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438. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Baudelaire en convient implicitement lui-même par cette appréciation juste et profonde du talent de son auteur : « Aucun homme n’a raconté avec plus de magie les exceptions de la vie humaine et de la nature ; — les ardeurs de curiosité de la convalescence ; — les fins de saisons chargées de splendeurs énervantes, les temps chauds, humides et brumeux, où le vent du sud amollit et détend les nerfs comme les cordes d’un instrument, où les yeux se remplissent de larmes qui ne viennent pas du cœur ; — l’hallucination… l’absurde s’installant dans l’intelligence et la gouvernant avec une épouvantable logique ; — l’hystérie usurpant la place de la volonté, la contradiction établie entre les nerfs et l’esprit, et l’homme désaccordé au point d’exprimer la douleur par le rire. » Si on fait le compte de ces puissances, on se demande où, dans tout cela, se trouve la place de l’âme humaine. […] Mais il n’y a pas que la volonté seule et l’originalité cherchée qui expliquent ces créations, violentes et abstraites. […] Aussi ce qu’on sent dans ces premières Histoires, c’est encore plus l’effort que la force, l’acharnement de la volonté que le souffle facile de l’inspiration. […] IX Et, en effet, l’originalité vraie d’Edgar Poe, ce qui lui gardera une place visible dans l’Histoire littéraire du xixe  siècle, c’est le procédé qu’on retrouve partout dans ses œuvres, aussi bien dans son roman d’Arthur Gordon Pym que dans ses Histoires extraordinaires, et qui fait du poète et du conteur américain ce qu’il est, c’est-à-dire le plus énergique des artistes volontaires, la volonté la plus étonnamment acharnée, froidissant l’inspiration pour y ajouter.

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