Ce n’est pas tant d’avoir pillé, il est vrai, que Villehardouin les blâme (le pillage était le droit de la guerre), que de n’avoir pas obéi en apportant chacun son butin à la masse commune. […] Parlant de ces habitudes asiatiques et lâchement cruelles par lesquelles ces empereurs grecs rivaux se réconciliaient en apparence, faisaient mine de s’embrasser, s’invitaient à des festins, et se crevaient les yeux à l’improviste, Villehardouin nous dit : « Jugez maintenant s’ils étaient dignes de tenir la souveraineté et l’empire, des hommes qui exerçaient de telles cruautés les uns envers les autres ; qui se trahissaient les uns les autres si déloyalement. » S’il y a quelque moralité naturelle dans cette croisade des Français d’alors et dans leur victoire sur Byzance, elle est tout entière dans cette réflexion, qui était aussi celle de Baudouin et de son frère, de ces nouveaux empereurs, vrais chrétiens et honnêtes gens. […] toi qui es un fleuve grec, toi dont les eaux coulent si douces à travers les mers, vraie merveille en tout, fleuve né d’une flamme d’amour, ne va pas transmettre les désastres des Grecs aux Barbares de la Sicile ; ne leur révèle pas tout ce que les armées des leurs ont fait de grandement cruel en Grèce contre les Grecs, de peur qu’ils n’instituent des danses, qu’ils ne chantent des hymnes de triomphe, et que des ennemis plus nombreux n’accourent à nos rivages. […] La différence est à la vue comme dans les noms. » Quelques années après, le même Courier, de retour en France, empruntait à ses paysans de Touraine, et à notre vocabulaire gaulois du xvie siècle, des locutions et des formes pour mieux traduire Hérodote selon son vrai génie. […] Ainsi Villehardouin, par instinct et dès le début, était plus dans la ligne directe et dans le vrai sens de la future construction française et de sa brièveté définitive.