Je ne poursuivrai pas cette énumération, messieurs, pour le v e siècle : qu’il suffise de signaler Salvien, prêtre de Marseille, puissant dans l’accusation et dans l’invective, éloquent et déclamatoire, et Sidoine Apollinaire, évêque et politique, qui mêle un reste d’Ausone à la littérature chrétienne, — tous deux témoins curieux, expressifs, des malheurs et des mœurs du temps, et le dernier surtout (Sidoine), dont les ouvrages sont le répertoire le plus complet pour faire retrouver au vrai et pour nous représenter la société de ces âges dans sa civilisation raffinée encore, bien qu’expirante. […] Ce jeune savant, mort en 1836 à l’âge de vingt-neuf ans, n’eut point la satisfaction de publier lui-même ses recherches : ce furent ses amis qui prirent ce soin et qui donnèrent son livre, resté imparfait, en 1839. […] Mais c’est surtout dans ce qu’il dit de la langue pour les siècles suivants, pour la fin du xive et pour le xve siècle, dans cet âge de la farce de Pathelin, qu’il a eu de bonnes observations de détail, et qu’il a ressaisi par endroits le fil de la tradition. […] Victor Le Clerc, qui y est autre chose encore qu’un modérateur et arbitre, qui est un travailleur zélé et qui a su trouver pour les monuments de nos vieux âges une flamme égale à celle qu’il eut jadis pour Cicéron ; quand je vois M. […] Ces fruits de la littérature dumoyen âge, nous y atteindrons le plus tôt possible ; après avoir passé par les rudiments indispensables et nous être rendu compte, seulement pour la bien comprendre, de la question primordiale et de formation, nous arriverons après deux ou trois journées, nous nous arrêterons devant les premiers monuments, et de ceux-ci nous passerons à d’autres, et ainsi de suite sans plus cesser, en quête par-dessus tout de l’excellent : car, encore une fois, nous sommes ici pour professer la langue, la littérature cultivée, perfectionnée, celle qui ne reste pas à l’état acéphalique, anarchique, mais qui a une tête, qui, maîtresse d’elle-même, se gouverne, réagit en tous sens et s’impose, qui enfin, comme la race et comme l’esprit français qu’elle représente, a et gardera longtemps, nous l’espérons, son unité, sa grandeur et son empire.
« M. de Chenonceaux et M. de Francueil ont mangé 7 ou 8 millions d’alors237. » — « Le duc de Lauzun, à l’âge de 26 ans, après avoir mangé le fonds de 100 000 écus de rente, est poursuivi par ses créanciers pour près de 2 millions de dettes238 » « M. le prince de Conti manque de pain et de bois, quoiqu’il ait 600 000 livres de rente » ; c’est qu’il « achète et fait bâtir follement de tous côtés239 ». […] S’ils y couchent, ils n’en sont pas moins négligés. « Je fus confié, dit le comte de Tilly, à des valets et à une espèce de précepteur qui leur ressemblait à beaucoup d’égards. » Pendant ce temps son père courait. « Je lui ai connu, ajoute le jeune homme, des maîtresses jusqu’à un âge avancé ; il les adorait toujours et les quittait sans cesse. » Le duc de Biron juge embarrassant de trouver un bon gouverneur à son fils : « c’est pourquoi, écrit celui-ci, il en confia l’emploi à un laquais de feu ma mère, qui savait lire et passablement écrire, et qu’on décora du titre de valet de chambre pour lui donner plus de considération. […] J’étais d’ailleurs comme tous les enfants de mon âge et de ma sorte : les plus jolis habits pour sortir, nu et mourant de faim à la maison253 », non par dureté, mais par oubli, dissipation, désordre du ménage ; l’attention est ailleurs. […] Un autre, du même âge, réplique à une question du prince Henri de Prusse par un agréable impromptu en vers258. […] Rien n’étouffe cette gaieté, ni l’âge, ni l’exil, ni le malheur ; en 1793, elle durait encore dans les prisons de la République Un homme en place n’est point alors gêné par son habit, raidi par son emploi, obligé de garder l’air important et digne, astreint à cette gravité de commande que l’envie démocratique nous impose comme une rançon.
À l’âge de quinze à vingt ans, à cette époque de l’existence où l’horizon de la vie est tout voilé d’une brume chaude qui noie et qui colore les contours secs de toutes choses ; à ce moment où la vie, commencée sans qu’on en aperçoive le terme, paraît longue comme l’infini ; à cette heure où cette vie n’a pas dit encore son dernier mot à l’adolescent qu’elle caresse ; à cette minute où l’amour, qui n’est au fond que l’éternité de la vie, déborde du cœur dans les sens et des sens dans le cœur, comme un océan de cette vie qui baigne tous les objets et qui les transfigure ; à cette période de votre jeunesse, disons-nous, avez-vous jamais voyagé en Italie, en rêvant, éveillé, la félicité d’Éden sous le ciel d’été de la campagne de Naples ou de Rome ? […] L’expression de ce bel adolescent qui gouverne les bœufs est fière, pensive et mâle ; son front est encadré dans des boucles épaisses de cheveux noirs ; ses cheveux sont surmontés d’une calotte brune ; il penche l’oreille d’un côté pour écouter la zampogna des pfifferari ; il regarde, de l’autre côté, un groupe de trois femmes de différents âges qui marchent près des roues pour ramasser les épis tombés du char. […] XXI Un homme d’un âge plus mûr, quoique jeune encore, est assis, les jambes pendantes, sur la croupe du second buffle : c’est le gendre du père de famille ; sa femme est derrière lui, debout sur le plancher du chariot ; adossée aux ridelles, elle tient entre ses mains un petit enfant de trois mois, emmailloté comme une chrysalide. […] XXXIV En face de ce groupe, et plus rapprochés du navire, sont deux hommes de mer dans la vigueur de l’âge et de la rude profession. […] Elle ne dit plus rien ; elle est déjà morte, morte d’angoisse autant que de maladie, sans avoir revu ni son mari, compagnon encore robuste de sa longue vie, ni ces deux petits garçons, ces derniers-nés lancés à la mer avant l’âge. — Et que dit l’ensemble de toutes ces figures et de toutes ces physionomies répercutées les unes sur les autres ?
Nous avons de ce grand homme d’excellents portraits à tous les âges. […] Je ne vois guère que Raphaël, dans les portraits de son adolescence, qui puisse lutter avec cette sévérité rayonnante d’un visage humain ; mais Raphaël devait mourir jeune, et Goethe devait mourir vieux, après avoir passé sans se flétrir par tous les âges et en empruntant successivement au contraire tous les genres de beauté à chacun des âges de la vie. […] L’enfance de Goethe, sur laquelle il s’appesantit trop dans ses Mémoires, à l’exemple de Jean-Jacques Rousseau dans ses Confessions, ne mérite pas d’être regardée avant l’âge où les sensations deviennent des idées. […] Des jeunes gens de son âge, mais d’une condition très inférieure à la sienne, l’entraînèrent dans des compagnies suspectes des faubourgs de Francfort. […] De ce pacte imaginaire, que les peuples enfants ont cru quelquefois réalisé, sont nées les légendes innombrables qui ont épouvanté le moyen âge et amusé plus tard les âges suivants.
C’est une des mille stupidités de l’âge ingrat. […] Stendhal n’est pas de ce siècle (« Je serai compris en 1880 »), et pas plus Baudelaire : eux deux enfantent par l’admirable, le prodigieux Symbolisme, ce xxe siècle, qui nous annonce un nouvel âge classique. […] Tout ce qu’il a produit nous a émus plus que ne le pourrait faire l’œuvre d’aucune autre époque, et nous n’avons reconnu dans la suite des âges que des égaux aux hommes qui composent son personnel. […] Gonzague Truc Certes on ne saurait croire qu’un âge qu’ont illustré Lamartine, Taine, Renan et, sur le tard, M. […] Ce fut l’âge des théories audacieuses, des curiosités impatientes, des recherches passionnées… Or, voilà qui est admirable et prodigieux, à tant d’ébauches, la France donne une forme et une voix.
« Lors même », dit-il dans ces beaux vers que Virgile n’aurait pas désavoués, « lors même que notre intelligence conserverait, dans l’âge avancé, toute la vigueur de l’âme, ne faut-il pas, hélas ! […] Vérité, clarté, propriété, sobriété saine, sens spirituel et juste dans une image naturelle et proportionnée au sens, harmonie des vers sans mollesse, brièveté de la phrase poétique qui ajoute à sa vigueur, trait inattendu qui frappe avant d’avoir averti, peu d’élan, mais une marche vive et sûre qui va droit au but et qui ne trébuche jamais ; en un mot toutes les qualités, non d’un grand poète, mais d’un grand manieur de la langue poétique, voilà ce qui distingua à l’instant ce jeune homme et qui donna à sa jeunesse l’autorité d’un âge avancé. […] L’âge lui apportait, comme à Voltaire, ce qu’il emporte souvent aux esprits sans longévité, la flexibilité assouplie et l’habile négligence, ces grâces du génie au repos. […] Maintenant que le temps a mûri mes désirs, Que mon âge, amoureux de plus sages plaisirs, S’en va bientôt frapper à son neuvième lustre, J’aime mieux mon repos qu’une fatigue illustre. […] Quand on a lu Ronsard, Malherbe, les imitations bibliques de Jean-Baptiste Rousseau, quelques strophes de Pompignan, quelques stances inimitées et inimitables de Gilbert, quelques odes vraiment pindariques de Lebrun, enfin les odes d’Hugo et de ses contemporains de notre âge, on ne peut plus dire que le Français n’a pas l’âme lyrique.
Reconstitutions et pastiches nous entraînent par-delà les âges, de Sparte (L’Amant légal du comte A. du Bois) à Mitylène (Sapho de Nonce Casanova) avec de longs détours dans la légende. […] Nous citons : « Au-delà de la rude clarté des landes rouges, au-delà des peuples d’oliviers, vers les confins de la mer bleue, jaillissait dans la splendeur géante et lourde qui couronnait l’entassement de ses âges, Marseille ! […] Ce n’est pas que ses romans n’aient de fort remarquables qualités, l’Âge où l’on s’ennuie et les Pigeons d’Argile sont des livres qui ne pouvaient passer inaperçus. […] Notre âge nous interdisait de tels procédés qui peuvent amuser un Aristarque moins jeune et plus désabusé que nous… XIII. — Primes et prix Depuis quelques années, les primes d’encouragement se sont multipliées en faveur des jeunes littérateurs. […] Salomé, par dessus les âges, sur l’azur du ciel de Galilée, belle comme la rêva Gustave Moreau, belle comme au jour où elle demanda la tête de Jean, s’empare de l’imagination maladive de Pierre Servain, être chétif et disgracié, grandi parmi les objets pieux, statuettes et missels.
Il voudrait le voir s’émanciper enfin, ne plus être soumis toujours ni docile à l’excès et subordonné ; il l’excite à prendre sur lui et à user de toute l’étendue des pouvoirs qu’il a en main, pour le bien du service : « Un prince sérieux, accoutumé à l’application, qui s’est donné à la vertu depuis longtemps, et qui achève sa troisième campagne à l’âge de vingt-sept ans commencés, ne peut être regardé comme étant trop jeune pour décider. » Le duc de Bourgogne lui répond avec calme, avec douceur, peut-être même avec raison sur certains détails, mais sans entrer dans l’esprit du conseil qui lui est donné ; et, quand il a tout expliqué et froidement, un scrupule d’un autre genre le prend, et il dit à Fénelon dans une espèce de post-scriptum : « Je me sers de cette occasion pour vous demander si vous ne croyez pas qu’il soit absolument mal de loger dans une abbaye de filles : c’est le cas où je me trouve. […] Il est dit de Salomon qu’on le craignait, voyant la sagesse qui était en lui. » Jusqu’à la fin il se méfie, et il combat dans son élève ce qui a été une habitude invétérée jusqu’à l’âge de vingt-huit ans, le trop de raisonnement, le trop de spéculation opposé à l’action, et une certaine complaisance minutieuse et petite, soit dans le sérieux, soit dans le délassement : « Les amusements puérils apetissent l’esprit, affaiblissent le cœur, avilissent l’homme, et sont contraires à l’ordre de Dieu. » Fénelon, dans toute cette description morale, ne marchande point sur l’expression. […] Habert, à faire un extrait de la vraie doctrine de saint Augustin, le Fénelon qui déclare « que les libertés de l’Église gallicane sont de véritables servitudes », qui craint la puissance laïque bien plus que la spirituelle et l’ultramontaine, et qui redoute le danger d’un schisme tout autant que l’invasion de la France, ce Fénelon n’est pas celui que les philosophes de l’âge suivant ont façonné et remanié à leur gré.
Son père, passant avec lui à Amboise où les têtes des conjurés étaient encore exposées aux potences, lui mit la main sur la tête et lui fit faire, dès l’âge de huit ans et demi, une sorte de serment d’Annibal. […] Il gardait au cœur, en toutes ses licences, un coin de puritain qui persista sans jamais tuer le vieil homme, et qui gagna seulement avec l’âge. […] D’Aubigné voyait dans ce dévouement et cette vaillance une preuve du bon droit : « Il arrive peu souvent, pensait-il, que l’injustice ait les meilleures épées de son côté, parce que c’est la conscience qui émeut la noblesse et la porte aux extraordinaires dépenses, labeurs et hasards. » D’Aubigné, si on l’avait pressé, eût peut-être été dans l’embarras de fixer ce beau temps où l’épée de la noblesse était toujours pour le parti le plus juste ; dans les souvenirs de la fin de sa vie, il confond involontairement ce temps idéal avec celui de sa jeunesse, le bel âge pour tous : quand il devint vieux, il ne fut pas des derniers à crier à la décadence.
J’ai vu les hautes Alpes, je les ai vues dans ma première jeunesse, à cet âge où l’on voit tout plus beau et plus grand que nature ; mais ce que je n’y ai pas vu, c’est la livrée des sommets les plus élevés revêtue par une montagne secondaire. […] Elle nous le montre aussi au naturel dans sa conversation et dans sa personne : « On aurait dit que l’âge accroissait encore le feu de ses discours et de ses regards ; et jusqu’à ses derniers moments, ses proportions légères, son tempérament sec, la vivacité de ses mouvements, ont rappelé le peintre des montagnes. » En ce qui était des hommes, des personnages en scène, il les jugeait bien et les marquait en les jugeant ; sa conversation était gaie, piquante ; il avait de ces mots qui restent, du caustique, le trait prompt et continuel4. Ramond mourut le 14 mai 1827, à l’âge de soixante-douze ans.