Charles Guérin J’estime l’Âme antique, parce que c’est un livre simple et de formes sereines ; il n’apaisera point ceux qui sont tristes, pas plus qu’il n’inquiétera ceux qui sont calmes, mais il flattera les esprits classiques qui aiment la nature vue à travers les bons auteurs.
Il n’est pas plus éclectique que la harpe éolienne tendue aux vents dans les rameaux d’un amandier, et qui gérait d’un autre ton à tous les souffles passant à travers elle !
in-12, avec les Productions frivoles de ce genre ; les siens offrent, à travers le voile d’une agréable fiction, une morale d’autant plus piquante, qu’elle est appuyée sur une connoissance profonde du monde, sur-tout de la Cour, & sont écrits avec une délicatesse & une correction qu’il est rare de rencontrer dans des Ouvrages plus sérieux.
Notre conversation alla, pour ainsi dire, tout d’un trait de La Chênaie à Saint-Malo, et, nos six lieues faites, j’aurais voulu voir encore devant nous une longue ligne de chemin ; car vraiment la causerie est une de ces douces choses qu’on voudrait allonger toujours. » Il nous donne une idée de ces entretiens qui embrassaient le monde du cœur et celui de la nature, et qui couraient à travers la poésie, les tendres souvenirs, les espérances et toutes les aimables curiosités de la jeunesse. […] Un homme pieux et poète, une femme dont l’âme va si bien à la sienne qu’on dirait d’une seule âme, mais dédoublée ; une enfant qui s’appelle Marie, comme sa mère, et qui laisse, comme une étoile, percer les premiers rayons de son amour et de son intelligence à travers le nuage blanc de l’enfance ; une vie simple, dans une maison antique ; l’océan qui vient le matin et le soir nous apporter ses accords ; enfin un voyageur qui descend du carmel pour aller à Babylone, et qui a posé à la porte son bâton et ses sandales pour s’asseoir à la table hospitalière : voilà de quoi faire un poème biblique, si je savais écrire les choses comme je sais les éprouver. […] Dans une dernière promenade par une riante après-midi d’hiver sur ces falaises, le long de ce sentier qui tant de fois l’y avait conduit à travers les buis et les coudriers, il exhale ses adieux et emporte tout ce qu’il peut de l’âme des choses.
Je note dans Émile quantités de pensées délicates et pures sur les femmes : « La femme qui vous aime n’est qu’une femme ; celle que nous aimons est un être céleste dont tous les défauts se cachent sous le prisme à travers lequel il vous apparaît. » Ou encore : « Une femme dont on est aimé est une vanité ; une femme que l’on aime est une religion : vous serez tout pour moi, existence, vanité, religion, bonheur, tout. » « Les femmes, qui sont si habiles en dissimulation, feignent plus adroitement que nous un sentiment qu’elles n’éprouvent pas ; mais elles cachent moins bien que les hommes une affection sincère et passionnée, parce qu’elles s’y adonnent davantage. » Sur le bienfait, qui produit des effets si différents selon la terre qui le reçoit, selon les cœurs sur lesquels il tombe : « Toutes les fois que le bienfait ne pénètre et ne touche pas le cœur, il blesse et irrite la vanité. » Sur le désabusement qui vient si tôt, qui devance les saisons, et qui n’est pas même en rapport avec la durée naturelle de la vie : « Il y a un certain âge dans la vie où l’exaltation n’est plus possible ; la sensibilité peut être assez profonde pour assister au spectacle de tant de maux et de tant de douleurs sans être entièrement usée, mais l’exaltation n’a jamais résisté à l’expérience du cœur humain. […] L’un avait le dégoût prompt et altier ; l’autre ne l’avait pas et suivait son idée à travers tout. […] Mais, à travers tout, les faits sociaux s’accomplissent ; les entraves devenues trop étroites se brisent ; les cercles s’élargissent à l’infini ; la publicité coule à pleins bords : si c’est l’inconnu, c’est aussi la vie et la condition de l’avenir.
Aller en avant, marcher devant soi à travers la terre habitable était un désir à la fois et une nécessité. […] Déjà, du temps du roi Juba cité par Pline, il était dit que « le grand fleuve de la Libye, indigné de couler à travers des sables et des lieux immondes, se cachait l’espace de quelques journées » ; il se dérobait dans les sables. […] Ce cheik Othman, ami et promoteur de la civilisation, l’un de ces hommes qui, à travers toutes les distances de races et de croyances, permettent de penser que les hommes sont frères ou qu’ils le deviendront, disait à ses disciples à sa sortie des Tuileries : « Chacune des religions révélées peut élever la prétention d’être la meilleure : ainsi nous, musulmans, nous pouvons soutenir que le Coran est le complément de l’Évangile et de la Bible ; mais nous ne pouvons contester que Dieu ait réservé pour les chrétiens toutes les qualités physiques et morales avec lesquelles on fait les grands peuples et les grands gouvernements. » M.
Après quelques légers changements qu’elles firent exécuter, la distribution du bureau se présentait ainsi : la pièce, avec deux fenêtres, n’avait point d’entrée par la rue ; la porte extérieure était celle de l’ancienne allée, dont la cloison, du côté de la chambre, avait été à moitié abattue, et où l’on avait placé une grille de bois à travers laquelle se faisaient les échanges de lettres. […] Elle apporta le paquet entier des lettres restantes sur la petite tablette en dedans de la grille, et là tous deux penchés, dans leur inquiétude si diverse, suivaient une à une les adresses ; leurs têtes s’effleuraient presque à travers les barreaux ; mais, même ce jour-là, il n’eut pas l’idée de franchir la porte tout à côté pour chercher plus près d’elle, avec elle. […] ni muraille, ni cloison, ni grille de fer, mais une simple grille de bois comme ici, et entr’ouverte encore, et on regarde à travers, et on ne devine pas, et on meurt ou on laisse mourir !
Enfin la langue vulgaire fait son apparition : et dès ce moment nous n’avons plus à nous occuper des drames latins liturgiques, qui subsisteront à travers le moyen âge, et dont les traces seront signalées jusqu’à nos jours. […] Un fragment de la Résurrection (xiie siècle), dans un curieux prologue, nomme treize « lieux et maisons », le ciel à un bout, l’enfer à l’autre, à travers lesquels se promènera l’action. […] Vous aurez une idée légère de l’inénarrable pièce où Adam le Bossu a jeté tout à la fois ses rancunes et ses observations, toute son individualité, et la vie de cette ardente commune picarde, et jusqu’aux superstitions légendaires qui, à côté de la religion, maintenaient une idée du surnaturel dans ces natures matérielles : outre le dessin de l’œuvre, outre la verve des scènes populaires, il y a des coins de vraie poésie, tendre ou fantaisiste, où l’on n’accède parfois qu’à travers d’étranges et plus que grossières trivialités.
Son premier dessein, à travers ce vaste océan des choses passées, fut de saisir et de tracer une direction déterminée sans être pour cela étroit, et sans rien retrancher à la diversité de l’ensemble. […] À travers les interruptions et les intervalles, il y a ceci de commun entre le début de 1826 et la reprise de 1850, qu’il publiait alors cette Histoire comme une leçon donnée au temps présent, et que c’est encore à titre de leçon donnée à notre temps qu’il y revient aujourd’hui. […] Ne craignez pas de montrer ces misères à travers vos grands tableaux ; l’élévation ensuite s’y retrouvera.
Et puis, si l’on va au fond, le public n’a pas été trompé sur un point capital : il n’a pas, je le crois, été assez frappé du talent, mais il a senti, à travers ce récit où tant de tons se croisent et se heurtent, une opiniâtre personnalité, une vanité persistante et amère qui, à la longue, devient presque un tic. […] Nous autres littérateurs, en entendant d’abord ces lectures, séduits par les beaux morceaux, nous n’avions pas été assez sensibles à ce défaut capital ; mais le public, moins attentif à la main-d’œuvre et aux détails, il ne s’y est pas trompé, et il n’a pas agréé l’homme à travers l’écrivain. […] À travers cette contradiction de mouvements, il se dessine lui-même et se trahit dans sa nature secrète, mais il se fait connaître par le côté où il s’y attendait le moins, et on ne lui en sait pas gré.