événements sous sa main ressemblent un peu trop à des abstractions ; l’homme y manque, et l’homme cependant est l’âme de l’événement.

19. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Un événement singulier les fit changer de dessein, et les conduisit à Constantinople. […] De grands événements remplissent ce siècle. […] La grandeur des événements et des hommes, et la délicatesse relative des mœurs, lui ont imprimé un caractère particulier. […] Mais il ne porte pas la vraisemblance dans les causes secrètes des événements, ni dans l’appréciation des motifs qui ont fait agir les hommes. […] Ses réflexions sur cet événement, le plus considérable du xve  siècle, sont graves et éloquentes.

20. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Ainsi Tacite, s’imposant la loi de faire l’histoire du monde romain année par année, raconte d’abord l’histoire extérieure, les campagnes, les guerres, les révoltes, puis l’histoire intérieure, les événements du palais impérial, et les affaires du sénat, enfin les menus incidents, les singularités, les circonstances secondaires, ce qu’on peut appeler les faits-divers de la vie romaine : et dans tous ces morceaux juxtaposés, il n’empiète guère d’une année sur l’autre. […] Souvent un autre fait sera mieux dans son jour étant mis en arrière : en se présentant plus tard, il viendra plus à propos pour faire naître d’autres événements. C’est ce que Cicéron compare au soin qu’un homme de bon goût prend pour placer de bons tableaux dans un jour avantageux. » On combinera donc les événements moins selon leur place sensible dans le temps et dans l’espace que selon leur liaison intime. […] Tout ce qui ne commence pas, ne se développe pas, ne s’achève pas dans les limites d’une année, ne laisse qu’une impression confuse, à moins que par un travail qui veut du temps et de la patience on ne rejoigne les tronçons épars de l’événement démembré par la chronologie. […] Le dialogue que demandent la logique des événements et la nature intime des individus, n’est pas celui que composent dans le monde les circonstances, les convenances et l’intérêt : ce qui est philosophique et vrai n’a guère l’air de la vie et de la réalité.

21. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

On peut donc, faute d’un meilleur nom, dire, avec Condillac, que l’événement intérieur primordial qui constitue nos connaissances est la sensation. — Mais il faut remarquer que ce nom désigne simplement son état le plus notable, qu’en cet état elle n’est qu’un total, que ce total est une suite ou un groupe de sensations élémentaires, elles-mêmes composées de sensations plus élémentaires, qu’à côté de celles-ci les actions réflexes en indiquent d’autres rudimentaires également inaccessibles à la conscience, qu’ainsi l’événement intérieur primordial va se simplifiant et se dégradant à l’infini hors de notre portée et de nos prises. […] Il faut remarquer enfin que les noms de force et de substance, de moi et de matière ne désignent que des entités métaphysiques, qu’il n’y a rien de réel dans la nature sauf des trames d’événements liés entre eux et à d’autres, qu’il n’y a rien de plus en nous-mêmes ni en autre chose. — C’est pourquoi, pour se faire une première idée de l’esprit, il faut se représenter une de ces trames, et poser que, connue par deux procédés différents, la perception extérieure et la conscience, elle doit apparaître forcément sous deux aspects irréductibles, mais d’inégale valeur, c’est-à-dire morale à l’endroit et physique à l’envers. — L’événement primordial ainsi dégagé et déterminé, il faut maintenant avec lui construire le reste. […] Comment des événements intérieurs comme ceux qu’on a décrits parviennent-ils à les former ? […] Or les éléments de toute connaissance sont les événements que nous avons étudiés, signes, images, sensations. […] La maladie dégage l’événement interne et le montre tel qu’il est, à l’état de simulacre coloré, intense, précis et situé.

22. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Voilà ce qu’on a trop oublié quand il s’est agi d’écrire l’histoire, et principalement de la Révolution française, l’immense événement moderne dont tous les esprits contemporains sont encore remplis et troublés. […] Contingente, comme l’occasion qui lui a donné naissance, la Révolution française, qu’on nomme un événement aux racines éternelles, et dont l’horrible fleur devait s’épanouir à l’heure dite et prévue, aurait très bien pu ne pas être. […] Fascinés par ce triple charme, ils avaient presque consenti à reconnaître aux événements et aux hommes de ce temps de perdition je ne sais quelle supériorité mystérieuse. […] Après les événements, les hommes ; c’était la marche naturelle de l’historien. […] Et, je l’ai dit ailleurs, à côté de l’intérêt de la vérité en elle-même, il en est un autre dû aux circonstances et qui donne au livre de Cassagnac une importance d’opportunité qui tient réellement de l’événement politique.

23. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Voix intérieures » (1837) »

Si l’homme a sa voix, si la nature a la sienne, les événements ont aussi la leur. […] Le foyer, qui est notre cœur même ; le champ, où la nature nous parle ; la rue, ou tempête, à travers les coups de fouet des partis, cet embarras de charrettes qu’on appelle les événements politiques. […] Sans parler même ici de son influence civilisatrice, c’est à lui qu’il appartient d’élever, lorsqu’ils le méritent, les événements politiques à la dignité d’événements historiques.

24. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Prenez, en effet, les événements, les péripéties, les grands chocs, les causes mystérieuses ou visibles, absolues ou secondaires, les empêchements, les choses, comme disent les esprits vagues, la fatalité des circonstances, comme disent les esprits hébétés, les idées, enfin, comme répètent à leur tour les mystiques brouillons d’un panthéisme confus, c’est-à-dire prenez tout ce qui constitue l’Histoire, et cherchez résolument si tout cela cache rien de plus, sous un mouvement gigantesque ou une ruine immense, que la toute petite créature qui s’appelle l’homme, que cette vieillerie du cœur humain dont le programme est toujours à reprendre et qu’on ne connaît jamais assez ! […] Nous devons donc le croire, l’illustre historien s’est dit que des biographies n’étaient, en somme, ni moins importantes, ni moins nécessaires, que le récit des événements avec leur développement grandiose, et que là surtout, au contraire, était l’interprétation la plus intime de ces événements, le secret de l’humaine et divine comédie. […] À part des jugements sur la légitimité de la Révolution anglaise que toutes les croyances de mon âme m’empêchent d’accepter, même de la main respectée de Guizot, nul, je dois en convenir, ne fera mieux connaître jusque dans ses détails cette Révolution d’Angleterre, de tous les événements humains celui peut-être qui a le plus influé sur l’ensemble de sa pensée, à lui, et la direction de sa vie. […] Avec les événements et les préoccupations actuelles, que serait un livre signé du plus grand nom, s’il ne se rattachait pas aux préoccupations qui nous tiennent asservis et aux événements qui nous poussent ?

25. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Sans doute, en le lisant, il est bien vrai qu’on sent naître en soi une idée de nécessité qui subjugue ; dans l’entraînement du récit on a peine à concevoir que les événements aient pu tourner d’une autre façon, et à leur imaginer un cours plus vraisemblable, ou même des catastrophes mieux motivées ; la nature humaine, ce semble, voulait que les choses se passassent dans cet ordre, que les partis se succédassent dans cette génération ; étant donnée chaque crise nouvelle, on dirait qu’on en déduit presque irrésistiblement la suivante, et qu’on procède à chaque instant par voie de conclusion, du présent à l’avenir : non pas, au moins, que dans sa manière purement narrative ; M.  […] Or, cette disposition du lecteur à accepter les événements comme des effets inévitables de causes connues, et à s’y résigner, doit-elle être reprochée à l’écrivain ? […] Mais d’ordinaire tant de causes nous échappent dans les événements humains ; et de celles que nous entrevoyons, un si grand nombre sont inappréciables de leur nature, que leur liaison avec les effets reste nécessairement indéterminée ; que d’un fait à un autre on ne peut assigner souvent d’autre rapport que celui d’être venu avant ou après, et qu’alors ce qu’a de mieux à faire l’historien est de s’en tenir scrupuleusement à l’empirisme d’une narration authentique. […] L’homme, en effet, par les déterminations soudaines dont il est susceptible, peut à tout moment faire intervenir dans les événements auxquels il prend part une force nouvelle, imprévue, variable, qui dans beaucoup de cas en modifie puissamment le cours, et dont en même temps l’ordinaire mobilité ne permet pas l’exacte mesure. Que si cependant, par suite de certaines circonstances, l’homme ou plutôt la majorité des hommes qui forment une société vient à se prendre d’une passion unique et violente ; si cette société, comme il arrive en temps de révolution, en proie à une idée fixe, s’obstine à ce qu’elle prévaille, et, irritée des obstacles, n’y répond que par une volonté d’une énergie croissante, n’est-il pas évident alors que l’historien peut et doit tenir compte de cette disposition morale, désormais ordonnatrice toute-puissante des événements, la mêler à chaque ligne de ses récits, et les pénétrer, les vivifier tout entiers de cette force des choses, qui n’est après tout que la force des hommes ?

26. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

L’historien politique juge les hommes et les événements, l’historien des lettres ou des arts juge les œuvres, l’historien de la philosophie juge les systèmes. […] En effet, tout événement n’est pas historique, tout homme n’est pas historique. L’histoire ne choisit que les événements et les lieux qui ont un certain caractère de généralité. […] A la sèche histoire du moyen âge, à la chronique conteuse et naïve de Joinville et de Froissart ont succédé d’abord les grandes imitations de l’antiquité, à savoir les récits oratoires et politiques ; puis on est arrivé à penser que les événements intérieurs de la vie d’un peuple ont un intérêt non moins grand que les événements plus palpables de la politique et de la guerre. […] Sans doute les événements extérieurs ont un éclat qui frappe tous les yeux ; mais pour ceux qui aiment la pensée, quel plus grand événement qu’une grande idée, une vue originale sur la nature des choses ?

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