Lebrun, entre les divers poètes de notre âge ou de l’âge précédent, est particulière, et je la rappellerai en peu de mots. […] Dès l’âge de douze ans, élève du Prytanée de Saint-Cyr, il versifiait et faisait des couplets pour les fêtes et solennités scolaires. […] Il y a en nous comme deux amis, comme deux frères, d’âge inégal, inégaux surtout de précocité et d’humeur : le premier, le plus vif et le plus prompt, si ardent, qui commence sitôt, qui s’ébat si joyeux, qui se lasse avant l’autre ; le second plus lent, plus engourdi dans la jeunesse, qui se décide tard, qui procède pas à pas, gagne du terrain peu à peu et reprend l’avance au milieu du chemin. […] Comme toute autre maîtresse La Muse aime la jeunesse ; Et mon front s’agrandit, et l’âge sérieux De cheveux grisonnants sème mes noirs cheveux !
Il a causé, disserté, avec des amis de son âge, avec des artistes, des médecins ; il a échangé, dans de longues conversations à deux, des vues infinies sur le fond des choses, sur les problèmes qui saisissent et occupent de jeunes et hautes intelligences : il n’a pas assez vu les hommes eux-mêmes des diverses générations, des diverses écoles et des régimes contraires, et ne s’est pas rendu compte, avant tout, du rapport et de la distance des livres ou des idées aux personnes vivantes et aux auteurs tout les premiers. […] Aucun âge n’a le droit d’imposer sa beauté aux âges qui succèdent ; aucun âge n’a le devoir d’emprunter sa beauté aux âges qui précèdent.
« Au saillir de l’enfance, dit Commynes (nous dirions aujourd’hui moins gaiement : au sortir de l’enfance), et en l’âge de pouvoir monter à cheval, je fus amené à Lille devers le duc Charles de Bourgogne. » Voilà Commynes, âgé d’environ dix-sept ans, qui met le pied à l’étrier et qui entre d’emblée à l’école du monde. […] Le génie italien de cet âge l’a gagné. […] C’est donc à l’âge de trente-six ans seulement que son ambition reçut le plus rude échec et que fut interceptée sa fortune. Sa carrière de conseiller se brisa à l’âge où elle commence à peine pour les autres. […] On reconnaît là l’homme qui a couché de longues années, comme chambellan, dans leur chambre, qui a assisté à leurs insomnies et à leurs mauvais songes, et qui, depuis la fleur de leur âge jusqu’à leur mort, n’a pas surpris dans ces destinées si enviées un seul bon jour : Ne lui eût-il pas mieux valu, dit-il de Louis XI, à lui et à tous autres princes, et hommes de moyen état qui ont vécu sous ces grands et vivront sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin… : c’est à savoir moins se soucier et moins se travailler, et entreprendre moins de choses ; plus craindre à offenser Dieu et à persécuter le peuple et leurs voisins par tant de voies cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes ?
Si jamais l’âme de l’homme a pu être comparée à un courant d’eau changeant et rapide, c’est assurément de nos jours : les grands poètes de notre âge, en particulier, sont de grands fleuves, et M. de Lamartine est le plus large et le plus beau de tous. […] Il est impertinent de parler d’âge et de date à une femme, mais il est permis d’exiger ce compte exact de l’historien : la chronologie, avec la géographie, est un des yeux de l’histoire. […] M. de Lamartine aujourd’hui, si je ne me trompe, a pour le moins l’âge qu’avaient en 1814 Louis XVIII et M. de Talleyrand. […] Après l’avoir peint dans son costume ordinaire, avec ses bottes de velours, son habit de drap bleu, et avoir décrit ainsi sa tête : « Sa chevelure, artistement relevée et contournée par le fer des coiffeurs sur les tempes, se renfermait derrière la nuque dans un ruban de soie noire flottant sur son collet » (ce qui, sans périphrase, veut dire qu’il avait une queue) ; après avoir ajouté, en parlant toujours de sa tête : « Elle était poudrée à blanc à la mode de nos pères, et cachait ainsi la blancheur de l’âge sous la neige artificielle de la toilette », le peintre en vient au caractère de la personne et au visage : On eût dit que le temps, l’exil, les fatigues, les infirmités, l’obésité lourde de sa nature, ne s’étaient attachés aux pieds et au tronc que pour faire mieux ressortir l’éternelle et vigoureuse jeunesse du visage. […] En paraissant marchander, chicaner avec cette obstination la louange et la sympathie au conquérant redevenu l’héroïque soldat de la patrie, il nous oblige à nous souvenir qu’il était de ceux qui avaient âge d’homme alors, qu’il avait près de vingt-quatre ans en 1814, et qu’il ne fut pas de ces soldats improvisés que le sentiment national souleva, et qu’enfanta la terre natale autour de ce drapeau dont il a depuis préservé les couleurs.
Il avait cinquante ans et davantage ; je n’en avais que dix-neuf ; mais la disproportion de nos âges ne me faisait point de peur ; bien loin de cela, je le cherchais comme on cherche une maîtresse, et les moments que je passais auprès de lui ne me duraient guère plus qu’ils ne me durent auprès de vous (c’est à une dame que Patru adresse ce récit) ; il m’aimait comme un père aime son fils. […] Le célèbre avocat Antoine Le Maistre, après avoir rempli le Parlement de l’ardeur et du retentissement de ses plaidoyers, se retirait à l’âge de trente ans du Palais, et allait vivre en pénitent à Port-Royal (1637). […] Ne me va point dire : Turpe senex miles ; car en tout cas on peut être capitaine et conquérant à tout âge : et en amour, pourvu qu’on y réussisse, on y a toujours bonne grâce. […] Sans aucune inconduite, il avait toujours négligé sa fortune : « La Fortune, aussi bien que l’Amour, disait-il, a ses heures du Berger, mais on ne les trouve qu’avec de la persévérance et de l’assiduité. » Il avait manqué de cette assiduité et de cette patience, et, l’âge venant, il sentait toutes les gênes et les rigueurs de la pauvreté. […] On raconte que Bossuet l’étant allé voir, lui dit : « On vous a regardé jusqu’ici, monsieur, comme un esprit fort ; songez à détromper le public par des discours sincères et religieux. » — « Il est plus à propos que je me taise, répondit Patru mourant ; on ne parle dans ses derniers moments que par faiblesse ou par vanité. » Il mourut le 16 janvier 1681, à l’âge de soixante-dix-sept ans.
Galilée seul fit exception comme savant, et offrit l’instrument exact à l’âge qui succéda. […] Achetez et lisez les livres faits par les vieillards, qui ont su y mettre l’originalité de leur caractère et de leur âge. […] Ces douze années, depuis l’âge de trente jusqu’à quarante-deux ans, lui mirent le cachet dans toute son empreinte. […] Il était d’ailleurs à l’âge où l’on ne recommence plus. […] Mort en 1653, du même âge que le siècle, il n’en représentait que la première moitié, au moment où la seconde, si glorieuse et si contraire, allait éclater.
Il y avait à côté de Millevoye d’autres Millevoye plus faibles et morts également avant l’âge. […] Ou, comme un jeune poète auprès de moi l’a traduit pour les derniers vers : L’âge mûr est venu, qui ne t’a rien ôté ; Même en ton négligé, la plus jeune beauté Sous ses plus beaux habits, te cède la couronne. […] Mais ce dont surtout la postérité sait gré et tient compte, c’est de ce que trouve le talent et de ce qui naît sans peine et comme une grâce ; une strophe bien venue sur une fleur, sur un coquillage, sur un zéphyr, s’en va vivre durant des âges, et suffit à porter un nom.
« À l’âge d’homme, nous dit son nouveau biographe, nous le peignant sans fausse complaisance, il était de taille moyenne ; ses cheveux châtain foncé frisaient naturellement à partir des oreilles, surtout derrière la tête ; il les portait courts. […] Mme la comtesse Hocquart, qui l’avait beaucoup connu (morte depuis peu d’années), disait qu’il était à la fois rempli de charme et fort laid, avec de gros traits et une tête énorme. » Il n’avait que trente-deux ans à l’époque de sa mort ; il paraissait plus que son âge. […] C’est pourquoi il ne faut point voir dans la tentative d’André Chénier une renaissance gréco-latine ; c’est véritablement une renaissance française, conséquence des xvie et xviie siècles, avec cette différence que le xvie siècle avait vu la Grèce à travers l’afféterie italienne ; le xviie , à travers le faste de Louis xiv ; tandis qu’André Chénier a, dans l’âme de sa mère, respiré la Grèce tout entière ; il parle la même langue que Racine, mais trempée d’une grâce byzantine, attique même, naturelle et innée, et dans laquelle se fondent heureusement l’ingéniosité grecque et la franchise gauloise. » Certes, André Chénier n’a pas réussi partout ; plus d’une pièce de lui trahit des inexpériences sensibles ; il y a des différences d’âge entre ses poésies ; mais celles de sa dernière manière, les élégies lyriques à Fanny, à la Jeune Captive, l’ode à Charlotte Corday, les Iambes, ne laissent rien à désirer.
Le reporter lui demande son âge et fait cette réflexion aimable que « les locomotives n’ont jamais que l’âge qu’elles paraissent » ; il l’interroge sur son hygiène : « Vous transpirez, sans doute ? […] … Voyons, tout à fait entre nous, vous n’avez jamais eu de ces aimables écarts qui embellissent l’existence d’une locomotive à l’âge des passions ?
Au milieu du siège, en 1621, Luynes meurt subitement d’une fièvre maligne à l’âge de quarante-trois ans. […] Voiture s’était fait remarquer, dès l’âge de quinze ans, par une longue épitre au roi, ouvrage de jeune homme, mais où, parmi les antithèses et les jeux de mots, on ne peut s’empêcher de reconnaître de l’esprit, du talent et surtout de l’élévation. […] Il y a lieu de croire cependant qu’on y reçut Madeleine de Scudéry, âgée de treize ans seulement, en 1620, mais qui était du même âge que Julie de Rambouillet, et avait assez d’esprit pour être sa compagne.