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868. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

« S’il est vrai, dit-il dans la préface de Don Sanche, que la crainte ne s’excite en nous par la représentation de la tragédie que quand nous voyons souffrir nos semblables, et que leurs infortunes nous en font appréhender de pareilles, n’est-il pas vrai aussi qu’elle pourrait être excitée plus fortement en nous par la vue des malheurs arrivés aux personnes de notre condition, à qui nous ressemblons tout à fait, que par l’image de ceux qui font trébucher de leurs trônes les grands monarques, avec qui nous n’avons aucun rapport qu’autant que nous sommes susceptibles des passions qui les ont jetés dans ce précipice, ce qui ne se rencontre pas toujours ?  […] Voilà par contre la condamnation de tout poème dramatique où l’on met en scène des passions « dont nous ne sommes pas susceptibles. » Cette vue supérieure de Corneille, Racine en fera la règle même de son théâtre. […] Les circonstances extérieures y aidèrent ; mais le mal venait d’une fausse vue, et sous ce rapport Corneille est un grand exemple de ce que dit Descartes, qu’un homme est moins supérieur aux autres hommes par l’esprit que par l’emploi qu’il en fait. […] Corneille tombait dans ce double défaut, bien plus par l’effet de cette vue fausse sur le théâtre, que pressé par la pauvreté dont il n’est que trop vrai qu’il sentit les atteintes.

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